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Jours tranquilles à Paris
18 février 2019

Une semaine sous tension pour l’Eglise catholique, attendue sur les violences sexuelles

pedophilie

Par Cécile Chambraud - Le Monde

Le Vatican réunit à partir de jeudi des évêques du monde entier à Rome pour une conférence consacrée aux moyens de lutter contre ces abus.

Theodore McCarrick fut l’un des « princes de l’Eglise » catholique, l’une des figures les plus influentes de l’épiscopat américain. A 88 ans, cet ancien cardinal, archevêque émérite de Washington, n’est même plus autorisé désormais à célébrer une messe. La congrégation pour la doctrine de la foi, le « ministère » romain chargé du respect de l’orthodoxie et qui est aussi chargé de traiter et juger les affaires de pédophilie et de violences sexuelles, a annoncé, samedi 16 février, le renvoi de l’état clérical de ce prélat qui avait déjà dû renoncer à son titre de cardinal en juillet 2018. Il a en effet été reconnu coupable de « sollicitation [d’actes sexuels] en confession » et d’actes sexuels « contre des mineurs et des adultes, avec la circonstance aggravante de l’abus de pouvoir ».

Cette décision était anticipée depuis des semaines. Elle n’en est pas moins inédite. C’est la première fois, dans l’histoire moderne, qu’un cardinal (le plus haut titre dans l’Eglise catholique) est défroqué pour scandale sexuel. Elle contribue à approfondir l’état de choc dans lequel se trouve l’Eglise catholique, à quelques jours d’un important sommet, à Rome, sur « la prévention des abus sexuels sur les mineurs et les adultes vulnérables ».

Après les révélations en cascade de l’été 2018 (le rapport de la justice américaine sur cinquante ans de pédophilie en Pennsylvanie, les conclusions de la commission d’enquête en Allemagne sur les affaires depuis 70 ans outre-Rhin, les accusations portées contre le pontife par un archevêque de curie), le pape François avait pris l’initiative, en septembre, de convoquer tous les présidents de conférence épiscopale pour faire le point sur les abus sexuels. La réunion se tiendra du 21 au 24 février en présence d’une centaine d’entre eux, de représentants du Vatican, d’experts et de victimes qui témoigneront de ce qu’elles ont enduré.

Accusations « crédibles et fondées »

L’essor et la chute de Theodore McCarrick réunissent tous les ingrédients de la crise que traverse actuellement l’Eglise catholique. En juin, la conférence épiscopale américaine avait reconnu « crédibles et fondées », les accusations d’un ancien enfant de chœur qui dit avoir été agressé par l’ecclésiastique dans les années 1970. Un peu plus tard, un autre homme a affirmé que l’ancien prélat, qui était un ami de sa famille et était fréquemment invité par ses parents, l’a agressé sexuellement pendant des années à partir de l’âge de 11 ans, notamment lorsqu’il l’entendait en confession. Cette accusation de pédophilie a conduit le pape François à obtenir sa sortie du collège cardinalice, en juillet.

Mais Theodore McCarrick n’a pas seulement agressé des mineurs. Pour la première fois, un prélat est sanctionné pour avoir commis des violences sexuelles sur des adultes vis-à-vis desquels il était en position de pouvoir. Il a été accusé par d’anciens séminaristes (par lesquels il se faisait appeler « oncle Ted ») de les avoir contraints à des relations sexuelles. Parmi les affaires d’abus sexuels qui émergent dans de nombreux pays, plusieurs ont pour cadre des séminaires – où sont formés les prêtres –, comme au Chili ou aux Etats-Unis. Des formateurs, voire des évêques qui seront plus tard leurs « supérieurs », sont accusés d’avoir fait pression sur eux pour obtenir des faveurs sexuelles. Ailleurs que dans l’Eglise, cela s’appelle du harcèlement sexuel.

Le 5 février, lors d’une conférence de presse, le pape avait, pour la première fois officiellement, reconnu l’existence de violences sexuelles perpétrées par des prêtres sur des religieuses. Aux violences contre les mineurs s’est donc bien ajouté, reconnu par le chef de l’Eglise catholique, le scandale des violences contre des majeurs. L’enquête préliminaire ouverte le 24 janvier par le parquet de Paris à l’encontre du nonce (l’ambassadeur) du Vatican à Paris, Mgr Luigi Ventura, pour agression sexuelle contre un salarié de la mairie de Paris, et révélée vendredi par Le Monde, s’ajoute à cette liste.

L’étouffement du scandale

L’affaire McCarrick pose également, et à quelle échelle, la question de l’attitude de la hiérarchie catholique lorsqu’elle a vent de dérives sexuelles au sein du clergé. Qui, au Vatican, a protégé ou favorisé la prestigieuse carrière de Theodore McCarrick alors même que les rumeurs sur son comportement avec les séminaristes semblent très anciennes ? Un prêtre de New York, Boniface Ramsay, aurait ainsi alerté le Saint-Siège dès 2000, lorsque McCarrick, alors évêque de Newark, a été nommé archevêque de Washington par Jean-Paul II.

Cela n’a pas empêché le pape polonais de le créer cardinal l’année suivante. Par la suite, y compris après sa mise à la retraite comme évêque, le cardinal avait continué à se voir confier des missions qui l’ont conduit dans de nombreux pays, notamment en Chine, au Vietnam, à Cuba. Dans un « témoignage » très hostile au pape François et publié au mois d’août, en pleine visite apostolique en Irlande, un ancien nonce aux Etat-Unis, Mgr Carlo Maria Vigano, a accusé François d’avoir protégé Theodore McCarrick et même d’avoir effacé des sanctions prises à son encontre par Benoît XVI.

Relayée par les évêques américains, la question de l’étouffement du scandale au plus haut niveau de l’Eglise se pose maintenant avec acuité. En octobre, le Vatican a annoncé le lancement d’une enquête interne au sujet de la carrière du prélat américain. « Le Saint-Siège est conscient qu’(…) il pourrait apparaître que des choix faits dans le passé ne sont pas en phase avec une approche contemporaine de ces problèmes », avait prévenu la déclaration du Vatican. On ne sait pas si et quand les conclusions de cette investigation seront rendues publiques. Sur le terrain, des enquêtes sont par ailleurs en cours dans les quatre diocèses (New York, Metuchen, Newark et Washington) dans lesquels Theodore McCarrick a été évêque.

Parution de « Sodoma »

Un autre événement devrait marquer l’ouverture de la réunion des présidents des conférences épiscopales, jeudi. Il s’agit de la parution le même jour, dans vingt pays à la fois, du livre Sodoma. Ecrit par le journaliste et essayiste français, Frédéric Martel, il décrit un Vatican dominé par une homosexualité aussi cachée que structurante, en totale contradiction avec le discours de l’Eglise sur le célibat des prêtres, la morale sexuelle, l’homosexualité, le mariage gay, etc.

Dans cette atmosphère agitée, l’un des objectifs de la réunion sera de convaincre les épiscopats de toutes les latitudes que la pédophilie et les abus sexuels sont un fléau universel et non pas, comme l’assurent certains prélats, une particularité occidentale. Elle doit aussi diffuser l’obligation, pour les évêques, de ne pas protéger les prêtres fautifs.

Le Vatican n’a eu de cesse, ces dernières semaines, d’essayer de réduire les attentes suscitées par l’annonce de cette réunion. Les associations de victimes, qui seront aussi présentes à Rome, poussent au contraire pour que des décisions concrètes y soient prises. Dans le contexte de crise, de simples généralités auraient peu de chance d’être audibles. L’Eglise est sous la pression d’une exigence de résultat.

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