Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
4 avril 2019

Renault referme violemment la porte sur les années Ghosn

Par Philippe Jacqué, Éric Béziat - Le Monde

Le conseil d’administration de Renault a décidé de ne pas verser de retraite chapeau à son ex-PDG et condamne ses « pratiques contestables » et des « atteintes à l’éthique » commises sous son règne.

Les mots sont sévères, les gestes forts, les décisions sans appel… Mercredi 3 avril, le conseil d’administration (CA) du groupe Renault a soldé sans fioritures les années Carlos Ghosn. D’abord, le conseil a refusé définitivement au patron déchu le versement de toute rémunération à partir de 2019, y compris la très confortable retraite-chapeau de 774 000 euros par an qui lui était promise ; ensuite il a condamné explicitement certaines pratiques de celui qui non seulement a tenu fermement les rênes du groupe français depuis 2005, mais a aussi bâti un empire automobile franco-japonais à 10 millions de voitures unissant au sein d’une alliance jusque-là inédite les puissants groupes auto Renault, Nissan et Mitsubishi.

Accusé, depuis le 19 novembre, de malversations financières graves au Japon en tant que président de Nissan, M. Ghosn est désormais sur la sellette en France également. Deux audits en cours – l’un au sein de Renault, l’autre concernant RNBV, la société représentant l’Alliance Renault-Nissan – commencent à distiller leurs révélations.

Les conclusions définitives de la mission Renault et un point d’étape provisoire de l’audit RNBV (lancé conjointement avec Nissan) ont été présentés mercredi aux administrateurs du groupe au losange. Et l’appréciation du conseil est pour le moins rude, contrastant avec la prudence de Renault lors des premiers jours de l’affaire, lorsque le constructeur français refusait de condamner a priori son PDG et éconduisait les représentants de Nissan venus apporter des éléments à charge contre M. Ghosn.

Des versements suspects

« Chez Renault, dit le communiqué de presse diffusé à l’issue du CA, des dépenses engagées par l’ancien président-directeur général sont source de questionnements, en raison des pratiques contestables et dissimulées (…) et des atteintes aux principes éthiques du groupe qu’elles impliquent, notamment dans la gestion des conflits d’intérêts et la protection des actifs. » Les administrateurs n’ont pas manqué de rappeler que Renault a signalé à la justice l’affaire de la fête de mariage de Carlos Ghosn à Versailles, en 2016 (lorsque l’entreprise a pris à son compte les 50 000 euros de location du Grand Trianon), mais aussi qu’elle a transmis au parquet vendredi 29 mars des informations concernant des versements suspects effectués au profit d’un des distributeurs de Renault au Moyen-Orient.

Côté RNVB, le CA fustige « de graves déficiences au plan de la transparence financière et des procédures de contrôle des dépenses » et souligne que certains décaissements « soulèvent de sérieux questionnements quant à leur conformité à l’intérêt social de RNBV ». Le CA n’indique pas quelles sont précisément ces dépenses suspectes. Quelques-unes, pas forcément illégales, ont été révélées par voie de presse : versements effectués au profit du criminologue Alain Bauer, de l’agence de communication Les Rois Mages ou de Mouna Sepehri, l’ex-directrice exécutive fidèle de Carlos Ghosn. Quoi qu’il en soit, le conseil presse les auditeurs « d’achever leur travail et de livrer leurs conclusions finales dans les meilleurs délais » et « se réserve le droit (…) de saisir la justice française. »

Sanction symbolique

Face à cette avalanche de révélations, le conseil d’administration du groupe Renault, présidé par Jean-Dominique Senard depuis le 24 janvier et la démission de M. Ghosn de son poste de PDG, a choisi de sanctionner son ancien président par là où il avait pêché. Carlos Ghosn, qui avait défrayé la chronique avec son double salaire de PDG de Renault et Nissan qui lui permettait de toucher 15 millions d’euros par an lors des années fastes, ne recevra presque plus rien de Renault à partir de 2019. Ni clause de non-concurrence de 4 millions d’euros, ni actions de performance d’aucune sorte, conformément à ce que le conseil d’administration avait déjà annoncé en février. M. Ghosn a été ainsi privé de dizaines de millions dont les paiements auraient pu s’étaler jusqu’en 2022.

Ce mercredi, le CA en a rajouté dans la sanction symbolique et décidé de proposer aux actionnaires de Renault de priver l’ex-patron tout-puissant de sa part variable 2018 payée en cash, soit 224 000 euros, dans la mesure où les administrateurs ont souhaité « prendre en compte, dans l’appréciation de la performance de M. Carlos Ghosn, les nombreux questionnements qui se sont fait jour (…) au sujet d’opérations engagées par l’intéressé en sa qualité de président-directeur général de la société, et ce du fait de pratiques contestables et dissimulées. » Sa part fixe de 1 million d’euros, déjà versée l’an dernier, demeure en sa possession. Il serait de toute façon quasiment impossible de la lui reprendre.

Mais ce n’est pas tout, le conseil a décidé de ne laisser à Carlos Ghosn que 14 000 euros par an (1 166 euros par mois) sur les 788 000 euros de rente annuelle à vie qui auraient pu constituer sa retraite de PDG. Les administrateurs estiment en effet que « les conditions de départ de M. Carlos Ghosn » lui interdisent de toucher la part la plus lucrative de sa retraite, celle à prestations définies (dite retraite chapeau), soit 774 000 euros.

Contraste violent avec l’ère Ghosn

Dans son élan, le conseil d’administration de Renault en a profité pour fixer les rémunérations 2019 des nouveaux patrons du Groupe : Jean-Dominique Senard, le président, et Thierry Bolloré, le directeur général. Et là encore le contraste est violent avec l’ère Ghosn. M. Senard touchera 450 000 euros par an, soit la moitié du fixe 2018 de Carlos Ghosn. S’il dispose de deux voitures, dont une avec chauffeur, et d’une mutuelle santé, il ne recevra en revanche aucune rémunération variable ni aucune action de performance.

Quant à Thierry Bolloré, son salaire fixe s’élève à 900 000 euros, auquel s’ajoute une rémunération variable de 125 % du fixe (1,125 million d’euros au maximum), assortie de conditions de performances. « C’est un peu en dessous de la norme, explique un bon connaisseur du dossier. Les autres membres du comité exécutif ont un variable à 150 %. Mais Thierry Bolloré n’a pas dix ans d’expérience à ce poste. Le conseil a considéré que le nouveau directeur général doit faire ses preuves. »

Dernier point de différence avec la période Ghosn : le conseil d’administration sera, avec dix-huit membres, plus resserré. En effet, Carlos Ghosn, qui démissionne de son mandat d’administrateur, ne sera pas remplacé, pas plus que Philippe Lagayette, l’administrateur référent dont le mandat arrive à échéance et qui n’aura pas non plus de remplaçant. Une femme fait son entrée au conseil de Renault, en remplacement de Cherie Blair dont le mandat arrive à échéance. Il s’agit de l’Allemande Annette Winkler, patronne de Smart entre 2010 et 2018, et première femme à diriger une marque automobile. « Cela ne fera pas de mal d’avoir une professionnelle du secteur au sein du CA » se réjouit un administrateur.

 

Publicité
Commentaires
Publicité