Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
9 août 2018

La santé d’Oleg Sentsov, en grève de la faim en Russie, se dégrade drastiquement

Par Benoît Vitkine - Le Monde

L’avocat du cinéaste demande que des médecins puissent être admis dans sa prison pour obtenir des « informations indépendantes ».

C’est un signe de l’urgence qui entoure le cas d’Oleg Sentsov, dont la grève de la faim dure depuis 88 jours. Aux nombreuses lettres ouvertes demandant la libération de ce cinéaste ukrainien condamné en Russie à vingt ans de prison ont succédé, ces derniers jours, les appels à ne pas le laisser mourir. Oleg Sentsov « est aujourd’hui entre la vie et la mort, mais votre influence et votre fidélité aux principes des droits de l’homme nous donnent encore un espoir », écrivaient à Emmanuel Macron, lundi 6 août, la romancière Lioudmila Oulitskaïa et le cinéaste Andreï Zviaguintsev. Les deux demandent au président français d’œuvrer pour que des médecins de la Croix-Rouge puissent rendre visite au prisonnier dans la colonie pénitentiaire de Labytnangui, dans le Grand Nord sibérien.

Parmi les signataires de cette lettre figure également son avocat, Dmitri Dinze, qui a pu le rencontrer mardi, pour la cinquième fois seulement. L’avocat, qui avait jusqu’à présent évité les messages alarmistes, a présenté à son retour un tableau plus qu’inquiétant de l’état de son client. Depui le 14 mai, début de son action, celui-ci a perdu 30 kg. Il souffre de problèmes cardiaques, a un très bas niveau d’hémoglobine dans le sang et son rythme cardiaque est de 40 pulsations par minute. « La situation a dramatiquement évolué ces deux dernières semaines, explique au Monde Me Dinze. Lui-même reconnaît qu’il se sent mal, ce qu’il ne faisait pas avant. La chaleur, forte en ce moment, joue aussi un rôle. »

Les informations sur la santé d’Oleg Sentsov, 42 ans, sont parcellaires, et Dmitri Dinze reconnaît ne pas être qualifié pour l’évaluer. L’avocat demande que des médecins puissent être admis dans la prison du cinéaste pour obtenir des « informations indépendantes ».

« Ses exigences n’ont pas changé »

Oleg Sentsov ne mène pas une grève de la faim « totale ». Il boit 3,5 litres d’eau par jour et a accepté, il y a deux semaines, de prendre deux à trois cuillères quotidiennes de substituts alimentaires, pour éviter que l’administration pénitentiaire ne le nourrisse de force à l’aide d’une sonde. C’est aussi la raison pour laquelle il refuse d’être transféré à l’hôpital, craignant une action des médecins contre sa volonté.

Ces craintes sont renforcées par le déni des autorités russes. L’administration pénitentiaire continue ainsi d’évoquer un état « satisfaisant » du prisonnier. Un prêtre orthodoxe lui aurait rendu visite le 4 août, et d’après le compte rendu qu’en a fait le service d’application des peines, Sentsov lui aurait déclaré que son état était « normal ». La cousine du cinéaste criméen, Natalia Kaplan, a pourtant indiqué mercredi avoir reçu une lettre au ton bien différent :

« Il m’a écrit que la fin était proche, et il ne parlait pas de sa libération. Il ne se lève presque plus. »

Face à l’urgence de la situation, la question d’une éventuelle libération est donc passée au second plan. Les négociations avec Kiev pour un échange de prisonniers, un temps évoquées, semblent au point mort : la partie russe en refuse le principe, considérant M. Sentsov comme l’un de ses ressortissants. Celui-ci a beau avoir refusé d’adopter la nationalité russe après l’annexion de la péninsule, en 2014, Moscou a décidé de lui enlever « automatiquement » sa citoyenneté ukrainienne. Le 17 juillet, sa mère a transmis à Moscou un recours en grâce. Celle-ci dépend donc désormais du bon vouloir du président russe Vladimir Poutine.

« Ses exigences n’ont pas changé, avertit toutefois Dmitri Dinze. Si on le libère seulement lui, il considérera cela comme un échec. » Oleg Sentsov a lié son sort, dès le début de son mouvement, à celui de quelque 70 autres Ukrainiens détenus en Russie pour des raisons politiques, dont son co-accusé Oleksandr Koltchenko. A l’issue d’un procès qualifié par Amnesty International de « parodie de justice » évoquant « l’ère stalinienne », les deux hommes, arrêtés en mai 2014, avaient été condamnés, le 25 août 2015, à respectivement vingt et dix ans de colonie pénitentiaire pour « participation » à une entreprise « terroriste ».

Sentsov et son complice auraient envoyé deux cocktails Molotov contre les locaux d’une organisation criméenne prorusse. La sévérité des peines, pour de tels faits, a surpris jusqu’aux observateurs russes.

« On se heurte à un mur »

Surtout, aucune preuve solide n’a été présentée lors du procès, et l’accusation s’est uniquement appuyée sur les témoignages de deux autres co-accusés. L’un d’eux avait expliqué à l’audience avoir signé des aveux sous la torture ; l’autre a refusé de témoigner. Sentsov et Koltchenko ont eux aussi évoqué des tortures. Le FSB avait d’abord instruit le dossier sur un projet d’attentat contre « un pont ferroviaire » en Crimée… où il n’existe aucune infrastructure de la sorte.

Depuis son arrestation, Oleg Sentsov a joui d’un soutien important en Ukraine. Les gouvernements occidentaux ainsi que de nombreuses personnalités, comme l’écrivain Stephen King ou l’acteur Johnny Depp, ont appelé le Kremlin à le libérer. Emmanuel Macron a évoqué son cas deux fois avec Vladimir Poutine, lors de sa visite à Saint-Pétersbourg, fin mai, et lors de sa venue en Russie pour la Coupe du monde.

« Nous espérions un geste à la faveur du tournoi, explique au Monde François Croquette, ambassadeur de France pour les droits de l’homme. Mais l’on se heurte à un mur : nos interlocuteurs alternent entre les fins de non-recevoir, le silence complet et des mensonges. La médiatrice russe nous avait par exemple assuré il y a quelques semaines que Sentsov avait pris 2 kg en prison. C’est un peu incompréhensible pour nous. La Russie dépense beaucoup d’énergie et d’argent pour son image, et là elle semble prête à le laisser mourir. Nos demandes sont désormais seulement d’ordre humanitaire, à commencer par l’accès d’un médecin indépendant. Mais l’on commence à craindre qu’il ne soit trop tard. »

Publicité
Commentaires
Publicité