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Jours tranquilles à Paris
20 février 2019

Analyse : « Grâce à Dieu », de François Ozon : deux jugements et des questions

Par Pascale Robert-Diard

Le long-métrage sur l’affaire Preynat, du nom d’un ancien aumônier accusé d’abus sexuels, pourra sortir en salles, le 20 février, avant un jugement du tribunal correctionnel dans ce dossier, attendu le 7 mars.

Le tribunal de Lyon a rejeté, mardi 19 février, la demande de l’ex-bénévole du diocèse Régine Maire, de voir supprimer son patronyme dans le film Grâce à Dieu de François Ozon. Après la décision rendue la veille par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris qui a débouté Bernard Preynat, l’ancien aumônier scout accusé d’agressions sexuelles sur mineurs, le long-métrage de François Ozon a donc surmonté les obstacles juridiques à sa sortie en salle mercredi 20 février.

Les deux jugements se fondent sur le même raisonnement : le respect du principe de la présomption d’innocence doit être mis en balance avec celui de la liberté d’expression. Or, soulignent-ils, un report du film au nom de l’atteinte au premier principe aurait constitué un dommage disproportionné au second. Les juges de Lyon relèvent ainsi que « l’argument financier qui expose les conséquences désastreuses engendrées par un report de sortie du film du fait de sa livraison dans 307 salles de cinéma doit être pris en considération ».

L’un et l’autre estiment suffisants les encarts insérés à la fin du film rappelant le droit à la présomption d’innocence. A l’appui de sa décision, le tribunal de Lyon relève en outre que « la libération de la parole des victimes d’agressions sexuelles commises au sein de l’Eglise constitue un débat d’intérêt général sur le plan mondial, qui conduit l’Eglise catholique à évoluer. » Reprenant à son compte le point de vue des critiques cinématographiques, le tribunal estime que le long-métrage de François Ozon « contribue à alimenter ce débat de manière non manichéenne et avec subtilité ».

Des personnages pas tous logés à la même enseigne

Ces deux décisions motivées qui font litière de tous les arguments présentés tant par Bernard Preynat que par Régine Maire, suscitent toutefois quelques questions. En présentant son film comme une fiction basée sur des faits réels, le réalisateur joue sur deux tableaux : d’une part, l’intérêt légitime du public pour l’histoire vraie des anciens scouts de Sainte-Foy-lès-Lyon et de leur combat pour faire reconnaître la culpabilité de Bernard Preynat et dénoncer le silence de l’Eglise, racontée au plus près des procès-verbaux, courriers et mails échangés qui constituent les deux dossiers judiciaires ouverts sur cette affaire ; d’autre part, la liberté que lui donne la fiction de créer des scènes, des dialogues et de prêter des sentiments ou des attitudes à ses personnages.

La difficulté vient du fait que ceux-ci ne sont pas tous logés à la même enseigne. Contrairement aux victimes des agissements de l’ancien aumônier, désignées sous des patronymes d’emprunt, afin de protéger leurs enfants dont certains sont mineurs et scolarisés, Bernard Preynat, le cardinal Philippe Barbarin ou Régine Maire apparaissent sous leur véritable identité.

Sort judiciaire contre vérité cinématographique

Le cas de cette dernière est emblématique. Selon son avocat, Me Xavier Varhamian, l’ex-bénévole du diocèse de Lyon ne se reconnaît pas sous les traits du « personnage sévère, servile à l’égard du cardinal Barbarin, absolument dénuée d’empathie » mise en scène à l’écran. Surtout, elle est accusée dans le film d’avoir cherché à « endormir une victime » en l’incitant à ne pas porter plainte. Liberté de la fiction, leur répond-on.

La prévenue Régine Maire, poursuivie devant le tribunal correctionnel de Lyon aux côtés du cardinal Barbarin pour « non-dénonciation d’atteintes sexuelles sur mineurs », a au contraire toujours soutenu qu’elle avait encouragé les victimes du père Preynat à alerter la justice. Cette affirmation n’a pas été démentie par les plaignants lors du procès qui s’est tenu en janvier et la relaxe de l’ancienne bénévole a été requise.

Son sort judiciaire, tout comme celui de Philippe Barbarin, est entre les mains du tribunal correctionnel de Lyon et ne sera connu que le 7 mars. Mais sa vérité cinématographique s’affichera dès mercredi dans les salles de cinéma et se prolongera sur les écrans de télévision. C’est cette vérité qui triomphera.

« Les juges détestent les poursuites préventives », constate Henri Leclerc, l’un des familiers de ce type de contentieux. « Et ils adorent être du bon côté », complète son confrère Richard Malka. La qualité du film de François Ozon est célébrée. L’intérêt public du sujet qu’il traite est indiscutable. Moins vertueux sont les enjeux financiers et commerciaux qui ont déterminé la date de sa diffusion et qui s’imposent désormais à ceux dont ils négligent les droits.

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