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Jours tranquilles à Paris
isabelle huppert
19 novembre 2019

Carole Bellaïche : Isabelle Huppert

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Fan d’Isabelle Huppert et des images de Carole Bellaïche ?

Oui : complètement ! C’est pour cela qu’à l’occasion de son exposition à la Galerie XII , nous vous présentons 12 nouvelles photos accompagnées d’extraits du texte par Alain Bergala

par Alain Bergala

La Grande Actrice joue dans un film. Pendant des semaines, elle va être sous le regard de son metteur en scène, mais aussi sous celui du chef-opérateur, qui n’est pas tout à fait un technicien comme les autres. Même s’il travaille à faire l’image que le réalisateur attend de lui, quelque chose se trame souvent entre l’actrice et lui, une connivence très spéciale entre celle qui donne son image et celui qui lui donne forme, lumière et matière. Cette connivence est un peu secrète, presque sans paroles. Le chef-opérateur protège ce qu’il a deviné comme points de fragilité chez elle, réels ou imaginaires, mais dont le cinéaste a parfois besoin pour donner de la force à son film. Le spectateur n’y verra que du feu. Chez la Grande Actrice, les forces et les fragilités ne sont pas contradictoires, elle a besoin des deux pour tenir sa place dans la création du film. Ses rôles se tiennent souvent dans cet écart entre le dur et le fragile.

Quand le tournage s’arrête – et comme disait Bergman « la caméra finit toujours par s’arrêter » – l’intensité de ce qui s’est passé dans ce triangle s’éteint tout à coup. Chacun repart vers un autre film. Pour la Grande Actrice un nouveau film va bientôt commencer, car elle ne s’arrête pratiquement jamais de tourner. Le triangle va se reconstituer ailleurs, avec d’autres partenaires d’image. À chaque film, l’intensité de ce qui se joue dans ce triangle est à recommencer.

Dans les interstices de sa vie de tournages, la grande Actrice se retrouve souvent devant un autre objectif, celui des photographes qui obtiennent d’elle des séances de pose.

Ils ont toujours été très nombreux. Ce n’est pas à son corps défendant car c’est une collectionneuse, voire une croqueuse de regards. Une exposition et un livre – La femme aux portraits – ont rassemblé en 2005 une centaine de photos, parmi les dizaines de milliers où elle a posé pour les meilleurs photographes du monde[1]. Tout ce qui compte comme auteurs dans la photographie, depuis les années 70, a voulu attraper d’elle une image où il l’apprivoiserait à son propre style. Un auteur, en photographie comme en cinéma, est quelqu’un qui intègre son modèle dans des images qui portent le sceau de son style, de son imaginaire esthétique, celui d’une vision qui n’appartient qu’à lui. L’opération n’est pas si facile avec elle. Elle a une capacité de résistance photographique à toute « épreuve ».

Avec l’Amie Photographe, le temps de l’échange n’est plus délimité en tranches étanches, en séquences figées, closes sur elles-mêmes. Ce que la Grande Actrice aime dans cette relation c’est que même après de longs moments de pause, parfois des mois, elle sait qu’elles vont se retrouver un jour ou l’autre, ici ou ailleurs, que la séance va reprendre, que rien ne s’arrête ni ne se fige jamais entre elles. Leurs retrouvailles photographiques sont des moments parmi d’autres, dans leurs propres vies, où l’alibi événementiel (un festival, une séance d’essayage de costumes, un voyage, etc.) compte finalement moins que cette continuité de leurs échanges. Cette longue séance n’est jamais interrompue, seulement suspendue de temps en temps.

Dans cette permanence en pointillés de leur relation photographique, chacune est devenue libre de son rôle. Aucun surmoi ne régit le jeu qu’elle vont improviser ensemble à chaque nouvelle retrouvaille, avec la légèreté de ces moments où personne n’a plus peur de l’autre, où personne ne sent plus le besoin de prouver quoi que ce soit à l’autre, où les deux sont justes visiblement heureuse de retrouver et de conforter un lien d’amitié photographique. Entre elles, les problèmes de style ou de pouvoir ne se posent plus depuis longtemps. L’Amie Photographe n’a plus besoin de marquer de son autorité ces images qui sont réellement partagées, où la frontière entre la pose et l’improvisation est souvent indécelable. La connivence, qui est un mot usé, reprend ici son sens original de « laisser faire » : laisser entre elles les image se faire, sans forçage d’aucune sorte.

Dans la vraie vie, elles n’ont pas pu être amies d’enfance, mais quand elles se retrouvent, elles se rejoignent pourtant dans cette nostalgie que deux femmes peuvent avoir d’une enfance parallèle, sinon commune. La Grande Actrice, un jour, emmène l’Amie Photographe dans la maison qui a été celle de son enfance. C’est une exception, car elle veille soigneusement à séparer de façon étanche la femme privée et la femme publique. Sait-elle à ce moment-là que Carole C. a été une photographe de 14 ans ? Pas une adolescente qui fait des photos mais une vraie photographe, avec un projet précis, rigoureux, où est déjà constitué son rapport photographique aux autres et au monde. Elle a commencé en Seconde à photographier ses amies de lycée – les plus belles précise-t-elle-, dans des coins de la grande maison familiale. Pas dans l’espace commun de la famille mais dans des cachettes à elles, des cabanes imaginaires, des espaces dérobés au collectif de la vie familiale.

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Il reste quelque chose de ce jeu d’adolescentes dans leur plaisir à trouver, où qu’elles soient, des petits espaces dérobés dans les grands espaces collectifs des lieux de travail : les loges, les chambres d’hôtel, les couloirs. Elles partagent aussi la nostalgie des maisons perdues  de l’enfance, dont la photographe a fait un de ses sujets obsédants.

L’Amie Photographe accompagne parfois la Grande actrice en voyage. Photographier quelqu’un en voyage, c’est souvent en saisir une image exotique, comme si quelque chose de l’identité de la personne avait forcément changé dans cet autre pays, dans ce nouveau décor. L’Amie Photographe continue à la regarder comme elle l’a toujours fait, comme si rien de leur relation n’était différent dans ce nouveau contexte. Au contraire, tout se passe comme si le fait d’être hors de leurs territoires habituels les rendait plus proches. Dans ces photos d’ailleurs, rien de pittoresque : des sites ordinaires où l’atmosphère d’un pays est plus palpable que dans les points touristiques ou symboliques. Elles préfèrent les lieux aux noms communs : la rizière, la rue, etc.

En Chine, au Brésil, le dépaysement affecte peu l’image de la Grande Actrice. Elle habite les rues de la Chine comme elle habite Paris. C’est aussi que la relation entre elle et sa photographe est solidement tissée, et sa continuité plus forte que la rupture que pourrait constituer un déplacement de quelques milliers de kilomètres. Il doit y avoir quelque chose de rassurant, pour la Grande Actrice, d’être sous la permanence de ce regard qui continue à la regarder partout dans le monde avec le même calme, la même disponibilité, la même attention douce.  Les seules photos de ce livre avec un contrechamp sur les admirateurs ont été faites en Chine où étrangement les silhouettes des jeunes filles sont très proches de celle de l’actrice, comme des doubles multiples et anonymes. L’une d’elle porte même fortuitement un tee-shirt à rayures et des lunettes.

Dans un des milliers de feuillets qui ont été retrouvés dans les malles de son appartement, Pessoa écrit  :

« L’immense série de personnes et de choses qui constitue le monde est pour moi une galerie de tableaux sans fin, dont l’intérieur ne m’intéresse pas. Il ne m’intéresse pas, parce que l’âme est monotone, et toujours la même chez tout le monde; seules en diffèrent les manifestations individuelles, et la meilleure part en est ce qui déborde vers le songe, dans l’allure, les gestes, et pénètre ainsi dans le tableau qui me séduit… »

Il est de grands photographes qui se sont donné le projet, ambitieux, de réussir une image où serait visible « l’âme » du photographié, pour parler comme Pessoa. Certains y sont parfois parvenu, mais l’âme étant monotone ne s’attrape pas deux fois. Il leur faut donc changer sans cesse de modèle. La grande Actrice et l’Amie Photographe ont fait le choix opposé, celui de jouer à deux, le plus souvent possible, sans le moindre surmoi, avec ce qui «déborde » de la fameuse « âme », ce par quoi elle se manifeste sous mille formes labiles et chatoyantes, sans peser, sans jamais s’enkister, sans intimidation de la profondeur  : la rêverie, les gestes, les déguisements, les regards, les doubles, la malice, les métamorphoses. Elles ont tissé ainsi, tranquillement, au fil du temps, ce qui est sans doute le portrait le plus juste et le plus vrai de l’Actrice multiple qui a nom Isabelle Huppert. Alain Bergala

Carole Bellaïche : Isabelle Huppert du 15 Novembre au 17 janvier

Galerie XII

14 rue des Jardins Saint Paul

75004 Paris

https://www.galerie-photo12.com/

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16 novembre 2019

Isabelle Huppert

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11 novembre 2019

Isabelle Huppert

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28 octobre 2019

Isabelle Huppert

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15 septembre 2019

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13 septembre 2019

Isabelle Huppert

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29 août 2019

Isabelle Huppert: “Je suis beaucoup de choses sans le savoir”

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PAR Bruno Deruisseau et Jean-Marc Lalanne 

A l'occasion de la sortie de “Frankie” d’Ira Sachs, l’un des films les plus sensibles et touchants cette rentrée, nous avons rencontré l'actrice qui se joue des limites. L'occasion de revenir sur son parcours exceptionnel au coeur du cinéma le plus créatif de son temps.

Dans Frankie, le nouveau film d'Ira Sachs, Isabelle Huppert interprète une actrice en villégiature au Portugal. Mais dans ce beau film gorgé de soleil, l'état de villégiature n'est pas vraiment synonyme d'une grande euphorie. En effet, la comédienne a rassemblé tous ses proches (famille, amis, ex) à Sintra parce que cette occasion est peut-être la dernière.

C'est aussi en vacances que nous retrouvons Isabelle Huppert, mais cette fois dans un contexte nettement plus joyeux. L'actrice, réputée pour sa capacité à enchaîner les pièces, les tournages à une cadence frénétique – et qui s'amusait dans la série Dix pour cent de son image de workaholic –, s'est néanmoins installée pour un mois avec sa famille dans sa demeure basque (la région où elle passe toutes ses vacances depuis l'enfance). C'est face à la baie de Saint-Jean-de-Luz que nous avons échangé avec elle sur l'état de son rapport à son travail, la finesse d'écriture du cinéma d'Ira Sachs, les mutations du cinéma français et bien sûr l'état de vacance(s).

Que faites-vous de votre temps libre ?

Vous savez, je considère le temps du travail comme un temps libre (rires). Vraiment. Surtout quand je fais des films, car le cinéma est vraiment un très fort espace de liberté. Le théâtre comporte peut-être plus de contraintes, laisse peut-être moins de temps psychique disponible. Mais bon, je ne vais pas biaiser éternellement votre question (rires). Qu’est-ce que je fais de mon temps libre… J’essaie de ne rien faire. Mais c’est difficile. Marguerite Duras disait : “Comme il est difficile de ne rien faire.” Mais qu’est-ce que ne rien faire du tout ? Ce n’est pas forcément souhaitable. En vacances, je lis beaucoup.

Un agenda où rien n’est écrit sur huit jours, ça vous angoisse ou c’est désirable ?

Je ne sais pas, ça ne m’arrive jamais… (rires)

Vous lisez quoi en ce moment ?

Un livre génial ! Il m’a été recommandé par Patricia Mazuy. L’auteure est une romancière américaine qui s’appelle Lucia Berlin. Elle est à la littérature ce que Barbara Loden est au cinéma. Elle était très belle et a eu une vie très bizarre. Elle a vécu au Chili, au Mexique. Elle est morte en 2004, à 68 ans. Elle a été mariée trois fois et a eu quatre garçons. Son père avait une position dans l’industrie minière : elle a donc grandi dans un milieu très aisé, puis a été très pauvre à d’autres moments de sa vie. Son parcours a été à la fois assez marginal, mais finalement pas tant que ça : elle est devenue prof, a enseigné la littérature.

Son recueil de nouvelles s’intitule Manuel à l’usage des femmes de ménage. Ce qu’elle raconte se rapporte le plus souvent à sa vie. Son écriture est très libre, très free style, et vraiment d’une très grande force. Avant, j’ai lu un autre très bon livre, The Executor de Jesse Kellerman. Quand je ne lis pas, j’écoute beaucoup la radio, souvent sur mon téléphone, en me déplaçant, même à l’étranger. Je suis très assidue à certaines émissions, comme Les Pieds sur terre sur France Culture, qui propose des portraits vraiment passionnants. Ça amuse énormément mes amis, mais je connais les grilles d’émissions de Radio France par cœur (rires).

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“La Dentellière” de Claude Goretta (1977) Jupiter Films

Vous nagez à Saint-Jean-de-Luz ? Frankie s’ouvre sur une scène de natation dans une piscine. Vous nagez aussi dans Villa Amalia (Benoît Jacquot), dans Valley of Love (Guillaume Nicloux)… On vous a souvent filmée à la plage aussi, de La Dentellière (Claude Goretta) à In Another Country (Hong Sang-soo). Etes-vous une grande nageuse ?

Non, vraiment pas (rires). Mon fils aîné nage beaucoup. Parfois, je l’accompagne. Aujourd’hui, en effet, j’ai nagé près de quarante minutes. Pour moi, c’est beaucoup. J’aime bien aller à la plage. J’aime observer les gens. Il y a toute une petite sociologie de la plage. L’autre jour, je me disais : “Mais c’est venu quand, dans l’histoire de l’humanité, que les gens aient envie de se coucher les uns à côté des autres sur du sable et de ne rien faire étendus au soleil ?” C’est quand même un plaisir très curieux ! J’aime bien le brouhaha particulier de la plage, il ne m’agresse pas, alors que je suis assez sensible au bruit. J’arrive très bien à lire sur une plage par exemple, quand je n’observe pas les gens.

Et vous ne vous sentez pas observée ? Les gens vous reconnaissent-ils ?

On me reconnaît assez peu. J’ai cette chance. Je peux passer des journées entières dans Paris sans que personne ne me reconnaisse. Un jour, il y a très longtemps, j’avais rendez-vous avec Robert De Niro dans un bar d’hôtel. On a attendu vraiment très longtemps, peut-être une heure, avant de s’apercevoir que l’on était tous les deux dans le bar mais que l’on ne s’était pas reconnus (rires) 

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“La Porte du Paradis” de Michael Cimino (1981) Carlotta Films

On vous a vue cette année au théâtre en Mary Stuart dirigée par Bob Wilson et au cinéma dans Frankie d’Ira Sachs, et on a l’impression que ce sont deux pôles opposés de ce que l’on peut obtenir de vous. D’un côté, une pure marionnette, hyperperformante et technique, qui peut tout faire. Et de l’autre, au contraire, l’accès tout en underplaying à une intériorité, à une personne.

C’est vrai, et pourtant c’est plus complexe. Le théâtre avec Bob Wilson est une chose vraiment particulière, qui excède le théâtre, s’aventure du côté de la danse ou des arts plastiques. Le texte est énorme et, en même temps, ce qu’il en fait tient davantage de la sculpture sonore. On ne parle jamais du sens d’une phrase. Jamais. Il peut couper des pages entières sans même savoir ce qu’il coupe, car il est surtout attentif à la musique, au rythme. Moi, je ne suis pas danseuse, mais il sait vous faire trouver des ressources physiques insoupçonnées.

Aujourd’hui, j’ai encore des crampes au bras liées à ma dépense physique dans la pièce. Mais dans le théâtre de Bob Wilson, on est tellement au-delà de la question du sens que l’on peut y mettre plus que du sens. On peut y mettre des bouts de soi-même. Je suis peut-être une pure marionnette, mais à l’arrivée je me sens tout à fait proche de ce que vous décrivez chez Ira Sachs. Je vois bien néanmoins en quoi les moyens pour arriver à cette pure présence sont différents.

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“Les Valseuses” de Bertrand Blier (1974) A.M.L.F.

Certains acteurs disent parfois qu’ils ont refusé un film parce qu’ils avaient l’impression que ce n’était pas un rôle pour eux, qu’ils ne seraient pas capables de le faire. On ne vous imagine pas penser ça, dire d’un rôle qu’il n’est pas pour vous…

Vous savez, quand les acteurs disent ça, c’est souvent une façon polie de dire qu’ils ne croient pas beaucoup au projet et n’ont pas envie de faire le film (rires). Je ne crois pas beaucoup à cette notion de capacité chez un acteur à faire telle ou telle chose. La question n’est pas de savoir ce que l’on est apte ou pas à faire, mais plutôt d’évaluer si le metteur en scène sera capable ou pas de vous le faire faire.

Vous vous êtes déjà sentie abîmée par un film dont vous vous êtes dit que vous n’auriez pas dû le faire ?

Abîmée, non, jamais.

Isabelle Adjani nous disait par exemple qu’elle n’accepterait pas aujourd’hui de tourner dans Possession d’Andrezj Zulawski, car le film l’avait trop mise en danger.

C’est vrai qu’un acteur ou une actrice peut se trouver précipité.e dans des situations violentes. Moi ça ne m’est jamais arrivé. Mes rôles qui ont marqué les esprits par leur violence, comme La Pianiste ou Elle, je les ai joués avec un sentiment de sécurité et de protection très fort. Je ne me suis jamais sentie le moins du monde exposée.

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“La Pianiste” de Michael Haneke (2001) avec Benoît Magimel MK2 Diffusion

Et, pour d’autres raisons, est-ce que les mauvais films abîment ?

Oui, sans doute. Mais je n’ai pas fait de films que je trouve si ratés que je me sente salie ou abîmée de les avoir faits. Ça doit être un sentiment très désagréable.

Cette proximité avec la violence, le danger qui marque votre filmographie, cette récurrence de personnages de criminelles chez Chabrol, ça n’a jamais eu d’influence sur la personne que vous êtes ?

Non. Ça a tout au plus influencé la perception que l’on a de moi. On finit toujours par faire des confusions entre une actrice et ses personnages. Mais ça n’a pas beaucoup d’importance.

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“Une affaire de femmes” de Claude Chabrol (1988) MK2 Diffusion

Vous vous amusez de plus en plus de cette perception que l'on a de vous. Par exemple dans Dix pour cent, où vous jouez avec votre réputation d’hyperactive…

Oui. D’actrice un peu méchante aussi. Ça crée des situations drôles. J’aurais bien aimé que mon personnage soit d’ailleurs un peu plus développé. On a coupé une scène où je trouvais que le décor n’allait pas et où j’agressais le décorateur. C’était très amusant. Cela dit, le scénario de Dix pour cent partait d’une supposée réalité et a beaucoup extrapolé. Le rôle était tissé de références très précises, mais qu’il exagérait. Hong Sang-soo n’a jamais débarqué chez moi pour tourner dans mon salon par exemple (rires).

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“In Another Country” de Hong Sang-Soo (2012) Jeonwonsa Film Co./Diaphana Distribution

Dans Frankie aussi, vous interprétez une actrice française célèbre. Mais à l’opposé de l’autodérision de Dix pour cent, vous nous avez dit à Cannes qu’Ira Sachs essayait d’effacer toute forme d’ironie dans votre jeu.

Oui, ça m’a beaucoup frappée. Il me demandait souvent d’appuyer moins, d’effacer les moindres marques de drôlerie, de dérision. Il voulait une forme de blancheur, de platitude. On ne se l’est jamais formulé, mais je pense que cette exigence est liée à l’économie avec laquelle il a représenté la maladie de ce personnage. Elle va mourir, mais on ne parle quasiment jamais de son cancer, on ne la voit jamais souffrir. L’absence de toute forme d’ironie, la recherche d’une forme de nudité dans le jeu étaient une façon d’atteindre à une fragilité qui rend possible d’être aussi elliptique sur la maladie. On n’en parle quasiment jamais, mais on ressent un poids, une totale absence de légèreté. C’est un cinéaste vraiment très fin, Ira Sachs.

Pensez-vous que la mort est un point final ou avez-vous un rapport plus spirituel à l’existence ?

Vous me posez la question à moi ? Oh! là, là… (elle réfléchit longuement) J’aimerais penser que ce n’est pas un point final... J’aimerais… Il y a un texte d’Hannah Arendt sur la mort... Elle parle de la manière dont on peut continuer à faire vivre les morts. Elle y a réfléchi et c’est vraiment très beau.

Est-ce que vous pensez souvent au passé ? Aux films que vous avez tournés, à votre carrière ? Est-ce que vous vous adonnez parfois à des rêveries nostalgiques ?

Je préfère le futur au passé. Ce que j’ai fait occupe moins de place dans mon esprit que dans celui des spectateurs qui ont vu les films, je crois. C’est normal. Je ne suis pas très portée sur la nostalgie. Je crois que le futur est politique (rires) ! Je ne sais même pas très bien ce que veut dire cette formule, ça m’est venu comme ça (rires) ! Mais j’y crois.

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“Sauve qui peut (la vie)” de Jean-Luc Godard (1980) MK2 Diffusion

Parfois, lorsque vous pensez à des artistes avec qui vous avez produit des œuvres fortes, vous regrettez de ne plus les voir ? Comme Godard, par exemple.

Ah oui, j’aimerais beaucoup le revoir. Ça ne se fera sans doute pas. Je peux comprendre que lui n’en ait pas forcément envie. Mais ça ne crée pas chez moi de chagrin ou de nostalgie. Vous savez, faire un film avec quelqu’un implique une relation très intense. Cette intensité se poursuit le plus souvent dans le souvenir. Mais ce n’est souvent pas possible de prolonger cette intensité dans une relation hors travail. C’est très rare que ça arrive, et on n’en a pas forcément envie… Même Claude Chabrol, je ne l’ai pas vu tant que ça en dehors de nos huit films en commun. C’est un peu ingrat, et je l’assume complètement, mais il n’y a que le travail qui me permet de voir les gens.

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“La Cérémonie” de Claude Chabrol (1995) MK2 Diffusion

Et les disparus, est-ce que vous y pensez souvent ? Y a-t-il des gens qui vous hantent ?

J’essaie de m’en protéger. Parfois j’ai du mal. Claude (Chabrol) par exemple, je le tiens à distance. Les souvenirs avec lui, ce sont des choses dont je n’aime pas trop m’approcher. Werner (Schroeter), c’est vraiment quelqu’un que j’aimais énormément et j’ai vécu des expériences de cinéma tellement folles avec lui… Evidemment, avec l’un comme avec l’autre, quelque chose reste : j’ai fait des films formidables avec eux. Mais il y a aussi des gens disparus que l’on a aimés et avec qui on n’a pas tourné de films. Dans ce cas, il ne reste rien, sinon les souvenirs. C’est là que la lecture d’Hannah Arendt peut aider. Il y a un autre très beau livre pour ça, c’est L’Année de la pensée magique de Joan Didion, qu’elle a écrit juste après la mort de son mari.

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“Malina” de Werner Schroeter (1991) avec Mathieu Carriere Thomas Klausmann/Kuchenreuther Filmproduktion GmbH

Quel est votre point de vue sur cette conclusion d’un rapport commandé par le gouvernement à l’actuel directeur du CNC, affirmant que l’on produit trop de films en France ?

Je pense que, statistiquement, plus on en produit et plus on a de chances qu’il y en ait de très bons. Et peut-être qu’il y a trop de films tournés en France, mais il n’y en a plus du tout assez dans tous les autres pays d’Europe. C’est donc un moindre mal. Bon, d’un point de vue pratique, on peut se dire parfois qu’il y en a trop de mauvais, ça c’est sûr (rires) ! Mais trop en général, non, je ne pense pas. Dire le contraire est un discours dangereux et il faut préserver envers et contre tout le dispositif qui protège le cinéma d’une pure logique de profit.

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“Loulou” de Maurice Pialat (1980) Gaumont

Depuis vos débuts dans le cinéma, trouvez-vous le paysage très transformé ?

Un certain type de films se faisait beaucoup plus facilement à mes débuts. C’était plus facile de faire Loulou (de Maurice Pialat) et La Dentellière à l’époque où je les ai tournés. Et surtout, c’était plus facile de les faire marcher. Ces deux films ont réuni chacun autour d’un million de spectateurs ! J’ai l’impression qu’il y a un climat général qui met la culture en danger. Il y a eu une époque où les dirigeants avaient compris que la culture était un levier politique. La culture n’est plus tellement envisagée de cette manière aujourd’hui, et c’est inquiétant.

Une chose s’est peut-être transformée aussi depuis vos débuts dans le cinéma, c’est que les films y sont moins majoritairement structurés par un regard masculin…

J’ai le sentiment que depuis le début je me suis débrouillée pour faire des films qui n’étaient pas structurés simplement par un regard masculin.

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“Coup de Foudre” de Diane Kurys (1983) Gaumont

Justement, hier, pour préparer cette interview, nous avons regardé des extraits de vos films et nous sommes tombés sur une scène de La Femme de mon pote de Bertrand Blier. Coluche vous administre une gifle en vous disant de ne plus semer la discorde entre lui et son meilleur ami. C’est d’un sexisme assez violent à revoir.

Oui, en effet. J’aurais pu ajouter à ce que je vous ai dit : “A part peut-être La Femme de mon pote” (rires). Et encore, il y avait dans le scénario des scènes plus dures que j’ai refusé de tourner et que Bertrand (Blier) a supprimées. Mais ce personnage de fille séductrice était quand même très magnifié, intéressant à jouer. C’est un objet d’amour. J’y ai trouvé un équilibre qui pouvait me convenir.

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“8 Femmes” de François Ozon (2002) © Jean-Claude Moireau/BIM, Canal+, Centre National de la Cinématographie, Fidélité Productions

La place accordée aux personnages féminins dans une fiction a été un souci pour vous très tôt ?

C’était moins un souci qu’une évidence. J’ai toujours été féministe sans le savoir. Il y a beaucoup de choses que je suis sans le savoir, d’ailleurs (rires). Mais c’était aussi du pragmatisme. A l’époque où j’ai commencé à faire du cinéma, je ne correspondais pas tout à fait aux canons d’une vedette féminine de cinéma. Le cinéma traditionnel glorifiait la séduction féminine la plus archétypale. Mais, dans le récit, il la plaçait dans une position subalterne à la fonction de l’homme. Le personnage féminin était le plus souvent paré de tous les oripeaux d’un certain glamour classique, mais intervenait à côté du personnage masculin central. Je n’entrais pas dans ces critères majoritaires, mon apparence et ma personnalité avaient quelque chose de plus étrange, atypique. J’ai eu la chance d’arriver dans le cinéma à un moment où ces places archétypales se transformaient et j’ai pu participer de ce changement.

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“Violette Nozière” de Claude Chabrol Gaumont

En effet, vous avez été le vecteur d’une modification dans la représentation du féminin dans le cinéma français, c’est certain…

J’ai eu la chance de pouvoir trouver des films où les personnages féminins étaient à la fois faillibles, bizarres, pas dans la norme, mais absolument au centre du récit (La Dentellière, Violette Nozière…). Et bénéficiaient donc d’une attention, d’une sensibilité qui m’ont permis de n’avoir à ressembler qu’à moi-même et de ne pas me conformer aux exigences traditionnelles du cinéma pour les actrices. Du coup, je ne me reconnais pas tellement dans un discours contemporain qui revendique désormais que les personnages féminins soient forts, triomphants, héroïques… Ça ne me convainc pas complètement. Ce qui est important, c’est de s’intéresser à une femme en la plaçant au centre, même si c’est un personnage fêlé, affaibli, vacillant.

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“White Material” de Claire Denis (2010) Wild Bunch Distribution

Quand vous tournez avec Patricia Mazuy, Mia Hansen-Løve, Claire Denis ou Catherine Breillat, avez-vous le sentiment de tourner avec des cinéastes fragilisées dans l’industrie parce qu’elles sont des femmes ?

En France, je n’en suis pas sûre. Les cinéastes sont fragilisés dès qu’ils ont une ambition formelle très forte, ils doivent se battre pour imposer une exigence de vision. Mais je ne suis pas sûre que cela soit plus dur pour ces cinéastes parce qu’elles sont des femmes.

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“Abus de Faiblesse” de Catherine Breillat (2014) Flach Film Production/Rézo Film

Et pensez-vous qu’il y a un regard féminin ?

C’est une question encore plus compliquée… Nathalie Sarraute disait qu’il n’y a pas de littérature féminine. Elle ne voulait pas qu’on genre ses livres. Je ne sais pas si lorsque je tourne j’envisage le genre du cinéaste qui me filme. Oui, sans doute. Ce n’est pas la même chose si c’est Claude Chabrol ou Catherine Breillat. Et il peut y avoir plus de brutalité si c’est une femme qui me dirige que si c’est un homme. Surtout si c’est Catherine Breillat (rires). Je dis ça, mais j’adore Catherine. De toute façon, il est probable que cette dureté soit un moyen pour affirmer une autorité auquel un homme n’a pas à recourir, parce que cette autorité lui est conférée naturellement par la société.

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Elle de Paul Verhoeven.SBS Distribution

“Je n’ai jamais rêvé d’être actrice. Petite fille, la représentation imaginaire de moi qui me faisait rêver, c’était patineuse !”

Le highlight de reconnaissance qu’a constitué Elle de Paul Verhoeven, jalonné de trophées américains, est-ce que ça crée ensuite une décompensation ? Etes-vous inquiète que ça ne se reproduise plus ?

Ah non, pas du tout… D’ailleurs, j’ai eu un prix d’interprétation à Locarno ensuite pour Madame Hyde (de Serge Bozon – ndlr) et ça m’a fait plaisir aussi. Le phénomène dont vous parlez autour d'Elle, je ne cherche pas du tout à le reproduire. Chaque film a son histoire. Certains ont des histoires très confidentielles mais comptent aussi beaucoup pour moi.

Vous êtes-vous déjà demandé si vous n’aviez pas été actrice, ce que vous auriez pu être ?

J’aurais vraiment été dans l’embarras. Si on compare à d’autres métiers comme chanteur, danseur…, actrice c’est un peu ce qui reste quand on ne sait pas trop ce que l’on sait faire. C’est un peu comme quand on réchauffe les plats de la veille (rires). Je n’ai jamais rêvé d’être actrice. Petite fille, la représentation imaginaire de moi qui me faisait rêver, c’était patineuse ! Chanteuse un peu… Mais pas du tout actrice. Car les représentations qu’offrait le cinéma quand j’étais enfant n’avaient, comme je vous le disais, rien à voir avec ce que j’étais. Du moins, je le pensais. Peut-être que ce n’était pas si vrai. Le chemin qui m’y a menée est très inconscient et assez mystérieux. Il n’est pas du tout passé par le cinéma car, quand j’ai commencé, je n’avais pratiquement vu aucun film. Le goût du cinéma est venu en en faisant.

Vous avez déjà envisagé de tourner des films ?

Je lisais hier une interview de Sandrine Kiberlain qui disait qu’elle allait réaliser un film. Elle décrivait bien ce dont elle avait envie, ce dont elle avait besoin. Et disait que ça lui permettait de prendre une place différente, du côté des décisions et du pouvoir. Ça me faisait réfléchir sur moi. J’ai l’impression que c’est une question de territoire. Il y a un territoire que l’on assigne à juste titre à l’actrice et je me suis un peu donné le sentiment d’en avoir toujours repoussé les limites à l’intérieur même du film. Ça m’a donné le sentiment que j’étais à ma place, que j’ai ma place dans un film, et même un peu plus que la place que l’on assigne à un acteur. Il ne s’agit pas d’intervenir sur le scénario, ou sur la mise en scène, mais plutôt de l’intérieur même de ce que l’on est censé faire dans le film, imprimer quelque chose qui déborde de la zone limitée et contraignante du personnage et de ce que l’on attend d’un acteur.

28 août 2019

Isabelle Huppert

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3 août 2019

Frankie : Isabelle Huppert vit son dernier été

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Isabelle Huppert est une actrice condamnée par la maladie dans "Frankie", présenté en compétition officielle au Festival de Cannes qui débute le 14 mai prochain. Le public, lui, pourra découvrir le film en salles le 28 août.

À l'affiche dernièrement de Blanche comme Neige et bientôt de Greta avec Chloë Grace Moretz, Isabelle Huppert sera cet été Frankie pour Ira Sachs. Dans ce drame, elle incarne une célèbre actrice française qui se sait condamnée par la maladie. Elle décide de passer ses dernières vacances au Portugal entourée de ses proches.

L'actrice française donne la réplique à Jérémie Rénier, qui incarne son fils, ainsi qu'à Marisa Tomei, Greg Kinnear et Brendan Gleeson. C'est la première fois qu'elle est dirigée par Ira Sachs, à qui l'on doit Brooklyn Village et Love is strange. Cette figure du cinéma indépendant US s'aventure pour la première fois hors du continent américain. Plongée dans l'univers intimiste du réalisateur, Isabelle Huppert semble s'illustrer dans un registre plus sobre et moins tourmenté que dans ses derniers films.

Une composition qui pourrait être saluée d'un prix d'interprétation féminine puisque Frankie est en compétition au Festival de Cannes qui se déroule du 14 au 25 mai prochain. Une récompense que la comédienne a déjà remportée deux fois pour Violette Nozière et La Pianiste.

Frankie est à voir au cinéma dès le 28 août.

22 juin 2019

Isabelle Huppert

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