Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
31 juillet 2017

PHOTOESPAÑA, GRAND BAIN RÉVÉLATEUR

Par Gilles Renault Envoyé spécial à Madrid

Giga-catalyseur fédérant aujourd’hui plusieurs villes à l’international, le «Arles espagnol» fête cette année sa 20e édition. Un bilan d’étape entre facilités académiques et vrais coups d’éclat.

Une myriade d’affiches constellent cet été les rues de Madrid. Mais on pourrait ne guère y prêter attention, tant le caractère laconique du slogan réfute toute tentation tapageuse. Sur un fond jaune orangé figurent en effet les lettres XX, qui ne font pas référence au trio indie rock londonien mais aux chiffres romains annonçant la vingtième édition du festival PhotoEspaña.

Créé le 3 juin 1998 à l’initative d’une SARL, la Fabrica, l’événement est devenu une référence mondiale, développée à très grande échelle selon un mode opératoire immuable que la directrice, Maria García Yelo, ne manque pas de rappeler chaque année : «Nous sommes un festival sans domicile fixe ni ressources propres, qui repose sur la qualité des liens que nous établissons avec toutes les institutions qui acceptent de collaborer avec nous.» Giga-catalyseur (1 500 expos et plus de 6 000 artistes figureraient déjà au palmarès !), PhotoEspaña se décline ainsi à l’Institut Cervantes comme au Museo ICO, au musée national du Costume, au Prado, au musée Thyssen-Bornemisza, au Círculo de Bellas Artes ou au Jardin botanique, entre autres lieux - souvent prestigieux - qui hébergent des dizaines d’expositions (gratuites, ou à des tarifs modiques) pendant trois mois. Sachant qu’au fil des ans, il a aussi élargi son champ d’action à d’autres villes d’Espagne (Barcelone, Bilbao, Valence…) et de l’étranger (Pékin, Buenos Aires, Chicago, Berlin, jusqu’à Mérignac et Chalon-sur-Saône pour la France), partenaires pour l’occasion, et qu’il attire des centaines de milliers de visiteurs, PhotoEspaña apparaît désormais comme une docte arborescence, aussi respectable et respectée sur le fond que, parfois, un brin confuse dans son agencement.

Longtemps, le festival a opté pour des thématiques ; puis il a confié tout son trousseau de clés à un unique commissaire artistique. De 2014 à 2016, il a tenté un découpage géographique aux frontières très (trop) larges, (Amérique latine, Espagne, Europe). Pour souffler ses vingt bougies, le festival imagine maintenant une formule hybride en proposant une carte blanche à Alberto García-Alix, comme convié à décorer la vitrine en sélectionnant six expos qui donnent le tempo… sans établir de lien avec le reste du programme.

Faire de García-Alix, déjà présent la première année, l’ambassadeur de PHE 17 (pour PhotoEspaña 2017) n’a rien d’une hérésie, tant son aura a, de longue date, franchi les frontières du pays. Toutefois, l’artiste est étroitement associé à une époque révolue, la Movida des années 80, et trente ou quarante ans plus tard sa prédilection pour la «marge» (défonce, prostitution, monde de la nuit) peine à coller à l’époque, comme en témoignent des choix «sulfureux» aussi rebattus que Pierre Molinier, Antoine d’Agata et Anders Petersen (ce dernier, toujours accoudé au café Lehmitz).

Redondant ou pas, on constatera cependant, dans le flot de propositions, que PHE 17 parvient à arpenter comme chaque année quelques voies moins balisées, à l’instar des trois accrochages ci-dessous détaillés.

Minor White, natures érotiques

«L’interrogeant pour savoir si je pouvais devenir photographe, Alfred Stieglitz me demanda à son tour : "As-tu déjà été amoureux ?" Je répondis : "Oui" et il me dit : "Alors, tu peux être photographe." En l’occurrence, Minor White en pinçait pour les garçons, ainsi qu’en témoignent une série de pauses lascives du modèle Gino Cipolla au galbe parfait, ou ce portrait de l’artiste himself, planté sur ses vieux jours - en sosie de Neil Young - au milieu de garçons la bite à l’air.

Minor White (mort en 1976 à 67 ans) est vanté à Madrid comme «un des photographes américains les plus importants du XXe siècle». Quoiqu’un tantinet survendue, la quête spirituelle et philosophique du cofondateur, en 1952, de la revue Aperture gagne cependant a être (re)découverte, à travers une série de tirages en noir et blanc où, contrastant avec le caractère explicite des nus masculins, sa vision de la nature (Vermont, Oregon…) s’exprime ici dans une magnifique théorie d’images abstraites - nodosité des troncs, anfractuosités du relief côtier, traces de pneus dans la neige. Egalement enseignant et éditeur, Minor White envisageait la photographie comme une source infinie de questionnement sur le sens de la vie, PhotoEspaña apportant pour l’occasion une quarantaine d’éléments de réponse probants.

PhotoEspaña rend hommage au cinéaste Carlos Saura en exposant ses reportages photo sur l’Espagne rurale des années 50. Pourquoi pas ? Il ne faudra pas nous en vouloir, pour autant, de préférer à l’archétype passéiste un panorama d’artistes actuels, autrement fougueux et intrigant. Parmi ceux-ci (Bego Antón, Mar Martín), le Castillan Jesús Monterde marque les esprits en présentant un monde rustique d’une rare crudité (fond et forme compris), prétexte à mille et une extrapolations ambiguës, sinon potentiellement maléfiques. Procédant par associations, il accole ainsi un enfant tirant sur une grosse corde et un arbre, comme pour sous-tendre une interprétation suicidaire. La saillie de deux canassons renvoie au cadavre pendu par les pattes d’un ongulé se vidant de son sang. Et une image pieuse cohabite avec un cierge sur lequel dégouline une cire propice à une interprétation dénuée d’équivoque. Jesús Monterde fait partie du collectif madrilène Blank Paper, présent cette année aux Rencontres d’Arles.

Rafael Milani, magique amazonie

Il faut un certain temps d’adaptation pour s’immerger dans les images de Rafael Milani, de même qu’on doit parfois redoubler d’effort pour discerner telle présence animale, lovée au cœur d’une végétation luxuriante. Jeune photographe brésilien au seuil de la trentaine, Milani a fait ses gammes à São Paulo ; mais, à l’exact opposé du tumulte citadin de la mégapole, c’est dans le tréfonds forestier de l’Amazonie qu’il puise une inspiration très picturale, fondée sur l’observation de créatures souvent réduites à l’état de silhouettes bataillant dans une nature dense et pénombreuse qui ne demanderait qu’à les engloutir. Inspiré par l’auteur brésilien Inglês de Sousa, qui publia à la fin du XIXe siècle ses Contos amazônicos, le photographe déploie une magie suggestive où le vol nocturne d’une chouette, des sauriens échoués dans le lointain sur une berge ou encore des humains réduits à l’état de contours ectoplasmiques fusionneraient en une sarabande énigmatique, sinon maléfique.

XXe festival PhotoEspaña à Madrid, jusqu’au 27 août. Rens. : www.phe.es

Publicité
Commentaires
Publicité