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Jours tranquilles à Paris
2 décembre 2018

Le redoutable bureau d’enquêtes spéciales aux trousses de Carlos Ghosn

carlos

Par Philippe Mesmer, Tokyo, correspondance - Le Monde

Ce service du ministère japonais de la justice lutte contre la délinquance en col blanc. A son actif, des scandales retentissants dont l’arrestation du patron de Renault-Nissan.

C’est le héros malgré lui de l’affaire Carlos Ghosn. Le bureau d’enquêtes spéciales du parquet de Tokyo est à l’origine de l’arrestation, le 19 novembre à sa descente d’avion, et sous l’œil des caméras opportunément présentes de la chaîne de télévision Asahi, du président déchu de Nissan et Mitsubishi.

Un dirigeant piqué au vif, qui a répliqué en choisissant un certain Motonari Otsuru pour assurer sa défense. L’avocat est un ancien responsable du fameux bureau d’enquêtes spéciales. Il a notamment mené les opérations ayant provoqué la chute, au mitan des années 2000, de Takafumi Horie, flamboyant et ambitieux patron du portail Internet Livedoor, accusé d’infractions aux règles des marchés financiers.

« QUAND LE HUITIÈME ÉTAGE BOUGE, UN FRISSON PARCOURT NAGATACHO », DIT-ON DANS LE QUARTIER.

« Quand le huitième étage bouge, un frisson parcourt Nagatacho », dit-on dans les rues de ce quartier où bat le cœur de la politique japonaise. Le bureau d’enquêtes spéciales est installé au niveau huit du ministère de la justice et, depuis cette position hautement stratégique, le service lutte contre la délinquance en col blanc : corruption, évasion fiscale, atteintes aux règles commerciales ou à celles sur les monopoles privés. Fort de près de cent cinquante personnes, dont une quarantaine de procureurs sélectionnés parmi les meilleurs, qui fouillent les poubelles politico-financières du pays depuis sa création, en 1947.

A l’origine, ce département avait été établi pour enquêter sur les détournements de matériel et d’actifs par l’armée impériale japonaise. Il travaillait alors au service de l’occupant américain. Les biens récupérés, dont des diamants, servaient à payer les dédommagements aux pays ayant subi l’occupation nippone.

Des dirigeants de partis politiques ou d’entreprises visés

Son champ d’action s’est par la suite élargi et son histoire est jalonnée d’une impressionnante série de scandales retentissants, dont les mésaventures de Carlos Ghosn ne sont que le dernier épisode. Début 2018, il s’est aussi penché sur les soupçons d’entente illégale autour du mégachantier du train à sustentation magnétique (Maglev).

Au milieu des années 1970, il a révélé ce qui allait devenir le scandale Lockheed. Dans

ce dossier, l’industriel américain Lockheed Aircraft Corporation avait été accusé d’avoir versé des millions de dollars à des représentants du gouvernement japonais par l’intermédiaire d’une maison de commerce nippone, Marubeni Corporation, pour faciliter la vente d’avions à la compagnie aérienne All Nippon Airways (ANA). Ces révélations avaient valu son poste au premier ministre, Kakuei Tanaka, condamné ensuite à quatre ans de prison.

A la fin des années 1980, le bureau a mis en évidence l’affaire Recruit, sur des faits de corruption et de délit d’initiés à l’origine de la démission du premier ministre Noboru Takeshita. Le scandale impliquait nombre de dirigeants de partis politiques ou d’entreprises, comme le patron du groupe de presse Yomiuri ou celui du géant de la téléphonie NTT.

La part d’ombre et l’influence des Etats-Unis

La liste des accusés parmi les personnalités politiques est longue. S’y ajoutent notamment l’ancien ministre et député Muneo Suzuki qui a fini derrière les barreaux pour une histoire de financement politique en 2002.

Quelques années plus tard, ce fut au tour d’Ichiro Ozawa d’être contraint de renoncer à son ambition de devenir chef du gouvernement pour des raisons similaires.

Pour inquiétant qu’il soit, ce service a également sa part d’ombre. Héritier d’une structure ayant travaillé pour l’administration américaine d’occupation, il est parfois soupçonné d’être toujours sous l’influence des Etats-Unis. Dans l’affaire Ichiro Ozawa, certains se sont étonnés que les attaques fusent à quelques mois d’importantes élections.

En 2011, l’un des procureurs de la branche d’Osaka du bureau d’enquêtes spéciales avait présenté ses excuses à Atsuko Muraki, une haute fonctionnaire du ministère du travail injustement mise en cause qui avait dû passer près de cinq mois en détention. Elle a tiré de cette expérience un livre au titre ravageur : La maladie des organisations japonaises (Nihongata soshiki no yamai wo kangaeru, Kadokawa, 2018). En illustrant son propos avec le fonctionnement du parquet.

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