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Jours tranquilles à Paris
8 janvier 2019

« La crise que Macron encaisse aujourd’hui se creuse depuis une vingtaine d’années »

macron stop

Par Gérard Courtois, éditorialiste au « Monde »

Le discrédit envers les institutions que révèlent les « gilets jaunes » est le fruit de reniements successifs, et plusieurs coups de semonce auraient dû sonner l’alarme, estime, dans sa chronique, Gérard Courtois, éditorialiste au « Monde ».

En présentant ses vœux aux Français le 31 décembre, le président de la République Emmanuel Macron a résumé en peu de mots la crise dans laquelle le pays est plongé depuis des semaines et la voie qu’il préconise pour en sortir. En 2018, « nous avons vécu de grands déchirements et une colère a éclaté, qui venait de loin… ». En 2019, « nous devons redonner toute sa vitalité à notre démocratie ».

De fait, si c’est lui qui l’encaisse aujourd’hui de plein fouet – et qui l’a sans nul doute provoquée par sa manière d’être et de faire –, cette crise se creuse depuis une vingtaine d’années. Plusieurs coups de semonce auraient dû sonner l’alarme. Les responsables politiques, fort peu responsables en l’occurrence, les ont superbement ignorés.

Dès 1995, Jacques Chirac fit de la réduction de la « fracture sociale » le thème de sa campagne victorieuse. Une fois à l’Elysée, il n’en fit rien, et les électeurs lui firent payer ce reniement deux ans plus tard en le privant de majorité à l’Assemblée nationale.

Le deuxième avertissement fut envoyé au premier tour de la présidentielle de 2002, avec l’élimination du premier ministre socialiste Lionel Jospin, la qualification du leader de l’extrême droite Jean-Marie Le Pen et le score presque humiliant (à peine 20 % des suffrages) du président en titre, Jacques Chirac. Lequel, au soir de sa victoire finale, assura les Français qu’il avait compris leur « appel pour que la politique change ». Or rien ne changea.

Electeurs floués

Rien ne changea, non plus, au lendemain du référendum de 2005, où les Français rejetèrent le projet de traité constitutionnel européen. Deux ans plus tard, au lendemain de son élection, Nicolas Sarkozy négocia avec ses partenaires le traité de Lisbonne qui reprenait l’essentiel de la Constitution rejetée et qu’il fit ratifier par le Parlement. Nul doute que bien des électeurs se sont sentis floués.

Quant à François Hollande, il engagea en 2014 une politique de soutien aux entreprises aux antipodes des credo de la gauche et dont il n’avait dit mot durant sa campagne de 2012, provoquant une fronde dans son propre camp qui explique, en grande partie, son renoncement à se représenter.

Ajoutons que depuis une quinzaine d’années, et plus encore après le déclenchement de la crise économique mondiale en 2008, ni la droite ni la gauche n’ont su efficacement porter remède aux maux qui minent le pays et qui sont au cœur de la révolte des « gilets jaunes » : chômage de masse, insécurité sociale, alourdissement constant de la charge fiscale – sans parler de l’endettement public abyssal.

Discrédit sans précédent des institutions politiques

Il aurait été miraculeux, dans ces conditions, que les citoyens ne perdent pas confiance dans leurs élus et dans leurs dirigeants. Depuis dix ans, le baromètre établi par le centre de recherche de Sciences Po (Cevipof) donne la mesure de cette fracture politique, démocratique même. Réalisée en décembre 2018, la nouvelle édition de cette enquête sera rendue publique le 16 janvier. Mais quelques chiffres permettent, dès à présent, de confirmer l’ampleur de la crise.

Ainsi, hormis le conseil municipal, les principales institutions politiques souffrent d’un discrédit sans précédent : il ne se trouve plus que 28 % de Français pour faire confiance à la présidence de la République, 22 % au gouvernement, 23 % à l’Assemblée nationale et 9 % aux partis politiques. Quant à l’Etat lui-même, trois Français sur quatre (74 %) jugent que ses affaires sont conduites dans l’intérêt de quelques-uns et non dans l’intérêt général. Ce n’est guère surprenant, dès lors que 85 % des personnes interrogées estiment que les responsables politiques se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens comme eux.

Deux indicateurs supplémentaires donnent le vertige. Quand on demande aux Français ce qu’ils éprouvent quand ils pensent à la politique, 37 % répondent de la méfiance et 32 % (en hausse de 7 points en un an) du dégoût, contre 9 % de l’intérêt et 5 % de l’espoir… Enfin, un pourcentage équivalent (70 %, en hausse de 9 points en un an) considère que la démocratie ne fonctionne pas bien en France.

Macron a braqué la France

A la lecture de ce réquisitoire, l’on mesure l’ampleur du défi fixé par Emmanuel Macron : redonner toute sa vitalité à notre démocratie. D’autant que, si ses prédécesseurs portent leur part de responsabilité dans cet état des lieux accablant, la sienne n’est pas plus mince.

N’avait-il pas promis, en 2017, de sortir le pays de ses ronchonnements pessimistes, de lui redonner le goût de l’avenir et, pour cela, d’engager une « révolution démocratique », de « revivifier nos appareils sclérosés », à commencer par les partis politiques, enfin d’inventer une « République contractuelle [qui fasse] confiance aux territoires, à la société et aux acteurs pour se transformer » ?

Or c’est l’inverse qui s’est produit : les territoires et leurs élus ont été rudoyés, les acteurs sociaux négligés, les citoyens sermonnés sans ménagement. Quant au parti présidentiel, il est très loin de remplir la mission qui lui était assignée : « Former, réfléchir et proposer.»

Le candidat Macron voulait bousculer la France pour mieux la moderniser. Le président Macron l’a braquée comme rarement, provoquant un ressentiment qu’il lui sera très difficile d’effacer.

Au moins pourra-t-il s’appuyer, dans le grand débat qu’il va engager, sur un chiffre encourageant de l’enquête de Sciences Po : pour 80 % des Français (+ 2 points en un an), « la démocratie peut poser des problèmes, mais c’est quand même mieux que n’importe quelle autre forme de gouvernement ». Quelle que soit la sévérité des critiques à l’encontre du système politique et de ses acteurs, l’aspiration démocratique du pays reste profondément enracinée. Encore faut-il savoir l’écouter, la respecter et la prendre en compte. C’est tout l’enjeu des prochains mois.

liberte etc

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