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Jours tranquilles à Paris
6 février 2016

Bettina Rheims : du porno chic un peu trop cliché ? - Quand Télérama déglingue l'expo Bettina Rheims !

Bettina Rheims : du porno chic un peu trop cliché ?

Article de  Luc Desbenoit  

La photographe française a un sacré talent pour convaincre les institutions de la suivre. Pourtant, notre journaliste n'est pas pleinement convaincu par l'exposition proposée par la MEP.

Quelle surprise ! Les photos de Bettina Rheims occupent toutes les salles d’expositions de la maison européenne de la photo (MEP) à Paris. Un honneur rarissime dans cet établissement public, accordé avec parcimonie jusque-là à des artistes tels que Henri Cartier-Bresson ou Sebastiao Salgado. La photographe mérite-t-elle le même hommage ?

La réponse est non.

Du recyclage d'Helmut Newton et Guy Bourdin

Bettina Rheims, qui a réalisé le portrait officiel du président Jacques Chirac en 1995, est capable de réaliser de bonnes, et à l’occasion de très bonnes photos. Cependant, d’étage en étage, de salle en salle, de grand format en grand format, son travail se regarde trop souvent en plagiat des oeuvres magistrales de Guy Bourdin (1928-1991) et de Helmut Newton (1920-2004). Et ce n’est pas assumé. Car si la fille de l’académicien Maurice Rheims — commissaire priseur, historien d’art, romancier — revendique les influences de Rodin, et de Eagon Schiele, en revanche celles de ces deux photographes sont complètement passée sous silence. Alors qu’elle reprend les mêmes sujets, et parfois les mêmes scènes.

L’esprit de sa photographie s’inscrit donc dans celui des années 1970. A cette époque, Bourdin et Newton rivalisaient d’inventivité provocatrices pour présenter les collections de hautes couture dans les pages de Vogue France. Leurs ingrédients ? Violence faites aux femmes, safisme, sado-masochisme... Nous étions dans l’après 1968. Leurs images visionnaires annonçaient une société en pleine libération sexuelle, se jetant à corps perdu dans le consumérisme, le trash, la fascination pour les people. On n’en est plus là. Pourtant Bettina Rheims continue de recycler leurs codes visuels. Ceux-ci ne choquent plus et frisent le ridicule.

Plagiat de porno chic

Un exemple ? La photo de l’actrice Elizabeth Berkley qui, accroupie, s’apprête à uriner en plein air. Bretelle de robe tombée de l’épaule, on aperçoit son sexe. Ce que ses maîtres suggéraient, Bettina Rheims le montre. Plus loin, dans un triptyque, la photographe affiche des femmes nues abandonnées seules sur un lit, aux corps marqués par des strangulations, des rougeurs au poignet, sur le torse, comme si elles avaient été violentées... sauf que ces stigmates se révèlent être l’empreintes de leurs bijoux ou de leur corset. Plus loin, Sharon Stone convoite langoureusement de la bouche un pendentif en diamants.... Des clichés, dans la plus pure filiation de Newton, « l’inventeur du porno chic » qui s’était imposé avec ce cocktail détonnant mêlant l’argent, le sexe à la mode. Les femmes du photographe allemand sont imposantes, libérées, arrogantes. Celles de Bettina Rheims aussi. Autre coïncidence : une créature fait une bulle avec chewing-gum évoquant un préservatif. Newton avait imaginé très exactement la même scène...

L ’Allemand adorait jeter le trouble sur le genre, le désir, transformant des mannequins en poupées gonflables (Bettina Rheims en donne sa version) et masculinisant certains modèles. La question du genre est devenue un thème fétiche pour la photographe, dès les années 1980, avec ses portraits d’adolescents androgynes. Ce sont des images d’ailleurs souvent réussies. Son portrait de Kate Moss (1989), mi-fille, mi-garçon, dégage une puissance hypnotique. C’est suffisamment rare dans son travail pour le noter.

Scandale éventé et couleur rouge sang

Mais ce thème de l’indifférenciation des sexes se gâte avec la série I.N.R.I, de 1998. Sa femme crucifiée en lieu et place du Christ, donne plus envie de rire que de pleurer. Cette relecture des évangiles avait créé le scandale en l’an 2000. Aujourd’hui on se demande bien pourquoi. Guy Bourdin adorait la couleur rouge sang, symbole pour lui de la féminité. Le photographe avait imaginé de mémorables campagnes de mode, par exemple pour les chaussures Jourdan, en composant des images de mannequins mélancoliques, parfois désemparées, ou comme surprises après l’amour. Très exactement la définition que donne Bettina Rheims dans sa manière de diriger ses modèles dans un documentaire plutôt complaisant (1). Avec Madonna allongée sur le sol en bas résilles sur fond de tapisserie rouge, Bettina Rheims applique la recette à la lettre. Bourdin savait jeter la confusion sur des situations ressemblant à des scènes de crimes. Bettina Rheims l’imite encore avec cette femme comme morte dans une baignoire remplie de pétales rouges.

Un succès réel et étonnant

Avec le recul, le succès de Bettina Rheims auprès de grandes institutions parisiennes n’en finit pas d’étonner. La très sérieuse Bibliothèque Nationale de France à Paris lui avait réservé sa grande salle d’exposition en 2010, pour une performance mondaine sur le thème « Rose c’est Paris ». Déjà l’on avait été stupéfié par la médiocrité de la prestation avec ces photos de religieuses dévergondées dévoilant leurs seins, un «blasphème» que n’avait déjà pas raté Newton. Cette «performance» avait été imaginé avec l’ex-mari de la photographe, l’écrivain Serge Bramly, qui lui a également soufflé l’idée d’aborder pour une autre série, des femmes dans la rue, et de les faire poser nues dans un hôtel miteux.

L’une de ces images — une femme jupe baissée se penche sur le lavabo dans une position ne laissant aucun doute sur son désir — est aujourd'hui présente dans l'exposition. Le cartel  présente l’affaire comme une « grande nouveauté » en ce début des années 1990. Surprenant de la part de la MEP qui compte de très bons spécialistes de la photographie. Auraient-ils oublié la géniale américaine Diane Arbus, qui dans les années 1970, avait réussi à convaincre un travesti new-yorkais rencontré à Central Park de l’emmener chez lui, et de poser nu devant son objectif?

Dès ses premières images (1981) — des photos sado-maso en noir et blanc sans grande imagination de femmes nues attachée à un radiateur, ou à un lit — Bettina Rheims avait eu le privilège d’être publiée par la très chic revue Égoïste, au même titre que le maître Richard Avedon. La photographe croula aussitôt sous les commandes de mode et publicitaires. Soutenue hier par la BNF, aujourd’hui par la MEP et Arte... Bettina Rheims a, sans aucun doute possible, un sacré talent pour convaincre les institutions de la suivre.

bettina01

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