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Jours tranquilles à Paris
28 janvier 2018

Critique : « Pentagon Papers » : Spielberg ancre la démocratie sur les rotatives

pentagon

Par Murielle Joudet - Le Monde

A travers les révélations du « Washington Post », au tournant des années 1970, sur un dossier classé secret-défense, le réalisateur met en scène un idéal de transparence.

L’AVIS DU « MONDE » – CHEF-D’ŒUVRE

Depuis une décennie, Steven Spielberg a amorcé un voyage dans l’histoire du cinéma américain. Celui-ci débuta avec les très fordiens Cheval de guerre (2011) et Lincoln (2012), se poursuivit avec Le Pont des espions (2015), un film d’espionnage construit autour de Tom Hanks.

Avec Pentagon Papers, le voyage se poursuit dans le genre hollywoodien du film journalistique, abordé sur son versant classique et populiste (au sens positif du terme) : de Violences à Park Row (1952), de Samuel Fuller, jusqu’au cinéma de Frank Capra, filmer la presse consiste souvent à donner corps à l’idée de démocratie via les rouages d’un de ses piliers.

Jamais adapté au cinéma et précédant l’affaire du Watergate, les « Pentagon Papers » est le nom donné à un dossier classé secret-défense publié au tournant des années 1970 par le New York Times puis dans le Washington Post, alors petit journal rêvant de devenir grand.

Contenant trente ans de mensonges étatiques et des informations sur l’implication des Etats-Unis pendant la guerre du Vietnam, leur divulgation achèvera de détériorer le soutien de l’opinion publique à ­l’interven­tionnisme américain. Cette histoire, que le film recentre sur une décision à prendre – faut-il ou non publier le scoop –, rencontre le revirement classique du cinéaste.

Un rythme fiévreux

Rotatives en furie, salle de presse en ébullition : Spielberg respecte à la lettre les codes du film politico-journalistique et sa mise en scène se délecte de la captation de cet affairement permanent. Les nombreux rebondissements qui ponctuent le récit sont secondaires par rapport à un mouvement plus ample, qui est à la fois celui du rythme fiévreux de la presse et celui d’une mise en scène qui entretient un rapport mimétique avec son sujet.

Chaque mouvement de caméra nous suggère que l’idéal journalistique est une affaire de vitesse que rien, pas même un secret d’Etat, ne doit entraver. Dans le soin que Spielberg prend à filmer toutes les étapes de la conception d’un journal, on devine ce que captaient déjà les grands cinéastes classiques : ce mouvement euphorique, c’est celui de la démocratie.

Cet épisode crucial de l’histoire de la presse américaine nous est conté d’abord à travers l’itinéraire de la directrice du Post, Katharine Graham, propulsée à la tête du journal après la mort de son père et le suicide de son mari. Seule femme dans un monde d’hommes, Graham a intériorisé le soupçon d’incompétence qu’on lui renvoie et ne se déplace jamais sans sa horde de conseillers qui décident à sa place. Tandis que le Post s’apprête à entrer en Bourse, l’opportunité de divulguer le ­contenu des « Pentagon Papers » la confronte à un dilemme qui pourrait coûter la vie à son journal.

Un montage parallèle

La vertueuse vitesse de la démocratie et l’idéal de transparence se retrouvent subitement freinés, suspendus à la décision de sa directrice devant choisir entre faire valoir le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis et ses accointances avec le monde politique.

A partir de ce moment, deux vitesses se confondront à la faveur d’un montage parallèle : celle, lente, du mode de vie de la directrice, dont les journées s’égrènent au rythme des dîners mondains et des réunions avec les investisseurs. La précision du jeu de Meryl Streep (qui trouve là un de ses plus beaux rôles depuis longtemps) parvient à rendre compte du moindre mouvement intérieur de son personnage. A côté, celle de la rédaction, chapeautée par Ben Bradlee (Tom Hanks), qui, en attendant la décision de Graham, a peu de temps pour mettre au propre le contenu des dossiers secrets.

CE FILM JOURNALISTIQUE EST UN ÉCRIN POUR LE SPLENDIDE PORTRAIT DE « KAY » GRAHAM, LA DIRECTRICE DU « POST »

Toute la force émotionnelle de Pentagon Papers consiste à faire du film journalistique un écrin pour le splendide portrait de femme qui surgit de l’arrière-plan. Rivée à elle, la mise en scène de Spielberg donne le sentiment de l’épauler, de l’encourager. Si le dénouement se cristallise autour d’une décision, Pentagon Papers est aussi l’histoire d’un montage parallèle qui doit se dénouer pour que le mouvement de « Kay » se fonde dans celui du Post.

Pour elle, attraper le virus de la presse, c’est être prise dans un mouvement, comme le démontrait si bien la frénésie de La Dame du vendredi, d’Howard Hawks. Mais, à l’inverse de ce film, nulle trace de romance dans Pentagon Papers.

Dans le magazine en ligne Vulture, Liz Hannah, jeune scénariste de 32 ans qui signe avec Josh Singer le scénario du film, reconnaît d’ailleurs avoir été surprise de voir son scénario – « une histoire de quinquagénaires, où personne ne s’embrasse » –, porté à l’écran. L’habituelle amourette hollywoodienne a été remplacée par un autre type d’union merveilleusement exprimée dans un des derniers plans du film : dans le dos d’une Kay triomphante, la danse des rotatives reprend de plus belle et semble figurer le mouvement d’une conscience individuelle en même temps que celui d’un destin collectif.

« Pentagon Papers », film américain de Steven Spielberg. Avec Meryl Streep, Tom Hanks (1 h 55).

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