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Jours tranquilles à Paris
30 janvier 2018

Critique - « Gaspard va au mariage » : le paradis perdu de l’enfance

Par Thomas Sotinel - Le Monde

Dans le film du réalisateur français Antony Cordier, Gaspard (Félix Moati) revient dans le zoo provincial qui l’a vu grandir. Et se confronte à un clan familial en ébullition.

L’AVIS DU « MONDE » - À NE PAS MANQUER

Il n’est de vrai paradis que perdu. De cette constatation mélancolique, Antony Cordier a fait un film d’une constante drôlerie, peuplé de personnages fantasques et d’animaux de chair et de sang, une comédie française, pleine de grâce et de fantasmes, qui ne ressemble en rien à ses congénères.

Gaspard va au mariage est une espèce rare, et le seul moyen de la préserver est d’aller voir ce film en se souvenant du regard que, enfant, on posait sur les figurines en plastique d’un zoo miniature ou sur les bêtes prisonnières des vrais parcs zoologiques.

Pendant des années, Gaspard (Félix Moati) a fui le zoo provincial dans lequel il a grandi. A l’occasion du remariage de son père, il y revient, avec appréhension. Pour se préserver du pouvoir d’aspiration du clan familial, il embauche, au hasard d’une rencontre absurde, une fille un peu godiche, Laura (Lætitia Dosch), qu’il convainc de tenir le rôle de sa petite amie.

Quand on découvre la communauté qui attend son retour, on comprend les réticences de Gaspard. A force d’infidélités, Max (Johan Heldenbergh, vu chez Felix Van Groeningen), le patriarche, est en train de saboter son mariage à venir avec Peggy (Marina Foïs), la vétérinaire du zoo. Avec le concours de cette dernière, Virgil (Guillaume Gouix), le fils vertueux, s’efforce de faire tourner l’entreprise pendant que Coline (Christa Théret), la benjamine de la fratrie, erre dans les allées du parc revêtue d’une peau d’ours, souvenir d’un pensionnaire jadis très aimé. Sur ce petit groupe plane le souvenir d’une mère (Elodie Bouchez, qui apparaît dans des flash-back filmés comme en super-8) disparue dans des circonstances plus ou moins horrifiques selon la personne qui les relate.

Plaisir de l’invraisemblance

C’est que la recherche du temps perdu n’offre aucune garantie d’exactitude. On comprend vite que si Gaspard s’est assuré du concours de Laura, ce n’est pas seulement pour se préserver des exigences et des rancœurs des siens. Elle est aussi là pour le guider dans le labyrinthe du passé, pour évaluer la force et la validité des souvenirs qui ressurgissent.

Une fois passée la porte de ce zoo (le film a été tourné dans un vrai parc du Limousin), les lois de la réalité semblent abolies, et le héros est tenté de régresser jusqu’à un ordre (en fait un désordre constant, fruit des caprices des adultes) qui fut celui de son enfance.

Plus que les retours en arrière, c’est la résurgence de rapports brutaux et passionnés – enfantins – entre frères et sœur qui dessine ce que fut cette enfance. Pour la lui donner chair et couleurs, Antony Cordier se sert avec un plaisir évident de l’environnement du zoo, de l’irruption dans le champ d’animaux qui ne devraient pas vivre sous ces latitudes et du comportement exorbitant des personnages.

Mise à part Marina Foïs qui doit incarner le principe de réalité, tous les acteurs se laissent aller sans réticence au plaisir de l’invraisemblance. Le père indigne mais révéré qu’interprète Johan Heldenbergh se plonge dans un aquarium plein de minuscules poissons pour se laver de ses défauts – un psoriasis et un donjuanisme compulsif ; Christa Théret joue farouchement l’enfant sauvage, version ursine de Peau d’âne, qui cache sa beauté sous la dépouille d’un animal terrifiant ; quant à Guillaume Gouix, il met une violence sourde dans son personnage de terrien échoué dans une famille d’aliens.

Personnages-particules

Au fil de révélations (la mauvaise santé financière du zoo) et de présages (la présence d’une meute de chiens sauvages qui s’en prend aux animaux les plus faibles de la ménagerie), la nature de la mission de Gaspard apparaît clairement. Avec l’aide de sa fiancée d’occasion, il lui faut pousser définitivement le décor de cette enfance hors du commun dans le passé.

Le duo Félix Moati-Lætitia Dosch s’acquitte de cette tâche avec un entrain emprunté à la comédie américaine classique, jouant allègrement des malentendus, des disputes et des réconciliations.

La friction permanente entre ces personnages-particules, l’énergie que mettent Antony Cordier et son chef opérateur, Nicolas Gaurin, à les faire circuler entre la forêt qui entoure le zoo (le domaine des chiens sauvages), les enclos et les coulisses du parc, et la grande demeure qui abrite la famille, portent le clan à ébullition.

Ces gros bouillons n’empêchent jamais d’entendre le contre-chant mélancolique qui accompagne en permanence la célébration de l’enfance perdue et désormais sans fin.

« Gaspard va au mariage », film français d’Antony Cordier, avec Félix Moati, Lætitia Dosch, Christa Théret, Guillaume Gouix, Marina Foïs, Johan Heldenbergh (1 h 45).

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