Le réalisateur a présenté, mardi, à Cannes son dernier long-métrage : trois heures passées à brûler sous les projecteurs de Californie en compagnie de deux personnages de fiction et d’une cohorte de figures qui hantent aujourd’hui les histoires du cinéma.
Sélection officielle
En compétition
Il avait 6 ans, cet été-là, celui d’Apollo XI et de Woodstock. Le temps est mal fait, Quentin Tarantino aurait voulu avoir 20 ou 35 ans en 1969. Ce moderne Aladin dispose de son génie à lui, et Hollywood a exaucé son vœu, dont le Festival de Cannes a découvert l’accomplissement : Once Upon a Time… in Hollywood.
Trois heures passées à brûler sous le soleil et les projecteurs de Californie du Sud en compagnie de deux personnages de fiction – Rick Dalton un acteur sur le déclin (Leonardo Di Caprio) et Cliff Booth son cascadeur et homme à tout faire (Brad Pitt) – et d’une cohorte de figures qui hantent aujourd’hui les histoires du cinéma, parmi lesquels l’actrice Sharon Tate (Margot Robbie), épouse de Roman Polanski, assassinée par des membres de la « famille » de Charles Manson dans la nuit du 8 au 9 août 1969.
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A la sortie de la projection, en 35 mm, on avait compris pourquoi Tarantino avait fait lire, avant que les lumières ne s’éteignent, le message comminatoire qui circulait depuis quelques jours sur les réseaux sociaux : « les acteurs et l’équipe ont beaucoup travaillé à vous offrir quelque chose d’original, et je me contente de demander à tous d’éviter de révéler quoi que ce soit qui empêcherait les futurs spectateurs de faire la même expérience du film. »
Sans briser le tabou imposé par le shaman, on rappellera que la formulation « once upon a time » (il était une fois) est celle des contes de fées et affranchit des lois du réel, que ce soit chez Charles Perrault ou Sergio Leone. Once Upon a Time… in Hollywood est un rêve. Pour en apprécier le récit, il faut l’avoir fait, au moins un peu, soi-même. Ce qui suppose, à moins d’avoir été jeune adulte à Los Angeles en 1969, d’être amateur de cinéma de genre, de musiques pop et de faits divers horrifiques. Appartenir au genre masculin sera sans doute d’un grand secours, également.
Position subalterne dévolue aux personnages féminins
Pour appâter le chaland, Quentin Tarantino égrène les notations culturelles, ressuscitant Paul Revere and the Raiders, superstars du garage rock, ou Matt Helm, succédané de James Bond. Il le fait plus à la manière du Petit Poucet qui trace le chemin vers la maison de l’ogre que de celle de l’historien qui veut distiller la vérité d’une époque.
L’an 1969 de Quentin Tarantino est une contrée magique, peuplée de créatures terrifiantes (Charles Manson et sa « famille »), d’une gente dame, Sharon Tate (Margot Robbie) dont on ne saura pas grand-chose, et de la paire de chevaliers errants déjà mentionnés. Car il se trouve que Rick Dalton a profité de son heure de gloire pour acquérir un ranch avec piscine sur Cielo Drive, juste en dessous de celui où Roman Polanski et Sharon Tate ont succédé à Dennis Wilson, des Beach Boys, dans l’entourage duquel Charles Manson s’était introduit.
Tarantino ne témoigne pas d’autre intérêt pour l’histoire, pour la réalité des vies passées et brisées que de les mettre au service de sa fiction, de ses pulsions. Ces dernières tournent toutes autour du duo Di Caprio-Pitt, unis par une amitié indéfectible construite contre les puissants, mais aussi contre les femmes.
Sharon Tate n’apparaît que par intermittence, entre autres dans une très belle séquence qui la montre quémandant une place gratuite à l’entrée d’un cinéma pour découvrir Matt Helm règle son comte, dans lequel elle tient un second rôle. Cette position subalterne est dévolue à tous les personnages féminins, ce qui déçoit un peu du réalisateur du Boulevard de la mort.
Aujourd’hui, Tarantino préfère s’intéresser à Rick Dalton, la star devenue un peu visqueuse à force de s’apitoyer sur elle-même, un homme plein de talent qui n’a pas su l’utiliser, qui a cru pouvoir être le nouveau John Wayne alors que l’époque attendait Steve McQueen (on verra passer ce dernier, à l’occasion d’une fête à la Playboy Mansion, il a les traits de Damian Lewis). S’il n’a pas tout à fait sombré dans l’alcool c’est grâce au soutien indéfectible de Cliff Booth, qui, lui, a su préserver son physique. Tarantino prête au personnage un passé trouble – il a été accusé, puis innocenté du meurtre de sa femme.
Recoins les plus obscurs de la culture populaire
C’est Cliff qui conduit Rick sur les plateaux des séries télévisées dans lesquels il joue les méchants, systématiquement mis à mal par les héros. Lancer (imité d’un western du même titre tourné pour la télévision) par exemple, est pour l’acteur vieillissant l’occasion d’une pauvre épiphanie (il acceptera de partir en Italie tourner un western spaghetti sous la direction de Sergio Corbucci) et surtout pour Tarantino celle de porter un produit de consommation courante au niveau des grands moments du genre.
La durée du film permet ces digressions parfois magnifiques. Parce qu’il a pris une jolie adolescente en auto-stop, Cliff revient sur un ancien décor de western devenu fief de la « famille » Manson (détail géographique emprunté à l’histoire), et Tarantino s’offre un flirt avec le film de terreur, en plein jour, en plein soleil.
On trouve dans ces détours des raisons d’aimer, d’admirer aussi bien la virtuosité du filmeur que la minutie monacale des emprunts aux recoins les plus obscurs de la culture populaire. Pour évoquer le goût déplaisant que laisse Once Upon a Time… in Hollywood, il faudrait dévider jusqu’au bout le scénario et briser l’ukase de « Tsarantino ». Le film ne mérite pas tant d’indignité.
« Once Upon a Time… in Hollywood », film américain de Quentin Tarantino, avec Leonardo Di Caprio, Brad Pitt, Margot Robbie, Al Pacino, Kurt Russell, Lena Dunham (2 h 39).