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Jours tranquilles à Paris
31 août 2016

In memorem : Marc Riboud est décédé

Le photographe Marc Riboud est mort à l'âge de 93 ans. Il était le premier parrain de Polka. @ Marc Riboud / Magnum Photos.

Une photo publiée par Polka Galerie (@polkagalerie) le 31 Août 2016 à 2h18 PDT

Une photo publiée par TIME (@time) le 31 Août 2016 à 6h46 PDT

Marc Riboud : "Pour faire de bonnes photos, il faut avoir surtout de bons souliers."

La photographie comme passion, tout au long d'une vie... En 1991, Marc Riboud, disparu ce 30 août 2016, partageait sur l'antenne de France Culture son expérience de cet art qui lui avait fait arpenter la planète.

Sur France Culture, le 27 août 1991, Marc Riboud, disparu ce mardi 30 août, relatait cette anecdote : "Je crois que j’avais sept ou huit ans, je me promenais sans appareil photo, et un couple sur une moto m’a croisé sur un petit chemin, s’est arrêté, et m’a tendu l’appareil en voulant que je les photographie. Ils se sont embrassés et j’étais terrifié à l’idée de regarder, de viser une scène que je sentais confusément être quelque chose de pas très bien. J’ai appuyé sur le déclic, j’ai rendu l’appareil photo, j’ai enfourché mon vélo et je n’ai jamais, évidemment, vu cette première photo !"

Une première expérience qui, d'après lui, reflétait déjà l'attitude, les réflexes qu'il adopta ensuite en tant que photographe : "À la fois une extraordinaire force de m’approcher, et ma peur de rentrer dans l’intimité, d’aller trop près."

C'était dans Le rendez-vous des arpenteurs, au micro du poète André Velter. Écoutez-le raconter ses pérégrinations avec beaucoup de verve, revenant sur la capture de quelques-uns de ses clichés les plus célèbres, qu'ils soient purement esthétiques ou qu'ils aient une dimension politique. :

"On le fait parce que, d’ailleurs c’est sûrement vrai pour la plupart des photographes, on est incapables de faire quoi que ce soit d’autre."

En début d'émission, Marc Riboud parle de son appareil photo comme étant une raison d’être, un "bouclier" lui permettant d'approcher : "On sent que là on fonctionne, on regarde, on découvre. (…) C’est merveilleux. Nous devrions voir et continuer à voir comme des enfants."

Il commence la photo à 30 ans, en 1953, après avoir fait une école d’ingénieur et s'y être ennuyé. Mais selon ses propres dire, il n'y croit pas trop, encore. Il couvre le festival d’art dramatique à Lyon, le festival d’Avignon, ou encore la construction du barrage de Tignes. Le mot "métier", appliqué à la photographie, ne laisse pas de l'étonner : pour lui, il s'agit d'une passion, alliée à une envie de courir le monde. Déjà, il se démarque des autres photographes, qui cherchent bien souvent à "prendre l'habit" pour pénétrer dans des univers peu accessibles :

"Pour bien voir, il est inutile de se fondre dans ce que l’on regarde. Il y a une mode de se faire mineur pour photographier les mineurs, musulman pour photographier l’islam, lama pour aller au Tibet… Je n’y crois pas. Si on devient l’autre, comment avoir la surprise de l’autre ? Il faut rester soi-même et fidèle à sa culture, sans aller jusqu’à porter monocle et canotier. Inutile de se faire des illusions : nos Leica en bandoulière représentent souvent une dizaine d’années de revenus du paysan que nous avons en face de nous, et cette différence s’affiche autant que notre long nez."

S'il se sentait appartenir à la tribu des grands reporters, le photographe s'estimait différent, étant "moins caméléon que les grands reporters de guerre" : "J’ai l’impression là-bas de me promener et d’être fasciné par tout ce que je vois, plutôt que de rapporter des images choc, ce que je ne sais pas faire."

"Le déploiement du nombre des objectifs, des zooms, des téléobjectifs, qui est une surenchère, n’est pas toujours les moteurs, n’a pas toujours entraîné de meilleures photographies."

Couper les amarres pour photographier l'étrange

En 1956, Marc Riboud voyage en Inde. Il y passe un an, dans le nord (Calcutta, New Delhi), avant de gagner directement la Chine où il passe cinq mois. Ne travaillant pas pour un organisme particulier, il propose spontanément ses clichés à l'agence Magnum : "Je me souviens qu’ils me reprochaient de ne pas envoyer de reportages journalistiques, de sujets, (…) chaque photo devant ne pas être de petites pièces n’ayant pas de rapport les unes avec les autres, mais ça devait constituer un ensemble."

"Je découvre que je me sens infailliblement plus proche des Chinois que des Japonais. Les Japonais, tout ressemble à notre environnement, à nos voitures, à nos maisons, à nos magasins, et pourtant un Japonais, à côté de moi, je sens un être totalement étranger. En Chine, un homme ou une femme chinoise qui parle français ou anglais, en une demie journée on est copains et on a l’humour."

Il parcourt à pied des milliers de kilomètres, photographie "au coin des routes, au coin des bois"…

"Je n’appelle pas le voyage le déplacement de Paris à Calcutta, ou de Paris à Phnom Penh. Ça c’est un transport en autobus aérien. (…) C’est d’être dans un endroit où l’on a coupé les amarres, les fils qui nous retiennent, pas seulement le fil du téléphone."

Et Marc Riboud d'évoquer l'un de ses voyages de quelques semaines au Cambodge, où il n'avait d'autre préoccupations que de regarder, de découvrir : "Trois semaines sans bouger dans un petit endroit, c’est un grand voyage." Avant de s'amuser de l'immuabilité de la nature humaine, dont il a pris conscience en revenant plusieurs fois au même endroit : "Ce jeu de la différence, du changement, bien sûr il y a des buildings, du béton, des tours, mais très souvent les gens ont très peu changé, les habitudes, les réactions des gens, et ça c’est en effet plus difficile à photographier, mais c’est passionnant."

"On photographie devant la surprise, devant l’étrange, ou l’étranger, mais dès qu’on photographie les gens les plus proches, on sent naître un jeu, ou une obligation…"

La jeune fille à la fleur, ou quand la photo se politise

En 1967, le photographe est à Washington où il assiste à une manifestation pour la paix au Viêt-Nam. Il y photographie avec passion la jeunesse américaine, et capture l'un de ses clichés les plus mythiques, qui fait le tour du monde et devient "le poster des années 68" : "La fille à la fleur", qui représente une jeune femme campée devant les baïonnettes, une fleur serrée dans ses paumes. "Le pouvoir américain avait ce jour là un triste visage", se rappelle-t-il.

"Avait-il l'impression de militer ?", lui demande André Velter : "Sur le moment, nous avions des sympathies. On était porté par cette sympathie. Puis on s’est rendus compte que ce n’était pas aussi simple que ça."

"Quand on voit un pays, quand on rencontre des gens, aimer les lieux, aimer les gens, aide beaucoup à comprendre. Je préfère les gens qui aiment que ceux qui prétendent être des spécialistes et être super objectifs. (…) Les grands spécialistes, les grands experts, est-ce qu’ils comprennent vraiment ?"

En 1985, au Tibet, soumis au régime de la Chine depuis 1959 et la fuite du dalaï-lama, Riboud photographie des monastères vides, presque entièrement détruits pas les gardes rouges.

"Bien avant 1951, le Tibet était complètement sous la domination chinoise, et qui empêchait d’entrer au Tibet ?... c’était les Britanniques. (...) Ce qui est épouvantable c’est la répression de Tian'anmen, qui a été soutenue par l’Ouest, qui a été totalement permise et continuée par l’Ouest."

Les formes ne se disent pas

En Chine, Marc Riboud photographie des paysages : la montagne Huang Shan, la grande muraille… : "Un paysage c’est un petit peu comme écouter de la musique ou lire de la poésie. Ça vous met dans un certain état d’âme. (…) Ces montagnes de Huang Shan avec ses brumes et ses nuages... le vent est si fort que le paysage change en une seconde, en un dixième de seconde. C’est des nuées qui vont à toute allure. Si vous changez d’objectif vous vous relevez et vous ne voyez plus rien devant vous. Peut être un voile de brume qui a tout caché. Il faut être au contraire très agile, il faut avoir du réflexe, un réflexe visuel, et beaucoup marcher. Souvent je dis : pour faire de bonnes photos, il faut avoir surtout de bons souliers."

"Les Français, on a envie de dire les choses, nous sommes des littéraires. Mais vous savez c’est visuel, ce sont des formes, on ne dit pas les formes. On les enregistre, le mieux possible. On chine, on regarde, et quand on trouve dans notre rectangle que l’on découpe dans la réalité quelque chose que nous aimons, on appuie sur le déclic."

Dans cette émission, Marc Riboud se remémorait également la capture de certains clichés fameux, ses tours de force : le peintre de la Tour Eiffel (1953), l'enfant pakistanais en train de regarder un  pistolet (1959 ; "Il y avait des vieillards à grandes barbes blanches, et des enfants de 7 ou 8 ans qui fabriquaient des armes."), le joueur d'échec russe, ou les enfants en uniforme dans une école de Moscou (1960)...

"On essaye de faire la photo très vite pour qu’aucun des personnages ne regarde l’objectif."

Enfin, il évoquait également très volontiers ses inspirations musicales, de Chostakovitch à Erik Satie, dans la musique duquel il y avait pour lui quelque chose qui touchait directement à la photographie ("C’est une succession de regards, de clins d’œil, de coups d’œil, à droite, à gauche, devant, derrière…")... avant de terminer cet entretien de 1991 en citant Marcel Proust : "Le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant. Et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives hélas comme les années. Texte de Hélène Combis-Schlumberger

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