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Jours tranquilles à Paris
15 février 2019

« Sodoma » explore la place de l’homosexualité au cœur du Vatican

Par Cécile Chambraud

L’auteur de cette enquête décrit une institution imprégnée d’une sociabilité et de références à forte prégnance homosexuelle, alors même qu’elle condamne cette orientation sexuelle.

Le pape François le recevra en fin de semaine, et la référence biblique du titre annonce clairement son propos. Sodoma, enquête au cœur du Vatican (Robert Laffont, 23 euros), un livre de 632 pages sur l’homosexualité au sommet de l’Eglise catholique, paraîtra le 21 février dans une vingtaine de pays à la fois, en huit langues.

Au même moment commencera à Rome un sommet de quatre jours sur la pédophilie, auquel tous les présidents de conférences épiscopales du monde ont été convoqués.

Le sujet de l’ouvrage et la concomitance avec le sommet romain ont tout pour alimenter un nouvel épisode des luttes internes virulentes au sein du pouvoir romain. Déjà attaquée sur sa gestion des abus sexuels, l’Eglise pourrait bientôt faire face à un procès pour hypocrisie dans son discours sur la sexualité.

L’auteur de cette enquête est français. Pendant quatre ans, l’écrivain et journaliste Frédéric Martel a enquêté à Rome et dans de nombreux pays, notamment en Amérique latine. Il a parlé avec des ecclésiastiques, des diplomates, des politiques, des journalistes, des militants gays, des prostitués, des policiers romains, des gardes suisses et même un confesseur de Saint-Pierre – au total « près de 1 500 personnes ». Il a passé au Vatican une semaine par mois, hébergé régulièrement dans la cité-Etat ou dans deux de ses dépendances à l’invitation de prélats qui étaient aussi des sources directes.

Il décrit une institution imprégnée d’une sociabilité, de références, de relations à forte prégnance homosexuelle, alors même qu’elle a fait de la condamnation de cette orientation sexuelle – continuant d’y voir un comportement « intrinsèquement désordonné » – l’un des messages structurants de son discours moral, qu’elle s’est opposée partout au mariage homosexuel, qu’elle réprouve l’usage de préservatifs y compris pour lutter contre la transmission du VIH, et qu’elle défend mordicus le célibat chaste des prêtres.

Se taire, c’est se protéger

Frédéric Martel ne s’en prend pas au décalage entre l’obligation de continence sexuelle qui s’impose aux prêtres et une réalité bien plus complexe. Il porte même un regard compréhensif sur ces ecclésiastiques qui s’arrangent comme ils le peuvent avec leur libido : « Pour moi, un prêtre ou un cardinal ne doit avoir aucune honte à être homosexuel », écrit-il.

L’animateur du magazine dominical Soft Power, sur France Culture, n’est pas dans une logique de dénonciation de situations individuelles. Il a d’ailleurs choisi de ne pas révéler les noms des personnes concernées lorsqu’elles sont vivantes – même si le livre est jonché de petits cailloux qui seront autant de clés de lecture pour les lecteurs et le monde du Vatican.

Le système qu’il décrit est sans doute hypocrite, mais – c’est une des thèses du livre – il est surtout générateur d’effets pervers, dont le moindre n’est pas la protection accordée aux auteurs d’abus sexuels. Pour dissimuler la vérité sur leur propre sexualité, qui contrevient aux enseignements de l’Eglise et risque de les exposer à l’opprobre ou à un possible chantage, les gays du sommet de l’Eglise auraient fait du secret leur meilleur rempart. Mais s’il les protège, ce secret protège aussi ceux qui, eux, commettent des crimes ou des délits, qu’ils soient sexuels ou financiers.

Comment les dénoncer, sauf à risquer d’être soi-même découvert ? Se taire, c’est se protéger. Ce serait, selon l’auteur, l’une des causes de la dissimulation des agressions sexuelles sur mineurs dans les dernières décennies. Car si le penchant homosexuel, explique-t-il, est toléré à l’intérieur de l’institution, « la visibilité est interdite ». Le « don’t ask, don’t tell » (« ne demandez pas, ne racontez pas ») qui a longtemps prévalu dans l’armée américaine serait une règle de vie à Rome.

Frédéric Martel ne connaissait pas spécialement les arcanes vaticanes avant de commencer son enquête. Il dit avoir été surpris par l’ampleur de ce qu’il a découvert, par le nombre de prélats qui, selon leur expression imagée, « font partie de la paroisse ». Cette « paroisse » serait « majoritaire », y compris au sein du collège des cardinaux, « puissante » et « influente ». Etre gay ferait « partie d’une sorte de norme ».

« Pétris de contradictions »

Cette « homosociabilité généralisée » ne constituerait ni un lobby ni un réseau, mais, faisant système, étendrait ses règles à tout le Vatican. Il s’agit d’un « immense réseau de relations homophiles ou homosexualisées, polymorphes, sans centre, mais dominées par le secret, la double vie et le mensonge ». L’auteur parle même d’une Eglise « devenue sociologiquement homosexuelle ».

Le pape François, avec son « Qui suis-je pour juger ? », sort de ce livre à son avantage. Si son entourage direct compterait autant de gays que celui de ses prédécesseurs, il est dépeint comme « le plus gay-friendly des souverains pontifes modernes » et le moins obsédé par la morale sexuelle. C’est précisément ce « libéralisme supposé sur les questions de morale sexuelle » qui serait au cœur de la bataille « menée contre lui par des cardinaux conservateurs qui sont très homophobes – et, pour la plupart d’entre eux, secrètement homophiles ».

Frédéric Martel cite les nombreuses occasions où François accuserait à demi-mot les « pères la morale » du Vatican de duplicité, semblant partager la conviction de l’auteur selon laquelle plus un discours est homophobe, plus la probabilité que son auteur soit gay est forte. « Derrière la rigidité, il y a toujours quelque chose de caché ; dans de nombreux cas, une double vie », a ainsi affirmé le pape argentin. Parmi ses ennemis, précise M. Martel, les « homosexuels planqués, pétris de contradictions et d’homophobie intériorisée » seraient légion.

En revanche, l’ouvrage est beaucoup plus sévère avec les pontificats de Jean Paul II et de Benoît XVI, dont se revendiquent bien des opposants à François. L’entourage le plus proche de ces deux pontifes est mis en cause à travers leurs secrétaires particuliers, leurs secrétaires d’Etat (« premier ministre » du Saint-Siège), de nombreux autres poids lourds de la curie (dont deux sont désignés par les surnoms dont les ont affublés leurs collègues, « Platinette » et « La Mongolfiera »), ainsi que de hauts prélats de pays où étaient commis à cette époque des abus sexuels à grande échelle.

Le pape polonais aurait été entouré d’un « anneau de luxure » qui aurait eu sa part dans l’étouffement des scandales de pédophilie de cette époque, notamment l’affaire Marcial Maciel, au Mexique, mais aussi l’affaire Fernando Karadima au Chili.

Affaires douteuses

Frédéric Martel soutient que cette dimension homosexuelle serait une clé de compréhension essentielle de l’histoire de l’Eglise catholique des dernières décennies, de ses postures morales aux affaires financières douteuses, en passant par la proximité avec certaines dictatures d’Amérique latine, la lutte contre les tenants de la théologie de la libération, le combat contre les lois sur le mariage pour tous, le scandale Vatileaks, la démission de Benoît XVI, et les attaques aujourd’hui contre le pape François.

Dans les conflits qui agitent le pontificat de François, certains conservateurs veulent lier homosexualité et pédophilie – ce que ce livre, évidemment, ne fait pas, qui ne traite pas des abus. C’est le cas de Mgr Carlo Maria Vigano, qui a cité un grand nombre de cardinaux et d’archevêques en activité, aujourd’hui ou dans les deux précédents pontificats, dans un accusatoire « témoignage » publié en août 2018. Dans ce contexte, il y a de fortes chances que Sodoma soit instrumentalisé.

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