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Jours tranquilles à Paris
7 janvier 2019

Procès de Philippe Barbarin : l’Eglise face à ses prêtres pédophiles

barbarin

Par Emeline Cazi, Pascale Robert-Diard - Le Monde

Le cardinal de Lyon est jugé à partir de lundi pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs ».

En faisant asseoir sur le banc des prévenus le cardinal de Lyon Philippe Barbarin, primat des Gaules, l’archevêque d’Auch Maurice Gardès, l’évêque de Nevers Thierry Brac de la Perrière, le prêtre Xavier Grillon, les parties civiles à l’origine de la plainte pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans » ont atteint leur premier but. Par le nombre de dignitaires ecclésiastiques poursuivis et leur notoriété, l’audience qui s’ouvre lundi 7 janvier devant le tribunal correctionnel de Lyon revêt d’ores et déjà un caractère inédit.

Au-delà de l’affaire singulière qui leur vaut de comparaître, c’est bien l’attitude de l’Eglise face aux dérives de ses prêtres pédophiles que les plaignants veulent mettre en procès. Ne manquera à l’appel que le secrétaire de la Congrégation de la doctrine de la foi Luis Ladaria, lui aussi visé par la plainte, pour lequel le Vatican a opposé une immunité.

« Gagner n’est pas notre préoccupation première. Nous voulons avant tout porter le débat de la non-dénonciation publiquement » confiait au Monde en août 2017 le président de l’association La parole libérée, François Devaux. Cette volonté a déterminé les plaignants dans le choix de la procédure, celle d’une citation directe devant le tribunal, dans laquelle il leur revient de porter eux-mêmes l’accusation.

L’affaire lyonnaise commence en juillet 2014 par un mail qu’adresse Alexandre Hezez à son évêque, Mgr Barbarin. Ce père de famille, ancien scout de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) a découvert que Bernard Preynat, le prêtre qui a abusé de lui entre ses 9 et 11 ans, est toujours en poste et au contact de jeunes enfants. Dans son message, il détaille les attouchements qu’il a subis de la part de l’ancien aumônier. Le cardinal Barbarin le dirige aussitôt vers une laïque du conseil épiscopal chargée de l’écoute de « ceux qui ont vécu de telles souffrances par la faute d’un prêtre. » Une rencontre est organisée en octobre de la même année entre l’ancien scout et son agresseur. L’entretien dure une heure, et se conclut par un Notre Père.

Alexandre Hezez insiste auprès de l’archevêque, qui le reçoit en novembre 2014, sur l’urgence de muter le prêtre. Philippe Barbarin s’engage à envoyer le dossier à Rome. Constatant que le curé est toujours en poste en juin 2015 – il sera officiellement mis un terme à ses fonctions en septembre 2015 –, le père de famille alerte le procureur de la République. Une première enquête sur les agissements du père Preynat est ouverte. Très vite, elle révèle de nombreuses victimes. Une seconde cible l’attitude de l’Eglise : la hiérarchie catholique savait et n’en a rien dit à la justice. Il s’agit alors de déterminer si ce silence tombe sous le coup de la loi pour « non-dénonciation » d’atteintes sexuelles sur mineurs, un délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Mettre l’Eglise face à ses contradictions

Un an plus tard, en août 2016, le parquet de Lyon classe l’enquête Barbarin sans suite, au motif que l’absence de dénonciation n’a pas constitué une « entrave à la saisine de la justice ». Les parties civiles renoncent à faire appel de cette décision et ne sollicitent pas la désignation d’un juge d’instruction, par crainte de voir les débats s’enliser plusieurs années. Elles décident donc d’adresser dans la foulée une citation directe à comparaître aux cinq ecclésiastiques, auxquels s’ajoutent deux laïques, Pierre Durieux, alors directeur de cabinet du cardinal de Lyon, et Régine Maire, la bénévole qui avait reçu Alexandre Hezez.

Pour les plaignants, en effet, il est temps de mettre l’Eglise face à ses contradictions. En France, la conférence épiscopale de novembre 2000 avait marqué un tournant sur la pédophilie. Dans une déclaration commune, les évêques réunis à Lourdes affirmaient alors que « les prêtres qui se sont rendus coupables d’actes à caractère pédophile doivent répondre de ces actes devant la justice », et que l’évêque « ne peut ni ne veut rester passif, encore moins couvrir des actes délictueux ».

En 2003, une brochure éditée à destination de tous les éducateurs proclamait en exergue que « rechercher la vérité est la première des exigences », et insistait sur le devoir « d’informer la justice » qui s’imposait à toute personne en présence de dénonciation de « faits précis. » En 2015, la pédophilie figurait encore à l’ordre du jour de la conférence épiscopale afin de sensibiliser la nouvelle génération d’évêques au sujet. L’affaire lyonnaise témoigne, selon les parties civiles, qu’il y a loin entre les déclarations de principe ou « la tolérance zéro » prônée par le pape François à l’égard des prêtres coupables et leur traduction dans la réalité.

La démarche des plaignants lyonnais a entre-temps reçu un opportun renfort judiciaire, avec le jugement rendu en novembre 2018 par le tribunal d’Orléans dans une affaire qui présente des similitudes avec celle de Lyon. Lors d’une même audience, ont été jugés un prêtre, Pierre de Castelet, accusé d’agressions sexuelles sur de jeunes garçons à l’été 1993 et l’ancien évêque d’Orléans, Mgr André Fort, poursuivi pour non-dénonciation des agissements dont il avait eu connaissance. Pour sa défense, Mgr Fort avait expliqué que, lorsqu’il avait reçu une des victimes, un homme devenu majeur, il n’avait pas perçu chez lui « une volonté de dénoncer les faits à la justice. » « Il ne me l’a pas demandé, et je n’étais pas conscient que c’était une obligation », avait-il déclaré.

Atteintes sexuelles prescrites

Dans son jugement, qui condamne l’ancien évêque à huit mois d’emprisonnement avec sursis, le tribunal relève que ce raisonnement « contrevient aux objectifs même de la loi pénale » et souligne que « le délit de non-dénonciation d’agression sexuelle sur mineurs de 15 ans, vise justement à inciter ceux qui ont eu connaissance de tels faits à informer la justice, alors que les victimes ne sont pas nécessairement en mesure de le faire ». Cette décision sous-entend que l’obligation de dénonciation s’étend même dans le cas où la victime est devenue majeure et donc en capacité de porter plainte elle-même. N’ayant pas été frappée d’appel, elle est devenue définitive.

L’interprétation faite par le tribunal d’Orléans de l’article 434-3 du code pénal est vigoureusement contestée par Mes André Soulier et Jean-Félix Luciani, les avocats du cardinal Barbarin, poursuivi sur le même fondement. Cet article, observent-ils, oblige à dénoncer les atteintes sexuelles « infligées à un mineur de 15 ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger ».

Un présent de l’indicatif qui, selon la défense, traduit la volonté du législateur de ne pas faire peser sur des tiers une obligation de dénonciation sans limite de temps et de laisser à la victime, devenue adulte, la liberté d’engager ou pas des poursuites judiciaires. La conception inverse, soulignent-ils, reviendrait à instaurer une sorte de « totalitarisme judiciaire » dans lequel toute personne qui n’irait pas porter plainte alors qu’elle est informée d’atteintes sexuelles infligées durant l’enfance à une autre, devenue adulte, pourrait être poursuivie.

Lorsqu’il a informé Mgr Barbarin des faits dont il avait été victime, Alexandre Hezez était âgé de 40 ans. L’évêque de Lyon a toujours affirmé qu’il l’avait encouragé à porter plainte mais n’avait pas imaginé devoir le faire lui-même. Sa défense relève en outre que l’article 434-3 figure dans la section du code pénal relative aux « entraves à la justice ». Or, rappelle-t-elle, les atteintes sexuelles subies par Alexandre Hezez entre 9 et 11 ans, étaient prescrites.

Comme l’avait déjà relevé le parquet dans sa décision de classement sans suite, la non-dénonciation reprochée à Philippe Barbarin ne saurait être considérée comme une entrave à la justice pour des faits prescrits. Autant d’arguments qui nourrissent l’espoir de Mgr Philippe Barbarin d’incarner judiciairement non pas le silence coupable de l’Eglise, mais sa prise de conscience face à ce qu’il nomme « le désastre de la pédophilie. »

A la veille de son procès, le cardinal Barbarin demande « que s’accomplisse la justice ». « Pour la première fois je ne viens pas vivre avec vous cet après-midi de joie au milieu de notre fraternité diocésaine. Il m’a semblé plus juste de ne pas prendre part à une manifestation de cette ampleur à la veille de journées graves que je confie à votre prière », a dit le cardinal Barbarin dans un message transmis lors des vœux du diocèse de Lyon dimanche 6 janvier au soir, à la veille de son procès. « Demain en effet, avec cinq autres prévenus, nous devons nous présenter au tribunal et je pense plus juste de rester aujourd’hui dans la réserve et le silence », a justifié l’archevêque. « Demandons au seigneur que s’accomplisse le travail de la justice, demandons lui aussi qu’il guérisse tout ce qui doit l’être, dans le cœur des victimes d’actes de pédophilie aussi injustes que terribles », a encore déclaré Mgr Barbarin dans ce courrier lu par son évêque auxiliaire Mgr Emmanuel Gobilliard, abondamment applaudi dans une salle de l’Université catholique de Lyon archi-comble.

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