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Jours tranquilles à Paris
22 juin 2017

Mais qui es-tu, Penelope ?

Par Ariane Chemin - Le Monde

LIVRE. La journaliste Sylvie Bommel se glisse avec délice dans la tête de Penelope Fillon, héroïne malgré elle de la dernière élection présidentielle.

« Jamais je n’aurais pensé que je m’intéresserais un jour au destin de Mme Fillon. » Sylvie Bommel est une enquêtrice des passions françaises. L’Hexagone ne cesse de l’étonner, de l’amuser. Elle y plante une jolie plume et y déploie un humour très british : ce fameux understatement, tournure d’esprit jamais vulgaire, si tolérante face aux bizarreries. Longtemps spécialiste d’économie et de management à L’Usine nouvelle et à Capital, cette journaliste désormais indépendante s’était fendue d’un long portrait fouillé du couple Macron, paru dans Pop Story en 2016, que L’Express a choisi de republier après la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle.

Mais comment résister à celle qui a fait basculer la présidentielle française de 2017 ? Pourquoi renoncer à éclairer l’un des plus grands mystères de l’année électorale qui s’achève, celui d’une femme n’aimant que l’ombre mais donnant son nom, à la suite de salaires qu’on soupçonne fictifs, à un scandale national ?

Devinant qu’elle ne lui accorderait aucun entretien, la journaliste s’est glissée dans la tête de Penelope – prononcer « pénélopi », et ne surtout pas mettre d’accents, insiste Mme Fillon –, et jusque dans ses habits : Sylvie Bommel choisit aussi de s’habiller « n’importe comment ». Même âge, même salaire que son héroïne, mêmes fringues : « Penny and me, me and Penny », comme elle dit.

« Si fragile, si malheureuse »

Tout fait sujet dans l’œil de l’auteur. L’« adorable Anabel », journaliste à l’Abergavenny Chronicle, la guide dans le berceau gallois de Penelope Fillon ; le « charmant père Soltner », curé de l’église Notre-Dame à Solesmes, joue le rôle de « boîte aux lettres » – il n’y en a pas devant le manoir des Fillon, « ce qui, on en conviendra, n’est pas très commode pour Penelope, qui est censée gérer le courrier »… On croise aussi un pénaliste qui décrypte les manières de l’avocat de Mme Fillon – tiens tiens, ce n’est pas le même que celui de son mari.

Tiens tiens, comment expliquer ? Mais pourquoi donc ? L’auteure n’a qu’un parti pris : celui du bon sens. Sylvie Bommel déteste la Penelope qui gagne beaucoup d’argent sans presque travailler, houspille celle qui se laisse aller à trop de soumission maritale, plaint la femme au foyer « si fragile, si malheureuse » qui se dévoile, en février 2017, dans un entretien accordé dix ans plus tôt au Sunday Telegraph, exhumé en plein « Fillongate ». L’auteure s’attache à Penelope, s’en détache, renoue quelques pages plus loin.

A la Bibliothèque nationale de France (BNF), la journaliste dépouille de vieux numéros du Maine libre et d’Ouest-France – aussi curieuse que le juge Serge Tournaire, chargé de l’enquête Fillon au pôle financier de Paris, qui a écrit aux Nouvelles de Sablé ou à L’Echo de la vallée du Loir pour savoir si Penelope a effectivement travaillé dans la circonscription de son mari. Elle y a déterré des archives inédites.

Ainsi cet entretien à L’Eperon, le magazine des cavaliers et cavalières comme Mme Fillon, qui confesse : « Les naissances des poulains de ma poulinière ont été des moments presque aussi émouvants que celles de mes enfants. »

A Paris, Mme Fillon bovaryse

Quelques pages plus loin, on voit passer un mystérieux cavalier. Plus que M. Tournaire sans doute, Sylvie Bommel aime les romans de Jane Austen, raffole de psychologie, et pense que les passions mènent le monde. On apprend dans son livre que « Penelope » a pleuré lorsque, son mari nommé premier ministre à Paris, elle doit vendre ses chevaux.

2007. Un tournant. A la capitale, Penelope Fillon bovaryse. Elle est décidément à contre-courant : dans les entretiens donnés à la presse anglaise affleurent son blues et son peu de sympathie pour son pays d’adoption – elle déteste les « coupes à la française », raconte son coiffeur. Alors que son mari trime à Matignon, Mme Fillon est victime d’« une déstabilisation psychologique » – ce sont les mots de son mari.

Sylvie Bommel s’attarde peu sur les goûts de luxe de François Fillon, préférant explorer une autre hypothèse : une épouse qui s’étiole, ce n’est pas idéal pour un mari qui veut devenir président. Les notules commandées par la Revue des deux mondes devaient agir comme un antidote au poison de l’ennui.

Acidité et fraîcheur

« Travailler ou ne pas travailler ? To be or not to be ? Devenir avocate ou se marier à un Français ? Gagner sa vie ou élever ses enfants à la campagne ? Etre indépendante ou avoir un compte joint ? Se sentir nulle ou se faire mousser ? Acheter un manoir ou vivre simplement ? Faire mieux que sa mère ou moins bien que sa fille ? C’est l’histoire de sa vie qu’il lui demande de raconter, le juge Tournaire », durant ses douze heures d’audition.

Dans la fameuse vidéo anglaise de mai 2007, Penelope Fillon s’offusque : elle n’a « jamais été l’assistante » de son mari. Mais précise : « J’ai un diplôme de français, j’ai fait du droit, j’ai un diplôme d’avocat. »

En fait, non. Le juge d’instruction apprendra dans le livre de Sylvie Bommel que ces diplômes de droit n’existent pas. Penelope est l’héroïne interlope d’un livre qui hésite entre comédie et tragédie, mais raconte mille autres choses : l’histoire d’un modèle politique mis à mal par le « dégagisme » du moment, d’une époque où un député se justifiait par des « tout le monde fait ça », d’un milieu, aussi : « J’ai marié en juillet mon fils aîné » ; ainsi parle François Fillon.

Pas de moqueries – si faciles dès qu’on parle de riches, de particules, de « province » –, mais pas de complaisance non plus dans ce livre frais et acide comme un berlingot anglais. Un exemple ? Telle la Miss Marple d’Agatha Christie, Sylvie Bommel a noté que François Fillon ne citait jamais Penelope dans Faire, le livre confession publié en 2015 chez Albin Michel pour préparer son accession à l’Elysée. Ah si, une fois, dans la dédicace. Avec deux accents aigus…

Penelope, de Sylvie Bommel, éditions JC Lattès, 264 pages, 17 euros.

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