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Jours tranquilles à Paris
29 novembre 2018

La guerre des platanes n’aura pas lieu

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Par Olivier Razemon - Le Monde

On les appelle « les cathédrales végétales » et c’est une spécialité française. Mais ces arbres bordant nos routes causent  plus de 300 morts par an, opposant pro et anti-abattage. Depuis des lustres.

Abattre ou non les arbres qui bordent les routes ? Le ­sujet ne prête pas du tout à la polémique. Mais alors, pas du tout. « Tout le monde aime les arbres. S’il y a une polémique, elle vient de ceux qui veulent les abattre », assure Chantal Pradines, déléguée générale de l’association Allées avenues, qui œuvre « pour la promotion du patrimoine culturel, naturel et paysager que constituent les allées d’arbres ».

« Tant qu’il y aura des extrémistes qui considèrent qu’on ne peut pas toucher au moindre arbre, la discussion sera vive », répond ­Jacques Robin, ingénieur routier à la retraite et ancien responsable des routes dans le département du Bas-Rhin.

Pas de polémique, donc, sauf si elle vient du camp d’en face. On ne pensait pas que cette histoire d’arbres alignés le long des ­ex-nationales continuait de déclencher, en 2018, des débats aussi vifs. Sur l’échelle des controverses bien françaises, on n’en est certes pas au niveau des « gilets jaunes » ni du vélo en ville, mais pas loin. Deux camps s’affrontent, qui disposent chacun d’arguments trempés dans la science, des ­arguments que l’on retrouve, dans une version schématisée à l’extrême, aux comptoirs des bistrots où l’on voudra bien lancer le sujet, pour voir.

« L’ALIGNEMENT EST UN PAYSAGE, UN PATRIMOINE ». CHANTAL FAUCHÉ, PRÉSIDENTE D’ARBRES ET ROUTES.

Du côté des contre, d’abord. « L’alignement est un paysage, un patrimoine. Les arbres contribuent aux trames vertes et bleues », ces continuités végétale et aquatique inscrites dans la loi depuis le ­Grenelle de l’environnement, affirme Chantal Fauché, présidente d’Arbres et routes. Cette habitante du Gers a créé son association à la fin des années 1990 pour protester contre les « abattages massifs » pratiqués dans son département « à la suite de demandes de familles endeuillées » par les accidents de la route.

Car on en revient toujours à ce désaccord de fond : les platanes sont-ils des tueurs ? Pour M. Robin, favorable à un abattage sélectif, cela ne fait aucun doute. « Autour de 300 personnes perdent la vie chaque année en percutant des arbres. Dans le Bas-Rhin, quand un jeune de 25 ans se tuait ainsi, ses copains sciaient l’arbre le lendemain. C’est un message. Quand on conduit, on a droit à l’erreur », estime-t-il.

Incitation à ralentir

Et puis, les arbres qui poussent le long des routes souffrent. « Les véhicules qui heurtent les arbres, par accident ou en se garant, provoquent des blessures par lesquelles entrent les maladies », affirme-t-il, ajoutant à ces maux le sel répandu l’hiver sur la chaussée, qui pollue l’eau, et les particules fines qui sortent des pots d’échappement ou produits par les pneus et les plaquettes de frein.

A ces constats, les défenseurs de la nature rétorquent que les « cathédrales végétales » datent… d’avant l’automobile. Par ailleurs, selon un adage que l’on pourrait entendre au bistrot, « ce ne sont pas les platanes qui se précipitent sur les voitures ».

Dans un rapport publié par le Conseil de l’Europe en 2009, cela donne ceci : « Les arbres ne sont pas la cause des accidents de la route. Ils sont prévisibles, ils restent en place. » En outre, les alignements auraient tendance à inciter les automobilistes à ralentir, affirme Mme Pradines. Autrement dit, une route bordée d’arbres est moins dangereuse, mais lorsqu’un accident se produit, il est plus grave.

Tradition des rois de France

Cela dit, la controverse est officiellement terminée. Après avoir procédé, pendant des décennies, à la suppression d’arbres d’alignement au nom de la sécurité routière, les pouvoirs publics se sont rangés aux arguments des protecteurs de la nature.

La loi de 2016 consacrée à la biodiversité interdit l’abattage ou la dégradation des allées d’arbres, sauf exceptions. Mais celles-ci sont nombreuses : mauvaise santé des végétaux, danger pour les personnes ou les biens, risque de propagation de maladies, ou encore « lorsque l’esthétique de la composition ne peut plus être assurée ». Cette longue liste explique la vigilance de l’association Arbres et routes, qui se retrouve de temps à autre au tribunal pour contester des décisions administratives.

Les défenseurs de la nature convoquent alors les rois de France. Henri II, d’abord : l’époux de Catherine de Médicis ordonna en 1552 de planter des ormes. Son fils, Henri III, réitéra la demande en 1583, puis Louis XV et Napoléon firent de même. Les motivations des souverains allaient de la nécessité de disposer de mâts pour les navires à la délimitation des parcelles menacées par les propriétaires riverains, en passant par le besoin de protéger les chemins du soleil et de la poussière. Au XXe siècle, la Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (Seita) fit planter au bord des nationales de quoi débiter ses allumettes.

« Règles de l’art »

Si bien qu’à la fin du XIXe siècle, les routes de France étaient bordées de 3 millions d’arbres, contre environ 1 million aujourd’hui. Les érables caractérisent les routes du sud de la France, le prunus fleurit en Alsace, les frênes ou les érables garnissent l’est du pays.

« Les plantations étaient indissociables de l’art du jardin à la française », ­assure Mme Pradines. Elles obéissent même à des « règles de l’art » qui rappellent celles de l’architecture : « colonnade, fenêtre, voûte, ou critères d’espacement », indique la spécialiste. A tous ces arguments, elle en ajoute un ultime, économique celui-là : les allées d’arbres contribuent au rayonnement touristique. Un atout que les campagnes traversées par les ex-nationales pourraient exploiter, davantage, selon elle.

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