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Jours tranquilles à Paris
12 novembre 2018

Centenaire 11-Novembre : face à Trump, Macron et Merkel jouent la carte de l’unité

Par Marc Semo

Devant son homologue américain, le président français s’est posé en héraut de l’ouverture, de l’Europe et du multilatéralisme

Il ne s’agit pas seulement de commémoration car « cent ans après, la cicatrice de cette guerre est encore visible sur la face du monde » et l’enjeu aujourd’hui est de tirer les leçons de la paix alors ratée. Alors que Paris devenait l’espace de deux jours les 10 et 11 novembre la capitale diplomatique du monde avec quelque 70 chefs d’Etat et de gouvernement et les représentants de 84 pays et organisations internationales ces thèmes sont revenus sans cesse dans la bouche du président français Emmanuel Macron comme de la chancelière allemande Angela Merkel. Les points d’orgue des commémorations furent la cérémonie d’hommage à l’arc de Triomphe puis l’ouverture à la Grande Halle de La Villette du Forum de la paix de Paris qui doit encore durer deux jours, mais sans les chefs d’Etat.

Ces deux moments étaient aussi différents que complémentaires. Le premier dont le seul véritable acteur fut Emmanuel Macron était centré sur la mémoire, l’hommage aux morts, le tragique. Le second fut choral, afin de défendre un multilatéralisme toujours plus menacé et la gouvernance globale. Le Forum pour la paix appelé à devenir annuel a été ostensiblement boudé par Donald Trump qui, tout au long de ces quarante-huit heures, a mené un cavalier seul affirmant une nouvelle fois son obsession de « l’Amérique d’abord » et son rejet de toute règle commune qui ne soit basée sur le rapport de force. Un dur rappel aux réalités. Ce centenaire dans la capitale française a été marqué par la prise de conscience de la montée des périls.

« L’histoire retiendra une image celle de 80 dirigeants réunis sous l’arc de Triomphe mais ce qui est incertain est de savoir comment elle sera interprétée dans l’avenir : le symbole d’une paix durable entre les nations ou bien le dernier moment d’unité avant que le monde ne sombre dans un nouveau désordre », a reconnu lucide Emmanuel Macron au Forum pour la paix soulignant que « cela dépend de nous ».

Peu après, la chancelière Angela Merkel qui, symboliquement, prononçait le grand discours d’ouverture de ces trois jours de réunion entre dirigeants politiques, ONG, think tanks et entreprises rappelait à quel point « il est facile de détruire les institutions internationales mais difficile de les reconstruire ». Et de s’interroger : « Serions-nous aujourd’hui capables, en tant qu’assemblée des nations, d’approuver comme en 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Je n’en suis pas si sûre ».

« Les démons du passé qui ressurgissent »

Dénonçant le retour « d’un nationalisme à œillères », la chancelière allemande a souligné « que la coopération internationale, l’équilibre pacifique entre les intérêts des uns et des autres et que même le projet européen de paix sont de nouveau mis en question ». Dans la grande salle ronde évoquant quelque peu celle de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le Russe Vladimir Poutine et le Turc Recep Tayyip Erdogan ont écouté sans broncher, venus à la grande halle de la Villette comme une trentaine d’autres chefs d’Etat et de gouvernement.

Quasiment au même moment, le président américain prononçait un discours d’hommage aux soldats américains tombés pendant la Grande Guerre, au cimetière américain de Suresnes où il a salué le sacrifice des « patriotes américains et français »… Juste avant d’arriver sur les lieux puis de repartir pour Washington, le président américain s’est fendu d’un tweet dans lequel il salue la « merveilleuse cérémonie » de la matinée et « remercie » le président français.

Quelques heures plus tôt, les mots d’Emmanuel Macron devant la flamme du Soldat inconnu étaient presque les mêmes pour dénoncer « les démons du passé qui ressurgissent ». « Le patriotisme est l’exact contraire du nationalisme, le nationalisme en est une trahison », a déclaré le chef de l’Etat lors de cette cérémonie commencée à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année, exactement comme il y a cent ans. Le carnage était enfin fini après quatre ans et en comptant l’ensemble des pays impliqués dans la guerre quelque 10 millions de morts.

« Additionnons nos espoirs au lieu d’opposer nos peurs », a-t-il lancé aux dirigeants mondiaux les exhortant au « combat pour la paix » en refusant « le repli, la violence et la domination ». Des lycéens français, anglais, américains, allemands ont lu dans leur langue des lettres de combattants de l’époque. La cérémonie fut ouverte par une Sarabande de Bach interprétée par le violoncelliste américain Yo-Yo Ma et conclue par le Boléro de Ravel joué par l’orchestre des jeunes de l’Union européenne. L’artiste béninoise Angélique Kidjo a chanté en souvenir des troupes coloniales. Mais le seul grand acteur de la cérémonie sous l’Arc de triomphe, c’était lui.

« Durant ces quatre ans, l’Europe manqua de se suicider »

Dans son discours à l’Arc de triomphe, Emmanuel Macron a voulu garder l’équilibre entre la célébration de la paix et la relance du projet européen sans pour autant effacer la victoire de 1918 et sa mémoire. Celle de « l’immense cortège des combattants » de la Grande guerre, « venus du monde entier, parce que la France représentait pour eux tout ce qu’il y avait de beau dans le monde ». Il n’a pas hésité à citer Georges Clemenceau qui, il y a exactement cent ans lançait « combattante du droit et de la liberté, la France sera toujours et à jamais le soldat de l’idéal ».

Le discours était avant tout politique alors que, pour les prochaines élections européennes, le président français se pose en héraut de l’ouverture, de l’Europe, du multilatéralisme face aux nationalismes et aux mouvements populistes. « Durant ces quatre années, l’Europe manqua de se suicider » a lancé le chef de l’Etat dans un plaidoyer pour les institutions internationales, l’Europe d’aujourd’hui et l’ONU. « Cela s’appelle, sur notre continent, l’amitié forgée entre l’Allemagne et la France (…). Cela s’appelle l’Union européenne, une union librement consentie jamais vue dans l’histoire et nous délivrant de nos guerres civiles. Cela s’appelle l’Organisation des Nations unies »

Face à un président américain toujours plus isolationniste et en retrait des affaires du monde, face à une première ministre britannique Theresa May engluée dans le Brexit et restée à Londres pour ses propres cérémonies, Emmanuel Macron aux côtés d’une Angela Merkel affaiblie se pose en leader naturel d’un monde occidental qui doute. Cette crise de la relation transatlantique évidente dès le début des célébrations, quand Donald Trump, à peine arrivé dans la capitale française le 9 novembre au soir, jugeait dans un tweet rageur « très insultants » les propos tenus deux jours plus tôt par Emmanuel Macron pour « une vraie armée européenne ». Mais dès le 10 novembre, les deux présidents ont joué l’apaisement et Emmanuel Macron insistait sur le fait que « l’Europe qui puisse prendre davantage sa part du fardeau commun au sein de l’OTAN ».

« Ne rien céder aux passions tristes »

Les cérémonies ont été, comme il est de règle dans ce genre de réunion, l’occasion de rencontres en marge. Y compris très brièvement entre le président russe et son homologue américain. Evoquant « une bonne discussion » sans pour autant en préciser l’objet, Vladimir Poutine a déclaré qu’il souhaitait rétablir un dialogue complet avec les Etats-Unis sur le traité régissant les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) ratifié en 1988 et dont Donald Trump a annoncé en octobre le retrait des Etats-Unis.

Le combat pour le multilatéralisme contre les vents mauvais qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux ne peut passer que par l’Europe. D’où l’importance accordée, tout au long de ces cérémonies, à la relation avec Berlin. La veille, il était aux côtés de la chancelière allemande à Compiègne dans la clairière de Rethondes où fut signé l’armistice. C’était la première fois qu’un chancelier de l’Allemagne fédérale se rendait sur ce lieu symbole de la défaite et des conditions humiliantes imposées par les vainqueurs. « Ici succomba l’orgueil de l’Empire allemand vaincu par les peuples libres qu’il prétendait asservir » clame l’inscription sur la dalle sacrée édifiée alors.

Désormais une petite plaque à son pied, inaugurée par Emmanuel Macron et Angela Merkel, célèbre la paix et la réconciliation franco-allemande. En discutant avec des jeunes à l’issue de la cérémonie, le chef de l’Etat les a appelés à « ne rien céder aux passions tristes, aux tentations de la division ». « Cette journée n’est pas seulement une journée du souvenir mais une incitation à l’action (…) pour faire tout le possible pour rétablir l’ordre dans le monde de façon pacifique », commentait pour sa part la chancelière allemande.

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