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Jours tranquilles à Paris
22 novembre 2017

Etienne Daho entre tourbillons musicaux et existentiels

Par Stéphane Davet - Le Monde

Onzième album du Rennais, « Blitz », rythmé d’audaces psychédéliques, vibre des tourments du monde.

Icône pop, Etienne Daho est aussi un enfant du rock. On avait tendance à l’oublier, tant, pendant des années, le chanteur a fui les œillères du purisme électrique pour modeler un style se moquant des frontières.

C’est pourtant bien un orage de basse contondante, guitare distordue et roulements de batterie tribale qui tournoie dans Les Filles du canyon, en introduction de Blitz, envoûtant onzième album peuplé d’audaces psychédéliques renouvelant radicalement le répertoire de cet éternel jeune homme, âgé aujourd’hui de 61 ans.

Début septembre, un slow moelleusement givré, Les Flocons de l’été, premier single tiré de l’album, lançait sur une fausse piste en rappelant le délicieux engourdissement d’un classique comme Des heures hindoues (1988). La chanson n’en évoquait pas moins, de façon cryptée, un moment de la vie du chanteur, sans doute décisif pour l’énergie imprégnant son nouveau disque.

Exaltations de fan

Car ce « Tout est blanc/Etouffé/Faux-semblant/Allongé/C’est l’hiver en été » se souvient d’un été 2013, passé dans un lit d’hôpital, après avoir frôlé la mort pour cause de péritonite mal détectée. Remis sur pied, le Dorian Gray de la pop française avait plus que jamais besoin d’affirmer la vitalité d’un talent régulièrement aiguisé par la remise en question.

Comme souvent, le déclic de sa régénération est venu de ses exaltations de fan. Début 2016, celui qui partage sa vie entre Montmartre et un pied à terre londonien dans le quartier d’Earls Court, s’est ainsi enthousiasmé pour un trio, Unloved, dont le premier album, Guilty of Love, n’avait pourtant pas dépassé une audience très confidentielle.

« Ce disque m’a retourné le cerveau », confiait-il au printemps (magazine M du 23 juin 2017) à propos des musiques produites par le réalisateur nord-irlandais David Holmes et le couple californien formé par la chanteuse Jade Vincent et le multi-instrumentiste Keefus Ciancia.

Enthousiasmante fraîcheur

Electrisé par ces mélanges brassant échos des girls groups des années 1960, guitares vénéneuses du Velvet, mur du son spectorien, méandres sombres du trip-hop et élan épique des musiques de film, Daho a invité Unloved à participer à l’album, le temps de deux morceaux : la ballade finale de Nocturne et l’hypnotique kaléidoscope de The Deep End.

Quatre ans après le voluptueux apaisement de son précédent album, Les Chansons de l’innocence retrouvée, le chanteur a surtout retenu de cette rencontre une radicalité noctambule et sonique qui l’a aussi fait renouer avec de vieilles passions. Première idole rock de l’ancien Rennais, le guitariste anglais Syd Barrett (1946-2006), fondateur du Pink Floyd, a ainsi ressurgi dans la vie de Daho pour nourrir tourbillons musicaux et existentiels.

Reparti sur les traces londoniennes de ce musicien qui avait arrêté brutalement sa carrière en 1972, à 26 ans, à la suite de graves troubles mentaux amplifiés par l’usage des drogues, le fan fétichiste s’est aperçu que ce dernier avait habité à deux pas de son appartement d’Earls Court. Sympathisant avec l’ex-colocataire de Barrett, le peintre post-moderniste Duggie Fields (qu’on entend dans le premier titre de Blitz), Daho est allé jusqu’à écrire trois de ses nouvelles chansons – Chambre 29, Les Cordages de la nuit et Voodoo Voodoo – dans l’ancienne chambre de ce pionnier esquinté du psychédélisme.

IL DÉTOURNE LES FRAGMEN­TATIONS VERTIGINEUSES DE BARRETT ET D’AUTRES CITATIONS DE SON PANTHÉON ROCK

Là où tant d’autres se contentent de recycler leurs fantasmes sur le mode du pastiche, Etienne Daho métamorphose ces références avec une enthousiasmante fraîcheur. Avec la complicité du réalisateur Fabien Waltmann, déjà artisan des textures électroniques de l’album Eden (1996), il détourne les fragmen­tations vertigineuses de Barrett et d’autres citations de son Panthéon rock : l’orgue Farfisa des Seeds dans Les Cordages de la nuit, les riffs engourdis de Jesus and Mary Chain dans Les Filles du canyon, le gimmick vocal de Time of the Season, des Zombies, dans Chambre 29, une architecture à tiroirs digne des Beach Boys dans Après le Blitz…

Emprunts au passé et trouvailles d’aujourd’hui se frottent ainsi les uns aux autres, dans un ordonnancement pop du chaos, comme pour mieux évoquer l’instabilité ambiante.

Si, depuis l’album Le Condamné à mort (2010), son adaptation de l’œuvre de Jean Genet, interprétée avec Jeanne Moreau, l’écriture de l’auteur de Week-end à Rome semble plus attirée par l’abstraction, nombre des textes de Blitz vibrent des tourments du monde et de l’imminence de guerre.

Drame intime

Malgré les fous de dieu, les menaces et les attentats, sa voix à l’éternelle douceur appelle à la résistance. En évoquant celle des années 1940 dans Hôtel des infidèles, l’un des trois titres composés et coproduits (de manière plus classiquement mélancolique que le reste de l’album) avec le vieux complice Jean-Louis Piérot, dont les arrangements de cordes font particulièrement merveille dans L’Etincelle.

En résistant aussi aujourd’hui. « Nous danserons dessous les bombes, derniers adieux à l’autre monde/Dans un ultime bras d’honneur, sans les médailles et sans les fleurs », chante-t-il dans Après le Blitz. Avant de fredonner, fidèle à lui-même : « Nous resterons légers face au danger, légers face au danger. » Une légèreté qu’il s’efforce aussi de garder face au drame intime de la disparition d’une sœur chérie, honorée dans Le Jardin, la chanson la plus sensuelle et euphorique de l’album.

EMPRUNTS AU PASSÉ ET TROUVAILLES D’AUJOURD’HUI SE FROTTENT AINSI LES UNS AUX AUTRES

La réussite de cette nouvelle étape donnera envie de replonger dans le parcours d’un dandy à l’impeccable longévité. L’actualité nous en donne l’occasion, avec la sortie de l’édition réactualisée de Daho (Flammarion), de Christophe Conte (372 pages, 19,90 euros), excellente biographie nourrie d’entretiens avec l’artiste et ses proches, mais aussi avec un joli livre de photos souvenirs, Avant la vague – Daho 78-81 (RVB Books) de Pierre-René Worms et Sylvie Coma (162 pages, 34 euros), saisissant l’apprenti chanteur de la fin des années 1970 jusqu’à l’enregistrement de son premier album.

Dans la foulée de Blitz, la figure tutélaire de plusieurs générations d’artistes sera aussi l’ordonnateur d’une exposition baptisée « Daho l’aime pop », prévue du 5 décembre au 29 avril 2018 à la Philharmonie de Paris (catalogue édité par Gallimard), pour laquelle le chanteur a choisi et commenté 200 photos, dont une trentaine de portraits qu’il a lui-même tirés, pour conter une histoire subjective de la musique française des années 1950 à aujourd’hui.

« Blitz », 1 CD Virgin/universal

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