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Jours tranquilles à Paris
16 mars 2018

AMOCO CADIZ

avant

Après la marée noire...

Le 16 mars 1978, il a fallu moins de 24 heures pour que le pétrolier géant Amoco Cadiz se fracasse sur les roches de Portsall. Une catastrophe prévisible face à laquelle les autorités françaises se sont pourtant retrouvées impuissantes

Entretien : « Chaque année, dix “Amoco-Cadiz” sont évités »

Par Nathalie Guibert - Le Monde

L’amiral Emmanuel de Oliveira, préfet maritime de l’Atlantique explique les leçons tirées de la plus grande marée noire du siècle le 16 mars 1978 en Bretagne.

Il y a quarante ans, le 16 mars 1978, un pétrolier géant s’échouait près des côtes du Finistère avec dans ses soutes 227 000 tonnes de pétrole qui ont souillé le littoral breton. L’amiral Emmanuel de Oliveira, préfet maritime de l’Atlantique, explique les leçons tirées par la France de l’une des plus grandes marées noires du XXe siècle.

Vous assurez que la catastrophe de l’« Amoco-Cadiz » ne pourrait se reproduire en 2018, pourquoi ?

Je peux dire que cet événement ne pourrait pas se reproduire, car depuis 1978, nous avons mis en place toutes les sécurités nécessaires. Mais on ne peut pas, bien sûr, écarter tout autre drame, qui serait d’une nature différente.

Nous en avons tiré trois grandes leçons. D’abord, la nécessité d’avoir une prise de décision unique. Elle a manqué à mes prédécesseurs. Ils n’étaient pas bien informés et ils n’avaient pas les bons leviers de décision. Depuis lors, le préfet maritime est le chef d’orchestre. C’est depuis l’Amoco-Cadiz qu’il détient le pouvoir de coordination opérationnelle sur tous les moyens de l’Etat et l’étendue de ses pouvoirs a évolué au fil des catastrophes.

Deuxième leçon : le préfet maritime a la capacité de mutualiser les moyens civils et militaires nécessaires. Enfin, pour avoir la bonne réactivité, on a choisi de pouvoir traiter la crise « en local ». Il est important pour moi d’être au bord de l’eau, à proximité des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage [Cross], qui n’existaient pas en 1978, pour dialoguer avec tous les acteurs.

Comment serait-ce géré aujourd’hui ?

Le temps est primordial dans la gestion d’événements comme ceux-là, tout va extrêmement vite. Une marée noire a toujours commencé par un navire en difficulté, et donc si on prête assistance, on prévient la catastrophe. Puis, si on arrive à traiter la pollution en mer, on réalise des économies importantes, car un mètre cube d’hydrocarbure se transformera en 10 m³ à terre, quand il sera mélangé au sable et aux algues.

Depuis l’Amoco-Cadiz, on a éloigné le rail d’Ouessant de dix miles nautiques [20 kilomètres], ce qui nous donne trois à quatre heures de plus pour réagir. Aujourd’hui, je suis informé dans les premières minutes d’une avarie, par le Cross et par le radar de surveillance d’Ouessant, qui n’existait pas non plus en 1978. Surtout, j’ai le pouvoir de mettre en demeure le capitaine du navire. Il s’agit d’un acte administratif, qui lui dit : « Ou bien vous avez fait cesser le danger d’ici à quelques heures, ou j’agis d’office, à vos frais. » C’est très efficace. En 1978, pour des questions d’argent, le capitaine et l’armateur hésitaient à contractualiser avec un organisateur d’assistance.

Je dispose de remorqueurs d’assistance de haute mer fournis par la compagnie de remorquage Les Abeilles sur toute la façade atlantique. Pour le sauvetage des équipages, nous avons aussi fait des progrès : nos hélicoptères peuvent faire du vol stationnaire automatique par mer formée et vent fort.

Les remorqueurs Abeilles sont-ils adaptés face aux nouveaux mastodontes des mers ?

Ils peuvent tirer 200 tonnes aux crocs de remorquage. C’est suffisant pour prendre en charge les porte-conteneurs de 20 000 boîtes. Le problème est que les navires, eux, ne sont pas dimensionnés pour subir une telle traction. On risque d’arracher l’étrave. Une action est menée auprès de l’organisation maritime internationale pour obtenir plus de facilités de prise de remorque sur les navires et plus de solidité. Mais dans ce domaine, la rentabilité prime sur la sécurité.

Les moyens de surveillance sont-ils devenus dissuasifs pour les pollutions volontaires ?

Les navires n’ont plus de raison objective de balancer leurs hydrocarbures à la mer depuis que les ports d’Europe du Nord ont installé des stations de dégazage, mais il faut des moyens de surveillance. Les images satellites de Cleanseanet [le service européen de surveillance et de détection des versements d’hydrocarbures], permettent de visualiser les variations de hauteur d’une vague provoquée par une mer d’huile. C’est très efficace. En outre, les avions Falcon 50 de la marine nationale et les Beechcraft des douanes effectuent au moins un vol par jour sur le rail. Les pollueurs le savent.

Ces moyens sont dissuasifs, car nous avons maintenant une chaîne complètement opérationnelle pour les procédures judiciaires, en lien avec les procureurs. Il y a cinq ans, une photo n’était pas une preuve ; désormais, un cliché géolocalisé, avec le nom du navire et la trace de son sillage, peut suffire.

Le dernier dégazeur, un navire chinois, en 2013, a été condamné à 1 million d’euros d’amende, et il a perdu en appel. C’est parfaitement dissuasif. Depuis, nous n’avons eu qu’un seul cas de pollution volontaire, en février 2016, par le Thisseas, libéré contre le paiement d’une caution de 500 000 euros. Le capitaine a disparu depuis, l’on craint qu’il se soit suicidé, cela témoigne de l’énorme pression qui s’exerce sur ces marins.

Quel est l’état du risque aujourd’hui ?

Chaque année, dix Amoco-Cadiz sont évités. Cinquante mille navires entrent en Manche, deux fois plus qu’en 1978. Chaque jour, 1 million de tonnes de marchandises passent par le rail d’Ouessant. Les navires sont quatre à cinq fois plus gros, à l’exception des pétroliers, qui font 300 000 tonnes.

Nous avons 200 avaries par an pour ces 50 000 navires, soit un problème plus d’un jour sur deux. Les risques n’ont pas diminué, mais ils sont beaucoup mieux maîtrisés. Les pétroliers ont une double coque, ils sont en bien meilleur état qu’en 1978 et très peu de navires poubelles entrent dans les eaux européennes depuis les mesures d’inspection obligatoire au port décidées après la catastrophe de l’Erika.

Comment améliorer les moyens à l’avenir ?

D’abord en utilisant des drones navals et aériens, qui pourront servir de relais radio pour parler aux navires, interroger leur identité, effectuer des surveillances de nuit avec des moyens radar et infrarouge. On peut envisager une capacité opérationnelle dans les cinq ans.

Il faudrait également développer la coopération européenne. Nous n’avons pas réussi à mettre en place un réseau unique de surveillance du trafic maritime en Europe. Au-delà, il faudra aussi couvrir de nouvelles zones, avec des moyens pour surveiller les champs éoliens offshore et les aires marines protégées.

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