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Jours tranquilles à Paris
3 novembre 2016

A Pigalle l’érotisme fout le camp

ENCHÈRES - La maison Cornette de Saint Cyr va vendre l’intégralité des pièces du musée de l’Erotisme à Pigalle. Visite de ce lieu baroque avant sa fermeture définitive dimanche.

Par   Yves Jaeglé

On se sent toujours un peu bête de découvrir un musée quand il ferme. Comme d’arriver pour le dessert. Mais que de gourmandises et de mignardises ! Dimanche à minuit, le musée de l’Erotisme, ouvert en 1997 dans le quartier Pigalle à Paris, fermera définitivement ses portes, après la dispersion de ses quelque 2 000 objets lors d’une vente aux enchères organisée par la très sérieuse maison Cornette de Saint Cyr  (lire ci-dessous).

On y allait peu, voire pas, dans ce musée bizarre à l’enseigne lumineuse comme ces lieux interlopes du quartier, ouvert jusqu’à 2 heures du matin — horaire un brin suspect — coincé entre un sex-shop et une boutique de souvenirs. S’il ferme, c’est parce que son public était constitué « à plus de 60 % de touristes, et qu’ils désertent », indique Jo Khalifa, le patron. Et le loyer devenait trop cher. Aucun autre espace bien situé n’a pu accueillir la collection. La chair est triste, comme disait Mallarmé.

De jolis petits lots

Mais rien n’est plus joyeux et bordélique — c’est le mot — que ces petits lots — oui, pardon, mais il y en a 650 promis à la vente, comprenant parfois des ensembles de cartes postales, figurines ou dessins érotiques — qui se baladent sur six étages. Un vrai bazar, où se côtoient le meilleur et, sinon le pire, du moins le plus baroque. Jo Khalifa a commencé sa collection au début des années 1980 : « J’étais prof de français au Japon et j’ai acheté quelques estampes licencieuses. J’ai continué en Asie avec des gravures et sculptures du Kama-sutra. Mais on a aussi exposé le grand dessinateur Albert Dubout, et nos amis de  Charlie Hebdo, Wolinski, Willem ou Charb. Du sexe, oui, mais avec humour. »

Khalifa, qui a un temps codirigé les lieux avec Alain Plumey, ex-acteur porno époque Brigitte Lahaie, refuse de verser dans le regret : « L’Etat ne nous a jamais aidés, sur ce genre de sujet il ne faut pas rêver. Mais on a fait du bon boulot en montrant comment le sexe est représenté dans le monde entier. » A part ici, en effet, où prend-on conscience que, du Sénégal au Pérou, de l’Inde à Paname, on ne pense qu’à ça, on le sculpte, on le dessine, on le photographie, on en fait des assemblages hétéroclites ? « Le talent de ce musée, ajoute Bertrand Cornette de Saint-Cyr, l’organisateur des enchères, c’est aussi d’être allé dénicher, chez des artistes africains plutôt versés dans le religieux, leurs rares pièces très érotiques. Comme un petit supplément coquin. »

La dispersion de poupées russes obscènes ou d’une tirelire en forme de fesses va juste nous arracher un sourire, de même que ce sexe africain, aussi incongru que beau, constitué d’une vulve-coquillages et de plumes d’oiseaux pour représenter les poils pubiens.

Mémoires de jeunes filles pas très rangées

Mais trêve de gauloiseries et fin des préliminaires, Jo Khalifa a un coup au cœur de voir se disperser son petit chef-d’œuvre, la collection Romi, nom de plume de Robert Miquel (1905-1995), journaliste à « Paris Match » et au « Crapouillot » qui avait réuni une documentation exceptionnelle sur les bordels des années 1930 : images des « filles » de Pigalle et des maquerelles appelées « Madame », toute cette vie oubliée qui affleure sur de simples cartes de visite ou publicités. « Oh là là ! Venez voir les Jolies Diablesses à la brasserie tenue par Madame Emma », « Chez Madame Yvonne à Chaumont »… Une fille de joie a noté sur une feuille volante les surnoms de ses clients et ce qu’ils ont dépensé, comme ce type appelé « Nom de Dieu », « sans doute ce qu’il proférait au lit », sourit le patron du musée. On dirait du Audiard.

Un musée flingué, c’est triste ? « Mais non, d’autres feront mieux que nous. On aura été précurseurs », sourit Jo Khalifa. A l’entrée, le guichetier, fataliste, s’apprête à « chercher du boulot ».

Voir mes précédents billets

eros

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