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Jours tranquilles à Paris
12 septembre 2015

Pourquoi le Grand Journal de Maïtena Biraben est une grossière erreur

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L'audience du Grand Journal de Canal Plus, vitrine de l'infotainment audiovisuel s'est effondrée en deux jours. Est-ce la fin du mariage politique et divertissement à la télévision?

La chute d’audience est spectaculaire, et elle dit l’acte de décès de la politique conçue comme un divertissement à la télé. En deux jours, l’audience du temple de l’infotainment audiovisuel, Le Grand journal de Canal Plus, est passée de 915.0000 téléspectateurs à 765.000. Effroyable effondrement. C’était, hélas prévisible, puisque l’effet de curiosité escompté n’était déjà pas au rendez-vous de la reprise de l’émission, ce lundi passé. A peine un million de téléspectateurs pour l’arrivée de Maitena Biraben alors que le retour d’Antoine de Caunes aux manettes en avait attiré près de deux millions il y a deux ans, c’était déjà très inquiétant.

Tirons de cet hallucinant phénomène la leçon qui s’impose : une certaine formule mélangeant politique et people à la télévision est morte. Et enterrée.

Pourquoi un tel désaveu ?

Parce qu’à 19h, il est devenu impossible dans un pays soumis à perfusion permanente d’information, de proposer au téléspectateur, notamment le grand public qui se presse devant sa télévision à ce moment-là de la journée, le temps de la famille, le temps de la détente, le temps de la distraction, de reprendre une nouvelle dose d’information lourde.

Quand on prépare le dîner du soir, on a autre chose à regarder que de l’information politique mélangée à du divertissement.

Parce que cette dose d’information est, comme les autres, bien trop anxiogène. De ce point de vue, l’invitation faite à Manuel Valls, Premier ministre à la mine éternellement grave, éternel augure de "la menace terroriste qui n’a jamais été aussi forte", n’était pas une bonne idée pour lancer une émission de divertissement. Surtout (seconde erreur) le jour où le président de la République avait lui-même tenu une conférence de presse, ce qui obligeait le Premier ministre a ne pas tenir de propos de nature à effacer ceux du Président. Convier Manuel Valls pour la première de l’émission, c’était inviter quelqu’un qui n’avait rien de passionnant à dire. Comment ne pas l’avoir anticipé?

Passer du terrorisme à Louane...

Parce qu’il impossible de mélanger information politique et divertissement sans que le mélange des genres ne finissent par nuire. A force de vouloir intéresser tout le monde, on finit par ne plus intéresser personne. Qui peut regarder en continu une émission où dans la minute qui suit l’évocation par Manuel Valls de sujets lourds, comme le terrorisme, on passe d’un coup au dernier album de la chanteuse Louane?

La concurrence est telle, sur le marché du talk-show de l’access, que la nécessité de cibler son public est impérative. Les amateurs de divertissement pur et dur optent pour D8 et Touche pas à mon poste. Ceux qui veulent un peu de culture grand public et d’information décalée se retrouvent sur France 5, dans C’est à vous.

Parce qu’on ne peut présenter un Premier ministre en majesté, le traitant avec autant de bienveillance que Léon Zitrone accueillant Alain Peyrefitte, ministre de l’Information venant annoncer sur le plateau du journal de 20h la nouvelle formule de ce même JT.

A voir Augustin Trapenard, chroniqueur survivant de la formule Antoine de Caunes, s’appliquer à poser des questions convenues et polies au Premier ministre, on finissait par se demander s’il n’était pas possédé par le fantôme de Michel Droit, le comparse favori du général de Gaulle lors de ses passages à la télévision. Les téléspectateurs de 2015 ne sont plus dupes de ce genre de connivence.

Une pâle copie des chaînes d'info

Parce que convier, pour la seconde émission, un ancien ministre de la Défense ou des étudiants voulant implanter le FN à Sciences po conduit à copier ce qui est déjà disponible, toute la journée, sur les chaines d’info en continu. Derrière le beau décor, le Grand journal copie les chaines professionnelles d’info, le professionnalisme en moins. Et ça se voit.

Parce que la formule "politique et déconne" est datée et ne surprend plus personne. La première du genre, inventée par Patrick Sébastien sur un TF1 encore public, à savoir Lionel Jospin chantant les Feuilles mortes pour répondre à Yves Montand qui ne chantait plus mais faisait de la politique, date de 1982.

En trente ans de télévision, le public français a été gavé d’émissions de divertissement où le politique s’affichait en décalé. Cela ne surprend plus personne. En outre, dans une France en révolte sourde contre une élite politique perçue comme éloignée de ses préoccupations, déconnectée des réalités, la recherche de proximité par le divertissement finit par générer non plus de l’adhésion, mais du rejet.

Le second degré en moins

Enfin, parce qu’il manque au Grand journal ce qui permet au Petit journal de Yann Barthes, sur la même chaîne, de surfer sur le succès en continuant de mélanger politique et divertissement. D’une part, le second degré partagé, vieux reste de l’esprit Canal, totalement absent du Grand journal. D’autre part, une cible déterminée du public, les jeunes CSP+ qui ne regardent plus les vieux JT poussiéreux de 20H.

Comment la nouvelle direction de Canal Plus a-t-elle pu ainsi accumuler les erreurs de concept, projetant la pourtant talentueuse Maitena Biraben dans le mur d’un échec programmé ? (d’autant que son profil d’animatrice n’est pas celui d’une émission comme le Grand journal, elle est la compagne idéale du matin, du midi ou du week-end, mais pas celle de la fin de journée).

Les politiques vont devoir s’interroger. Faut-il continuer à se rendre, à tout prix dans ce genre d’émissions de divertissement où ils ont désormais tout à perdre, et rien à gagner? Question qui vaut, aussi, pour une émission comme On n’est pas couché, de multiples personnalités politiques, de tous bords, confessant en "off " que le traitement subi par Jean-Christophe Cambadélis face à Léa Salamé lors de la dernière livraison de On n’est pas couché, les a choqués.

Un acte de décès

Au bilan, on confirme que l’échec de la rentrée du Grand journal en sa forme actuelle acte le décès de l’émission mélangeant politique et divertissement au premier degré.

C’est donc Alain de Greef qui avait raison. A 19 heures, sur Canal Plus, la politique appliquée au divertissement est une faute de goût, qui ne correspond plus à l’état de la société française passant devant la télévision à cette heure-là de la journée. On est aussi tenté d’ajouter que la faute de goût est désormais partagé, tant par les producteurs, programmateurs et diffuseurs que par le personnel politique lui-même.

Il est sans doute temps de méditer, pour le Grand journal (et les autres ?) ce que disait encore ce génial capteur des humeurs du temps qu’était Alain de Greef : "Je suis atterré par l’omniprésence des politicards de tous bords, avec leur propagande nauséabonde et leurs parasites habituels, les éditorialistes".  L'ancien directeur des programmes était furieux, par exemple, que le Grand journal ait pu convier Eric Zemmour sur le plateau de Canal Plus: "Un odieux graffiti sur un Vermeer". Sévère, mais juste ?

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