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Jours tranquilles à Paris
22 novembre 2017

Clope à l'écran : Agnès Buzyn allume le cinéma français - Article de Laurent Joffrin

Les ministres de la Santé successifs – ou successives – devraient poser une limite à leurs bienfaisantes campagnes contre la maladie : la limite du ridicule. Agnès Buzyn, fort bonne ministre au demeurant, suivant la comique proposition d’une sénatrice socialiste, envisage d’interdire la cigarette dans les films produits par le cinéma français. Comme dirait le Canard Enchaîné corrigé par une écriture inclusive, le «mur du çon·ne» n’est pas loin d’être franchi. Outre qu’il existe en France une institution, désagréable aux pouvoirs mais indispensable au citoyen, la liberté de création, on doit remarquer que les scénaristes, les producteurs, les metteurs en scène ont aussi pour fonction de donner de la réalité sociale ou humaine une représentation certes stylisée mais aussi crédible. A la différence des professeurs, des moralistes ou des prêtres, ils ne sont pas chargés de l’édification du public. Il se trouve que beaucoup de gens fument. C’est éminemment regrettable mais c’est un fait. Interdire de le montrer, c’est confondre esthétique et morale, c’est ériger le politiquement correct, ou le sanitairement correct, en règle de narration.

Imaginons que l’on poursuive dans cette voie : il faudrait dans ce cas le faire avec une certaine cohérence. La cigarette tue à petit feu, nous en sommes d’accord ; sa représentation à l’écran pourrait influer sur les comportements, admettons. Mais que dire dans ce cas de la torture, du massacre à la tronçonneuse, des meurtres de la mafia, des tueries diverses et variées complaisamment mises à l’écran par tant de producteurs et dont on peut penser qu’ils influent tout autant sur le comportement des spectateurs ? Si l’on interdit les cigarettes à l’écran, faut-il autoriser la description, souvent obsessionnelle et minutieuse, de l’assassinat, de la folie guerrière, du meurtre en série, du massacre de masse et même du génocide ? Faut-il, en somme, ressusciter le défunt code Hays qui réglementait naguère à Hollywood, de manière pointilleuse, la représentation du sexe et de la violence ? Non que tout soit permis : le cinéma, comme t oute expression publique, doit se garder de l’incitation au meurtre ou du racisme. Mais la cigarette ? Que deviendront Bogart, Bacall, le Samouraï de Melville, Gainsbourg et ses gauloises, Sherlock Holmes ou Maigret et leur pipe légendaire, qui tous fumaient comme des pompiers, comme des cheminées, comme des bolcheviks ? Au placard ? Il est un moment où l’excès de vertu se retourne contre la vertu elle-même. Rousseau, pour des raisons analogues, considérait que le théâtre était par essence immoral, parce qu’il faisait, même involontairement, l’apologie des passions mauvaises. Fort heureusement, il n’a pas été suivi. Alors Agnès Buzyn… Laurent Joffrin

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