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Jours tranquilles à Paris
20 novembre 2017

En Indonésie, les nazis sont à la mode

Par Bruno Philip, Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est - Le Monde

hitler

Une statue d’Hitler, un « Soldaten Kaffee », un vidéoclip en costume d’époque… Le IIIe Reich fascine l’archipel, plus par ignorance que par idéologie.

LETTRE DE BANGKOK

Une jeune femme fait un « selfie » devant une statue de cire d’Adolf Hitler placée devant la photo presque grandeur nature du portail du camp d’extermination d’Auschwitz, surmonté de la tristement célèbre formule : « Arbeit macht frei ». Jusqu’au 10 novembre, les visiteurs d’un musée indonésien de la ville de Yogyakarta pouvaient ainsi se faire photographier, le plus souvent hilares, devant un « Führer » en grand uniforme et au regard martial de rigueur…

Même dans une Indonésie souvent peu au fait des horreurs de la seconde guerre mondiale, l’« attraction » a fait des vagues. Au point que le directeur du « Musée de l’art des statues », situé dans cette grande ville estudiantine considérée comme la capitale culturelle de Java, a dû retirer l’effigie d’Hitler. Depuis Los Angeles, le Centre Simon-Wiesenthal avait auparavant réagi et demandé que soit enlevée immédiatement la statue.

« Nous ne voulions pas choquer », s’est défendu le directeur, Jamie Misbah, affirmant maladroitement que l’exhibition d’une telle sculpture avait été imaginée à des fins d’« éducation »… Environ 80 sculptures d’autres célébrités mondiales passées et présentes voisinaient avec celle du chef du régime nazi. Le directeur avait cependant trouvé « normal » que les visiteurs se précipitent devant la statue d’Hitler, l’exposition de cette dernière ayant connu un franc succès. Sur les réseaux sociaux, la reproduction des « selfies » des visiteurs avait fait un tabac…

Fascination pour « les choses liées à la seconde guerre mondiale »

Ce n’est pas la première fois que le plus grand pays musulman du monde, où réside une très petite communauté juive, se fait remarquer pour de telles dérives.

En janvier 2017, un café utilisant le thème nazi dans sa décoration avait ouvert à Bandung, grande ville de l’Ouest javanais. Les serveurs étaient vêtus de l’uniforme noir des SS, bandeau au bras avec swastika dans un cercle blanc sur fond rouge ; un portrait d’Hitler trônait sur un mur. Le propriétaire avait également collé des affiches représentant l’aigle allemand, barrées de slogans militaristes de l’époque nazie. L’endroit s’appelait le « Soldaten Kaffee », en référence avouée à un établissement parisien situé place de la Madeleine durant l’Occupation et ainsi nommé parce qu’il était essentiellement fréquenté par des soldats allemands en uniforme.

Son gérant, Henri Mulyana, a fermé son « Kaffee » en début d’année, mais pas en raison de pressions externes, même s’il avait tout de même reçu quelques menaces de mort : « J’ai fermé parce que mon bar n’attirait pas grand monde », déclara-t-il benoîtement. Lui non plus ne voyait pas très bien pourquoi le choix du décor pouvait choquer : « Je n’ai pas fait ça parce que j’aime Hitler, mais parce qu’ici, on est fasciné par les choses qui sont liées à la seconde guerre mondiale », tenta-t-il de se justifier. Après avoir dû fermer une première fois faute de clients, le gérant avait fait cette dernière tentative de réouverture, même s’il avait pris cette fois la précaution d’élargir le spectre de son thème : à côté d’Hitler, il avait placé des portraits de Staline et de Churchill…

Réagissant à l’affaire de la statue de cire, le responsable pour l’Indonésie de Human Rights Watch, Andreas Harsono, a déclaré que l’utilisation de telles esthétiques à des fins prétendument culturelles le rendait « malade ». Il a ajouté que cette mode pour le nazisme était le signe que le sentiment antisémite était peut-être plus répandu qu’on ne le croit dans l’archipel.

Costumes du IIIe Reich

Pourtant, la plupart des Indonésiens ignorent tout de la guerre en Europe – même s’ils furent occupés par les Japonais durant la deuxième guerre mondiale. Et s’il existe dans l’archipel un certain antisémitisme, il est essentiellement la répercussion du conflit palestinien. C’est Israël qui est visé, pas les juifs. Pourtant, et pour des raisons qui n’ont rien à voir explicitement avec l’antisémitisme, le nazisme – ou le fascisme – reste une idéologie qui continue de fasciner certains partisans de l’ordre dans un pays dirigé de 1967 à 1998 par le dictateur Suharto.

Son gendre Prabowo Subianto, qui fut lieutenant général dans l’armée et avait été candidat malheureux au second tour de l’élection présidentielle de 2014, s’était auparavant félicité d’un clip vidéo, utilisant l’esthétique nazi, tourné en son honneur : une pop star indonésienne, Ahmad Dani, avait entonné une chanson de soutien au candidat vêtue du même costume que portait le chef des SS Heinrich Himmler… Prabowo avait posté la vidéo sur sa page Facebook en se fendant du commentaire suivant : « Ce clip va me rendre plus fort. Vive L’Indonésie ! »

L’idéologie exprimée par Prabowo n’était pas totalement surprenante quand on sait que son beau-père, Suharto, commença sa carrière en faisant exterminer plusieurs centaines de milliers de communistes au milieu des années 1960, dans ce qui est resté comme l’un des grands crimes de masse du XXe siècle. Suharto avait appelé son régime : « l’ordre nouveau »…

Ces dernières années, une sorte de « mode nazie » a émergé en Asie du Sud-Est. La plupart du temps, les gens qui véhiculent ce genre de slogans ou s’habillent avec des costumes du IIIe Reich ne réalisent pas la portée de ce qu’ils font. Reste qu’Hitler incarne pour certains, moins ignorants mais plus dangereux, le symbole de l’homme fort et de la fierté nationale… Le clip vidéo de la pop star indonésienne avait cependant provoqué un scandale dans son pays. Preuve qu’en dépit de « dérapages » malencontreux, un certain nombre d’Indonésiens sont désormais au fait des réalités de la guerre mondiale en Europe et de l’horreur du nazisme.

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