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Jours tranquilles à Paris
21 janvier 2018

Patrimoine : « Stéphane Bern galope tel le chevalier inconscient face à une armada de problèmes »

Par Michel Guerrin - Le Monde

Dans sa chronique, Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde », revient sur la mission du présentateur pour sauvegarder le patrimoine français en péril et le rôle de l’Etat.

On a demandé à Stéphane Bern de résumer sa mission : « J’écope un puits sans fond avec une petite cuillère. » Déprimant ? « Passionnant. » Le Monsieur Patrimoine d’Emmanuel Macron, titre qui n’est pas sans agacer les professionnels de la profession, galope tel le chevalier inconscient face à une armada de problèmes. Mais il avance. Sa mission est de trouver de l’argent pour sauver nos monuments en péril.

De l’argent, il est en passe d’en trouver à travers le loto, une idée qui verra le jour lors des Journées du patrimoine, les 15 et 16 septembre, sous l’égide de la Française des jeux. La principale innovation sera une carte à gratter à acheter chez le buraliste autour de 15 euros, ce qui est cher (2 euros en moyenne pour les autres). Le gain potentiel dépassera le million, mais l’acheteur perdra souvent, sa mise devenant acte civique.

Un ticket à 15 euros cible un public aisé quand l’acheteur moyen des jeux de grattage se recrute chez les modestes. Une façon de faire taire les critiques pour qui les pauvres vont payer pour les vieilles pierres pendant que les riches font du mécénat culturel défiscalisé à 60 %. Ce ticket à gratter sera orné de la photo d’un site emblématique à sauver. Il y en aura quatorze : un château, une église, une maison d’illustre, un bâtiment industriel ou rural… Là, c’est pour répondre à un autre reproche – Bern ne défendrait que les châteaux. Et afin de créer une proximité avec l’acheteur, le lieu photographié sera régionalisé. L’habitant du Nord verra donc sur son ticket un site du Nord.

2 000 demandes

Depuis qu’il a été nommé, Stéphane Bern a reçu plus de 2 000 demandes. Une centaine – plutôt des lieux ruraux qui échappent aux radars des aides – seront retenus en 2018 par une commission. L’Etat en sera, la Fondation du patrimoine aussi, qui est la principale association active dans ce secteur et qui gérera les fonds recueillis. Stéphane Bern aussi en sera. Il a surtout reçu des demandes de maires qui n’arrivent plus à sauver leur église, préférant mettre l’argent sur un stade de football ou une station d’épuration. Très peu de particuliers. « Il doit y avoir chez eux une pudeur à quémander. » L’objectif du loto est de collecter autour de 20 millions par an. Un public qui n’a jamais gratté le fera-t-il ? C’est loin d’être gagné.

Déplaçons le problème. La manne du loto sera une goutte d’eau par rapport aux besoins. La question n’est pas Bern, qui a réussi à déringardiser le patrimoine et à mettre en place en trois mois un loto dont on parle depuis des années. Non, la question, c’est l’Etat. Il a le droit de faire les poches des particuliers à condition d’être exemplaire. Or il ne l’est pas.

L’Etat a réduit ses crédits patrimoine de près de 40 % depuis quinze ans – il manque en gros 100 millions par an pour entretenir les 44 000 monuments protégés. Le budget 2018 manque d’ambition sur la question. Car depuis vingt ans, la priorité est ailleurs. Longtemps, ce fut de défendre les artistes et la création. Pour Emmanuel Macron, c’est d’élargir le public de la culture et d’y attirer les exclus. On ne cesse donc de faire du bricolage avec le patrimoine, ce qui est étrange pour un pays qui est la première destination touristique au monde.

La place grandissante du financement participatif

Le « Loto du patrimoine » confirme aussi la place grandissante du financement participatif dans la culture. Nos phares culturels affichent une fréquentation à la hausse, mais ils arrivent à peine à faire tourner la boutique. Alors ils appellent le public au secours : donnez-nous 1, 5, 20, 50 ou 100 euros pour monter une exposition ou un spectacle, acheter ou restaurer une œuvre. Le Louvre a montré la voie en 2010 quand 7 200 donateurs ont apporté 1,2 million d’euros afin d’acquérir Les Trois Grâces (1531), de Lucas Cranach. Le Louvre a réalisé six autres opérations similaires – par exemple restaurer la Victoire de Samothrace.

Depuis, nombre de lieux culturels ont creusé le filon du financement participatif – distinct du mécénat d’entreprises. On donne pour Démos, les orchestres pour enfants pilotés par la Philharmonie de Paris. Pour que la Bibliothèque nationale achète un manuscrit de François Ier. Pour que le Musée d’histoire naturelle de Toulouse naturalise sa girafe nommée Twiga. Pour que le Théâtre de Chaillot rénove ses trésors art déco. Pour une exposition Patrice Chéreau à Avignon. Pour que l’Opéra de Dijon fabrique les costumes de La Flûte enchantée, de Mozart.

Le mécanisme a aussi l’avantage de créer du lien avec le public donateur. Et de surfer sur un mouvement citoyen, du genre « donnez du sens à votre argent ». Rien à redire quand on est dans la culture privée – financer un album de musique ou un film. Mais des questions se posent sur le rôle de l’Etat lorsque la souscription le concerne. Déjà, les sommes récoltées vont de quelques milliers d’euros à 100 000 ou 200 000 euros, parfois 1 million. C’est beaucoup, mais marginal par rapport aux besoins. Et là encore, comme pour le loto, l’Etat n’est pas au rendez-vous. Ses crédits qui permettent aux musées d’acheter une œuvre d’art ont chuté de 50 % en dix ans, et seront toujours en baisse en 2018. Le Centre Pompidou a une cagnotte de 1,8 million (contre 4 millions il y a quinze ans) alors qu’il faut plusieurs dizaines de millions pour acheter une œuvre de renom. Il y a bien le mécénat des entreprises et des riches, mais il est aussi en baisse.

Le risque, quand l’Etat n’est plus l’opérateur principal, c’est de le voir perdre sa vision globale et son rôle d’arbitre au profit d’actions régies par les strictes règles du marché. De voir les œuvres transformées en produits rentables ou pas. Le public-mécène ouvre volontiers son porte-monnaie pour des œuvres prestigieuses, moins pour les autres. Il l’ouvre aussi pour les musées et les lieux phares, moins les autres. C’est à l’Etat de corriger le tir. Pour cela, il faut des munitions. Mais les caisses sont vides.

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