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Jours tranquilles à Paris
13 décembre 2017

Sophie Calle : « Ma maison est bourrée d’animaux empaillés »

Entre un ours empaillé et un cabinet d'armes précieuses, Sophie Calle s'est glissée dans les espaces baroques du Musée de la chasse et de la nature, à Paris, où elle invite la sculptrice Serena Carone. Chasseuse dans l'âme, toujours à l'affût de nouveaux destins, la plasticienne s'y trouve comme chez elle. - Photo : Laura Stevens (@misslaurastevens) - Lire notre entretien : http://bit.ly/2C66GVu - #SophieCalle #Art #Culture @musee_chasse_nature



585 Likes, 12 Comments - Le Monde (@lemondefr) on Instagram: "Entre un ours empaillé et un cabinet d'armes précieuses, Sophie Calle s'est glissée dans les..."


Par Emmanuelle Lequeux - Le Monde

La plasticienne expose au Musée de la chasse et de la nature, où elle invite la sculptrice Serena Carone.

Entre un ours empaillé et un cabinet d’armes précieuses, Sophie Calle s’est glissée dans les espaces baroques du Musée de la chasse et de la nature, à Paris. Chasseuse dans l’âme, toujours à l’affût de nouveaux destins, la plasticienne s’y trouve comme chez elle.

Elle explique ses affinités avec la singulière institution du Marais, qui développe depuis des années un beau programme d’art contemporain, et son choix d’inviter son amie artiste Serena Carone pour l’accompagner dans l’aventure.

Après le sommet de la tour Eiffel, le cimetière de Brooklyn, le luxueux hôtel La Mirande d’Avignon, vous voilà au Musée de la chasse !

Je n’y suis pas dépaysée, car ma maison est bourrée d’animaux empaillés. Chaque personne de mon entourage a son équivalent animal chez moi. Ma mère, c’est une girafe, mon père, un tigre. Chaque fois que quelqu’un entre dans ma vie, je cherche son correspondant : un castor masqué, un bélier, des bébés huskies. J’ai un couple d’amis que je représente par deux flamants roses couverts de bijoux. Mon amie Florence Aubenas, ce sont tous les renards de la maison. Serena ? Un petit singe paresseux, dans son lit.

Tous ces animaux, ça fait peur aux gens, a priori, mais quand ils sont chez moi, ils trouvent ça très joyeux. C’est la même chose pour ce musée, qui n’a finalement rien de morbide. La seule note morbide, c’est moi qui l’apporte : j’ai pendu un chat à un fauteuil.

Rien de morbide, mais le deuil de votre chat Souris fait, lui aussi, l’objet d’une œuvre.

C’est vrai. D’ailleurs, grâce au récit que j’ai fait au Monde de la mort de Souris, j’ai été désignée comme la pire artiste depuis mille ans par Alain Soral sur son site Egalité et réconciliation. Ils ont même fait une parodie de moi, chevauchant mon chat. Un véri­table honneur ! Vous imaginez, mille ans !

Rien de morbide, mais le ­parcours s’ouvre sur le regard de Bob Calle, votre père, grand collectionneur d’art, disparu récemment. Exposer, est-ce une façon de faire son deuil ?

Quand le musée m’a invitée, c’était une période où je n’avais plus beaucoup d’idées, car mon père venait de mourir. L’espace, plutôt grand, me faisait aussi un peu peur. J’ai donc proposé à mon amie Serena Carone de m’accompagner dans l’exposition.

Son vocabulaire est très animalier, c’était une évidence, et on a croisé nos univers. En plus c’était très gai, ça m’a portée. Mais c’est effectivement ma première exposition depuis la mort de mon père. La dernière qu’il ait vue, c’est celle que j’ai faite au Bal, et il avait beaucoup aimé. A ma grande surprise.

Pourquoi surprise ?

Moi-même, je n’étais pas sûre de cette exposition. Je marchais sur des œufs, ce qui m’arrive rarement. Je trouvais que j’avais manqué de suite dans les idées. Je me suis installée une nuit dans une cabine du péage de Saint-Arnoult, en demandant aux gens qui passaient : « Où voulez-vous m’emmener ? »

J’avais prétendu aller là où les gens me diraient d’aller, mais je n’étais pas du tout partie de chez moi avec un ­pyjama et une brosse à dents. Plutôt comme quelqu’un qui sait qu’il rentrera chez lui le soir venu. J’avais la flemme. Pas envie de me retrouver au fin fond de je ne sais où. J’ai donc réalisé ce projet en ­sachant que je n’irai pas au bout du jeu. Je n’étais plus prête à l’aventure comme je l’étais à 20 ans. Et pourtant mon père a adoré !

Peut-être a-t-il senti qu’enfin vous preniez moins de risques, et qu’il pouvait partir tranquille ?

Je ne crois pas, il ne calculait pas comme ça. Il voulait que je prenne des risques, que ce soit radical. Dès que c’était trop joli, ou dans un cadre décoratif, ça l’énervait. Il disait : « Souviens-toi, Sophie, accroche avec des punaises ! »

Pour les cartels du Musée de la chasse, j’ai déniché dans une boutique d’Arles une série de cadres très moches, avec des petits chiens sculptés. Le directeur du musée, Claude d’Anthenaise, les adore. Mais je ne suis pas sûre que mon père aurait apprécié !

Quand il n’aimait pas l’une de vos œuvres, vous le disait-il franchement ?

Et même violemment ! D’ail­leurs il ne me disait jamais qu’il aimait. Il était très dur. Quand il avait tout aimé, il trouvait toujours un moyen de contourner, une poussière. Par exemple, il disait : « Je n’aime pas le cadre de la deuxième photo, là… » Et je lui répondais : « Oui, mais les 400 autres, qu’en penses-tu ? »

Serena Carone a notamment sculpté ici votre tombeau. Vous y apparaissez couverte de fleurs, en majesté. Quelle impression cela fait-il de se voir en figure mortuaire ?

Vous savez, je commence à m’acheter des trous un peu partout, au cas où. J’ai toujours voulu être enterrée au cimetière du Montparnasse, que je traversais tous les jours pour aller à l’école. Beaucoup de mes amis y sont, mon père, ma mère. Tous les ans, on allait boire du champagne avec mon père sur sa future tombe. Mais la loi a changé, et l’on ne peut plus investir à l’avance dans un tombeau.

Donc moi, je sens que n’aurai pas le droit d’être enterrée là. Alors je multiplie les tombeaux. Et sur mes stèles, j’écrirai peut-être : « Est-elle vraiment là ? » Je ne veux pas seulement un trou, je veux l’investir à l’avance. Ecrire une histoire, enquêter sur mes voisins… C’est comme ça que j’ai acheté un caveau au cimetière de Bolinas, en Californie, où j’ai fait mes pre­mières photos de tombe, où j’ai commencé ma carrière d’artiste. Quand j’ai demandé au directeur comment je serais rapatriée, il m’a répondu : « Si c’est des cendres, par Fedex. Si c’est le corps entier, par UPS. »

J’ai fait aussi un projet au cimetière de Brooklyn, où je propose aux gens de venir dé­poser des secrets, et ils m’ont donné la tombe ! En fait, je souffre du syndrome du FOMO (Fear of ­Missing out), cette crainte de rater quelque chose qui me pousse à sortir tout le temps, à tout voir. Même pour ma tombe, j’ai peur que ça soit mieux ailleurs !

« Beau doublé, Monsieur le marquis ! », de Sophie Calle et son invitée Serena Carone. Musée de la chasse et de la nature, 62, rue des Archives, Paris 3e. Tél. : 01-53-01-92-40. Du mardi au dimanche, de 11 heures à 18 heures, 21 h 30, les mercredis. De 6 € à 8 €. Jusqu’au 11 février. Chassenature.org

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