In memorem : Oradour sur Glane
Soixante-dix ans après le massacre d’Oradour-sur-Glane, ses causes ne sont toujours pas clairement établies. Elles suscitent des interprétations diverses, parfois opposées, et le procès de Bordeaux, en 1953, censé juger les auteurs de ce crime de guerre, n’a rassemblé que des sans-grades et provoqué des blessures profondes entre Français. Rares sont les témoins encore en vie, et ce que Georges Boos a à nous dire vaut certainement d’être analysé, d’autant qu’il n’avait plus parlé depuis 1953. Le portrait qui vient d’être dressé se fonde en partie sur celui établi au procès.
Notre enquête sur Georges Boos, l'exécuteur d'Oradour
A cette époque, ce Français de Moselle, engagé volontaire dans la Waffen-SS, ne pouvait qu’être un monstre. Né le 25 août 1923 près de Sarreguemines, Georges Boos est cultivateur dans la ferme paternelle. Après la défaite de la France et l’annexion de l’Alsace-Moselle au Reich nazi, il devient ouvrier dans une usine métallurgique à Hagondange, en Moselle. En avril 1941, il s’engage, pour des motifs qui nous échappent (il se dit que son père aurait été pronazi), dans la Waffen-SS et intègre une école d’infirmier le mois suivant. En août, il est infirmier dans la division blindée « Das Reich », sur le front Est. En juillet 1942, il est Feldgendarme (gendarme militaire) en Normandie, avant d’être renvoyé sur le front russe en décembre 1942. Début 1944, il rejoint la 3e compagnie dans la région de Bordeaux. A Oradour, il a le grade de sergent et dirige le 6e groupe de la 2e section commandée par l’adjudant-chef Egon Töpfer.
EN ÉCHANGE DE LA PROTECTION DES ETATS-UNIS, LES ANCIENS OFFICIERS DE LA WAFFEN-SS SE METTAIENT À LEUR DISPOSITION EN CAS DE CONFLIT AVEC LE BLOC SOVIÉTIQUE
Il aurait été fait prisonnier par les Alliés près de Compiègne. Inculpé pour infraction contre la sûreté de l’Etat, il est incarcéré, de 1947 à 1948, à la prison militaire de Bordeaux, ce qui ne l’empêchera pas de se retrouver sur le banc des accusés du procès de Bordeaux en 1953, au côté de sept Allemands et de treize Alsaciens qui, eux, avaient été incorporés de force. En tant que sergent, il est l’un des plus hauts gradés jugés et va être condamné à mort. Il est vrai que seuls les officiers étaient alors protégés par la CIA, ce qui nous a été révélé, il y a quelques années, par Me Richard Lux, un des défenseurs alsaciens à Bordeaux. Selon lui, un accord avait été passé avec les anciens officiers de la Waffen-SS à l’issue de la guerre : en échange de la protection des Etats-Unis, ces hommes s’engageaient à se mettre à leur disposition en cas de conflit avec le bloc soviétique. Dans ses recherches, le juriste américain Douglas W. Hawes évoque également ces protections américaines dont le Kommandeur de la « Das Reich », Heinrich Bernhard Lammerding, avait aussi bénéficié.
A l’heure actuelle, on ignore tout des tractations diplomatiques que le procès a générées. Cette correspondance recèle-t-elle des révélations sur l’affaire d’Oradour ? Est-ce à l’absence des officiers supérieurs et aux sinuosités de la diplomatie que fait référence Georges Boos lorsqu’il évoque une trahison des hommes, l’axe Berlin-Paris ou lorsqu’il cite le nom du chancelier Konrad Adenauer ?
Mais revenons à l’atrocité d’Oradour. Il est exact que Boos et son groupe descendent au lieu-dit Bellevue pour ramener jusqu’au bourg les civils qui se trouveraient sur la route. Il est ensuite en faction à Puy-Gaillard, où il dit avoir renvoyé une fillette de 7-8 ans qui voulait entrer dans le village. Il rejoint le champ de foire, là où d’autres Waffen-SS ont regroupé les habitants du village, et il aurait servi à un moment d’interprète au chef de la compagnie, Erich Otto Kahn. Puis il conduit une vingtaine d’hommes au garage Desourteaux. Le groupe doit empêcher ces civils de se sauver et, ainsi que l’avait ordonné le commandant Adolf Diekmann, de les abattre si Kahn tirait une rafale de mitraillette. Entre 15 h 30 et 15 h 45, une forte explosion se fait entendre. Kahn donne le signal d’ouvrir le feu. Boos dit ne pas avoir tiré, mais il a donné le coup de grâce aux agonisants au garage Desourteaux ; il n’est pas attesté qu’il l’ait également fait à la remise Beaulieu, comme cela a souvent été dit. Après avoir mis le feu au garage, le groupe rejoint l’église. Il est singulier de constater que les dépositions des uns et des autres deviennent plus confuses, voire contradictoires, lorsqu’il s’agit de l’horreur qui s’y est déroulée. Boos a-t-il abattu deux femmes dans ce secteur ? La question reste ouverte. Par contre, il est établi qu’il a quitté Oradour après l’exécution des hommes dans les granges pour conduire l’adjudant Gnug et un autre blessé à Limoges, et qu’il n’est rentré qu’à la nuit tombée. Des dépositions qui nous sont connues, il apparaît que Boos se conforme aux ordres de Diekmann, Kahn et Töpfer. Seule l’exécution – si elle était avérée – des deux femmes près de l’église relèverait d’une initiative personnelle.
SEULES LES IDENTITÉS DES 13 "MALGRÉ-NOUS", AMNISTIÉS, SERONT AFFICHÉES À L'ENTRÉE DES RUINES D'ORADOUR
« Oradour était bien le bon endroit. » Cette phrase de Boos montre que les Allemands n’y sont pas venus par hasard. Dans la troupe, il se dit que c’est pour libérer un officier retenu prisonnier. Dans sa déposition faite en 1947, le capitaine Heinz Werner est plus précis sur la mission de Diekmann : anéantir le PC du maquis, fouiller le village pour retrouver le commandant Helmut Kämpfe enlevé la veille par la Résistance, faire un maximum de prisonniers afin de procéder à un échange pour libérer l’officier. A quoi Boos a-t-il exactement fait allusion ? Il est bien plus clair lorsqu’il évoque la promesse faite à Marcel Nussy-Saint-Saëns, président du tribunal militaire de Bordeaux en 1953, de ne rien dire de toute cette affaire. Il admet ainsi clairement que tout n’a pas été dit au procès. Cela rejoint le fait, ô combien révélateur, que Me Lux nous avait relaté : la défense alsacienne, à peine arrivée à Bordeaux, fut convoquée séance tenante par Nussy-Saint-Saëns. Ce dernier voulait inciter les avocats des « malgré-nous » à plaider « coupable », en échange de quoi il ferait en sorte que les peines soient atténuées. Cela confirme que le président était partial et qu’il avait déjà rendu son verdict avant même le début du procès. Rappelons à ce sujet que le général de Gaulle déclara, dans le « Times » du 17 février 1953, que le jugement était injuste à l’égard des treize incorporés de force alsaciens.
Un chef d’Etat aurait-il pu prendre la défense de vulgaires assassins de femmes et d’enfants ? Pourtant, ce sont uniquement les identités des treize « malgré-nous », amnistiés, qui seront affichées à l’entrée des ruines d’Oradour jusqu’au milieu des années 1960 ; ni celles des Allemands ou de Boos n’ont été exposées à l’opprobre du peuple. Tout cela porterait à croire que le procès de 1953 était bien celui des treize incorporés de force. Au final, un crime de guerre nazi devenait une affaire franco-française.
« Entre deux fronts » par Nicolas Mengus et André Hugel, éd. Pierron, 2007.
Voir mes précédents billets sur Oradour sur Glane :
Oradour sur Glane - 10 juin 1944 / 10... 10/06/2014
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