Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
2 novembre 2018

Le McDo a remplacé le café du village

mac do

Par Lorraine de Foucher - Le Monde

Dans nombre de petites villes françaises, le géant américain se substitue au troquet, disparu ou fermé le soir. Symbole de la malbouffe, il est pourtant le bienvenu dans ces communes où il maintient un peu de vie sociale.

C’est une cabane en contreplaqué rouge et bois qui toise le parking, en bordure de la RN12, direction Dreux. « Ronald Gym Club » y est inscrit en lettres capitales. Ce mardi après-midi d’automne, les jeux ne sont pas occupés par l’égérie de McDonald’s en train de faire des étirements. Plutôt par des enfants un peu trop âgés aux yeux de la serveuse, charlotte noire sur la tête et surchaussures qui offrent un bruit de plastique à sa démarche décidée.

« Ça suffit de fumer des pétards dans les toboggans ! Ça sent jusqu’au restaurant », admoneste-t-elle en montrant du doigt les effluves de cannabis devant les adolescents hilares. Trois jeunes encapuchés se lèvent. « C’est comme ça tous les jours, je vais encore appeler la gendarmerie si ça continue », menace-t-elle, pendant que ses interlocuteurs sourient et se mettent à chanter : « On est des délinquants, on fume des joints dans les toboggans », sur un air approximatif de rap, en quittant la terrasse du McDonald’s de La Queue-lez-Yvelines (Yvelines).

La France, deuxième filiale McDo

Ce joli bourg francilien situé à la frontière de l’Eure-et-Loir et de la vallée de Chevreuse fait partie des plus petits villages français à accueillir l’enseigne américaine. Depuis l’ouverture du premier McDo sur la place des Halles, à Strasbourg, en 1979, la France n’a cessé de déclarer son amour au roi du fast-food : on dénombre aujourd’hui plus de 1 285 McDonald’s pour, à titre de comparaison sur l’échelle de la gastronomie, 1 500 restaurants de sushis et 11 000 kebabs. La France est la deuxième filiale la plus rentable au monde, derrière les Etats-Unis, et celle qui enregistre le plus de croissance. Le M jaune brille partout sur le territoire, avec un immense maillage qui englobe désormais des villes aussi petites que « La Queue », comme on l’appelle dans le coin, avec ses 2 000 habitants.

« ON N’A NULLE PART OÙ ALLER QUAND ON N’A PAS COURS. QUAND ON EN A MARRE DE FAIRE DES TOURS DANS LE AUCHAN D’À CÔTÉ, LE MCDO C’EST BIEN, C’EST NOTRE CAFÉ À NOUS. » CHLOÉ, LYCÉENNE

Et si des jeunes y fument leurs joints en terrasse, c’est que le McDo est devenu un espace de vie, parfois le seul qui reste. Haut moulant, créoles et eye-liner marqué sur les paupières, Chloé commente l’expulsion des squatteurs de toboggan : « Ils sont dans mon lycée, et c’est vrai qu’on vient tout le temps là pour le déjeuner, c’est juste en face », dit-elle en montrant le vaste établissement de l’autre côté du parking, le lycée Jean-Monnet, qui accueille près de 2 000 élèves venus de toute la région. « On n’a nulle part où aller quand on n’a pas cours. Quand on en a marre de faire des tours dans le Auchan d’à côté, ou de s’asseoir sur les pneus derrière le Norauto, le McDo c’est bien, c’est notre café à nous. » De ces cafés de lycéens où l’on peut commander un café et cinq pailles, profiter du Wi-Fi gratuit, et perdre son après-midi pelotonné sur une banquette qui sent la frite en attendant que le car de 16 heures 30 arrive pour rentrer à la maison.

Deux mille lycéens sont ainsi captifs d’une petite zone commerciale des Yvelines. On comprend mieux pourquoi McDonald’s a atterri à La Queue, et pourquoi les serveuses ne sont pas si fâchées que cela avec eux : ils représentent près de 50 % de la clientèle selon le maire, qui reçoit dans sa jolie mairie blanche, flanqué de ses deux adjoints. « McDo, quand ils sont venus nous voir pour s’implanter, ils ont fait semblant de ne pas avoir vu qu’il y avait le lycée juste en face. Comme s’ils n’avaient pas fait exprès de se mettre là, mais bien sûr que si, ils l’ont fait en connaissance de cause, et c’est assez malin », raconte Michel Verenneman (LDIV).

En 2013, quand la rumeur de l’installation de McDonald’s est arrivée à La Queue, un collectif s’est bien monté pour dénoncer la malbouffe et tenter de bloquer le projet. « Ceux qui étaient en tête de la bagarre sont aujourd’hui les premiers clients, une trentaine d’emplois ont été créés et c’est devenu la cafétéria des lycéens, qui y vont même le week-end pour se retrouver », poursuit l’édile.

Sandwichs au roquefort

Comment la France de José Bové, du démontage du McDo de Millau en 1999, de la nappe à carreaux rouge et blanc et du vin qui tache, des heures passées à refaire le monde à table, a-t-elle pu devenir un bastion mondial du fast-food ? Que s’est-il passé au pays de la gastronomie pour qu’en 2018, des syndicalistes marseillais se battent pour sauver un McDo de la fermeture dans les quartiers nord ? McDo, passion française, c’est un miracle produit par des génies du marketing de chez McDonald’s France – Denis Hennequin et Jean-Pierre Petit en tête –, qui ont prôné une « francisation » de la marque à l’aube des années 2000 : fini le M jaune sur fond rouge et le pauvre Ronald au sourire béat ; place au fond vert, au service à table, à une décoration moins criarde et à des gammes de sandwichs au roquefort et au bœuf charolais !

A tel point qu’à Albaret-Sainte-Marie, tout petit village de 600 habitants dans le fin fond de la Lozère, situé à une centaine de kilomètres de la ville du coup de force de notre héros moustachu José Bové, le maire, Michel Thérond (UDI), est ravi de son McDo ouvert en 2012. « La Lozère, c’est 100 kilomètres de large sur 50 kilomètres de long, avec seulement 70 000 habitants. Ça n’est pas très peuplé, à force on connaît tout le monde. Personne ne m’a fait la moindre remarque sur l’installation du McDo chez nous. Au contraire, ça nous a apporté une vingtaine d’emplois, et les gens y viennent de 30 kilomètres à la ronde. Ça remplace le café qui n’existe plus. »

Centres-villes désertifiés

McDonald’s, nouveau café du village français ? C’est l’issue de cet étonnant mouvement centrifuge des petites villes de France, dont le centre désertifié aux devantures abandonnées s’est déplacé à sa périphérie, dans ces zones commerciales où l’on fait désormais ses courses, mange et passe du temps avec ses proches.

Deux statistiques encore : en 1960, un repas durait en moyenne 1 heure 38, il est maintenant expédié en 31 minutes. En 1960, 200 000 cafés existaient dans le pays, il n’y en a plus que 32 000. « Dans les McDo ruraux, les gens s’y posent comme au troquet du coin, les serveurs sont des fils ou des copains. C’est le nouveau café du village, mais il n’est plus sur la place mais à la sortie : il a besoin d’espace pour le parking et les jeux pour les enfants, et il a besoin de la route passante pour avoir du flux », analyse Bernard Boutboul, spécialiste de la restauration rapide, directeur général du cabinet Gira Conseil.

Hélène Weber était étudiante en psychologie en 2005. Elle a tout trouvé chez McDo : son emploi, ses amis et son mari. Fascinée par le modèle de l’entreprise américaine, elle y travaille en parallèle de ses cours à la faculté, et décide d’en tirer une thèse qui sera publiée sous le titre Du ketchup dans les veines (Editions Eres, 2005), où elle analyse les techniques d’adhésion des salariés au système.

« C’EST FACILE, ÇA VA VITE, VOUS ÊTES RASSASIÉ, MAIS DEUX HEURES APRÈS, VOUS NE VOUS SENTEZ PAS BIEN ET VOUS AVEZ À NOUVEAU FAIM. POUR LE RÔLE SOCIAL, C’EST IDENTIQUE, FAST-FOOD, FAST-SOCIABILITÉ. » HÉLÈNE WEBER, PSYCHOLOGUE

Devenue psychologue, elle habite dans un petit village où elle a constaté ce basculement. « McDo, c’est la familiarité préacquise, ils ont investi des millions en publicité pour ça, c’est le “venez comme vous êtes”, vous n’avez pas à faire d’effort et vous n’aurez pas de surprise, explique-t-elle. A la différence d’un café du village où il faut parler avec les gens et où l’on ne sait pas ce qu’on va manger. Mais McDo n’est pas altruiste et n’a pas pour but de rendre les gens moins seuls. C’est une entreprise avec des objectifs économiques. Ça a le même effet que quand vous avez très faim : vous allez chez McDo, c’est facile, ça va vite, vous êtes rassasié, mais deux heures après, vous ne vous sentez pas bien et vous avez à nouveau faim. Pour le rôle social, c’est identique, fast-food, fast-sociabilité. »

Quand on le contacte en cette fin octobre, Grégory Gendre vient encore de perdre devant la cour administrative d’appel de Bordeaux. Ancien de Greenpeace devenu maire écologiste du village de Dolus-d’Oléron sur l’île du même nom en 2014, il s’est empressé de tenter de bloquer le permis de construire du nouveau McDonald’s qui devait s’installer. A la place, il a lancé le McDol, un tiers lieu, de ces espaces où « l’on peut rester tout le temps qu’on veut, avoir accès gratuitement au Wi-Fi et des prix accessibles » dans une ancienne colonie de vacances de sa commune.

Yeux bleus, lunettes et débit énergique, Grégory Gendre ne voit pas McDo comme un simple restaurant qui délivre rapidement des hamburgers et des frites, mais comme un projet de société plus global. Pour lui, McDonald’s a su profiter des difficultés de la « France périphérique » : « Il n’y a plus de lieux et McDo s’est engouffré là-dedans. Avec un établissement presque toutes les quinze minutes sur la route, c’est un peu comme les supermarchés, on est sur une stratégie commerciale qui prône voiture et consommation. »

« VOUS NE POUVEZ PAS DISCUTER AVEC LES SERVEURS, VOUS NE VERREZ JAMAIS D’AFFICHE POUR UN ÉVÉNEMENT DU COIN. » GRÉGORY GENDRE, MAIRE DE DOLUS-D’OLÉRON

Dans son combat contre la marque, il a ses arguments. McDo créé des emplois là où il n’y en a pas ? Il en détruirait tout autant, assure-t-il, en comptant les trois établissements qui ont ou vont fermer sur sa commune en prévision de l’installation de la chaîne. McDo remplace le café du village ? Il standardise les interactions locales : « Vous ne pouvez pas discuter avec les serveurs, vous ne verrez jamais la moindre affiche pour un événement du coin. De Roubaix à Perpignan, de Strasbourg à Brest, c’est toujours le même restaurant. »

mac

McDo fait travailler les agriculteurs locaux ? « On leur a proposé de travailler ensemble, d’adapter le modèle, on n’est pas structurellement contre McDo. Par exemple, on a des super maraîchers pour leurs tomates. Ils n’ont pas voulu, car toute la production de leurs tomates est calibrée pour qu’elles soient de la bonne taille pour les burgers. » Le consommateur McDo aurait un profil type, celui d’une personne qui travaille toute la journée et a besoin de son sandwich en sortant du boulot : « Quelqu’un qui veut, qui prend, dans une logique binaire, alors qu’autre chose est possible. Ce n’est pas une question d’argent mais d’énergie », conclut le maire, dont le succès estival du McDol confirme l’intuition.

Publicité
Commentaires
Publicité