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Jours tranquilles à Paris
2 avril 2019

La loi islamique imposée au sultanat de Brunei, une décision condamnée par l’ONU

Par Bruno Philip, Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est

A partir du mercredi 3 avril, l’homosexualité et l’adultère seront punis par lapidation et le vol, par l’amputation d’une main. La mise en œuvre des châtiments pour les délits sexuels reste néanmoins complexe.

Le Brunei, un petit sultanat à majorité musulmane sur les côtes de Bornéo, va appliquer la charia, ou loi islamique, à partir du mercredi 3 avril. Les punitions seront particulièrement sévères : lapidation pour homosexualité et adultère, amputation d’une main pour les voleurs. La haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a dénoncé lundi la nouvelle législation, qui, si elle était appliquée, « marquerait un sérieux recul pour la protection des droits humains ».

L’annonce de l’entrée en vigueur de la loi coranique et des châtiments qu’elle implique n’est pas une surprise : en 2014, le sultan Hassanal Bolkiah, 72 ans, avait décidé d’appliquer la charia par étapes sur son émirat, dont 67 % de la population est musulmane. Cette dernière phase concerne l’imposition complète des hudud, l’arsenal juridique qui prévoit les peines contre les « crimes » allant à l’encontre de la « loi de Dieu » : fornication, adultère, rapports sexuels entre personnes du même sexe, consommation d’alcool et autres substances interdites, etc.

Les autorités du Brunei étaient restées des plus discrètes quant à l’application de cette dernière étape du processus : si l’annonce avait été publiée en début d’année au journal officiel, le gouvernement avait observé un silence absolu. C’est le site du Brunei Project, une ONG de défense des droits de l’homme, qui a vendu la mèche la semaine dernière, provoquant un tollé mondial.

Boycottage du Plaza Athénée et de l’Hôtel Meurice

L’acteur américain George Clooney a réagi jeudi dans un texte publié sur le site hollywoodien Deadline.com, appelant au boycottage de neuf hôtels aux Etats-Unis et en Europe appartenant à la Brunei Investment Company, qui dépend du ministère des finances, dont, à Paris, le Plaza Athénée et l’Hôtel Meurice. « Chaque fois que nous logeons ou dînons dans ces hôtels, nous mettons de l’argent dans les poches d’hommes qui choisissent de lapider ou de fouetter à mort leurs propres citoyens accusés d’homosexualité ou d’adultère », écrit M. Clooney. Le chanteur britannique Elton John a soutenu l’appel de l’acteur américain.

L’ancien vice-président américain Joe Biden a condamné lui aussi, sur Twitter, l’imposition de cette législation extrême : « Lapider des gens pour homosexualité ou adultère est épouvantable et immoral. Il n’existe aucune excuse – culturelle ou de l’ordre de la tradition – pour cette sorte de haine et d’inhumanité. »

Le sultan du Brunei, dirigeant aussi puissant que révéré par son peuple, est l’un des hommes les plus riches du monde. Quant à son émirat, c’est le pays disposant du plus haut revenu de l’ensemble de l’Asie du Sud-Est, après Singapour – grâce à une manne pétrolière et gazière qui a permis d’acheter la paix sociale.

Pour la première fois depuis que l’on a appris la date du début de l’imposition de la charia, l’émirat a réagi, samedi, en diffusant un communiqué officiel s’efforçant de justifier les raisons de cette décision et tenter de rassurer l’opinion publique internationale : la charia, « outre qu’elle a pour but de criminaliser et de dissuader des actes contraires aux enseignements de l’islam, entend également protéger et respecter les droits légitimes de tous les individus, les sociétés et les nationalités, quelles que soient leurs croyances et leurs races ».

Un islam de plus en plus rigoriste

Les autorités de l’émirat insistent sur le fait que le système judiciaire reste double, l’un basé sur la charia, l’autre sur la common law à la britannique, dans ce territoire devenu indépendant de la Grande-Bretagne en 1984 seulement.

L’émirat est une terre de paradoxe : cette monarchie absolue ne dispose d’aucune presse libre, ne tolère pas la moindre opposition ou critique à l’égard de son sultan, ne souffre pas la moindre contestation. La liberté religieuse n’est toutefois pas absente : les 33 % de non-musulmans, d’origine chinoise, ou membres des différents groupes indigènes de Bornéo, peuvent pratiquer leur foi. Même si, au vu de l’évolution vers un islam de plus en plus rigoriste au fil des années, dont le sultan est le maître d’œuvre, les manifestations publiques de religiosité non musulmane n’y sont plus permises. Ainsi, Noël ou le Nouvel An chinois peuvent être fêtés, mais en famille et discrètement. Une forte amende punit les contrevenants.

Selon un observateur occidental basé à Brunei, l’extrême sévérité des futurs châtiments pourrait cependant être tempérée par le fait que la loi islamique prévoit que quatre témoins musulmans doivent apporter la preuve du crime, tels la sodomie ou l’adultère – des conditions difficiles à remplir pour établir un flagrant délit. L’amputation des membres pour les voleurs pose un problème plus immédiat.

Selon une source qui a requis l’anonymat, la communauté chinoise, chrétienne ou bouddhiste – et qui représente environ 10 % de la population –, commence « à s’inquiéter » des conséquences de l’application de la loi. D’autant que, en 2014, année de l’annonce du début d’imposition de la première phase de la charia, les responsables du ministère des affaires religieuses avaient affirmé, sans ambiguïté, devant un public d’expatriés venus s’informer lors d’une réunion publique : « La loi islamique s’appliquera aux musulmans et aux non-musulmans, y compris aux étrangers résidant au Brunei. »

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