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Jours tranquilles à Paris
30 avril 2019

Au Japon, un changement d’ère et d’empereur mais la même volonté de moderniser la dynastie

Par Philippe Pons, Tokyo, correspondant, Philippe Mesmer, Tokyo, correspondance

Le prince héritier Naruhito doit monter sur le trône, le 1er mai, à l’issue de deux journées de cérémonies. A 59 ans, il défend comme son père le pacifisme et le devoir de mémoire.

Acte symbolique plus que politique, la montée, mercredi 1er mai, sur le trône impérial japonais du prince héritier Naruhito doit conclure deux journées de cérémonies, ponctuées de rituels shintos au Palais impérial de Tokyo.

Les premières accompagneront l’abdication d’Akihito (photo ci-dessous) , le père de Naruhito, officialisée dans l’après-midi du 30 avril lors d’une courte cérémonie d’une dizaine de minutes en présence de 300 personnes, dont le premier ministre Shinzo Abe.

akihito

A minuit, le 1er mai, le Japon entrera dans « Reiwa », nom donné à l’ère correspondant au règne du nouvel empereur, le 126e de la plus ancienne dynastie du monde. Naruhito doit assister à la remise des symboles et des sceaux impériaux puis à un événement entourant sa montée sur le trône.

Né en février 1960, Naruhito est l’aîné des trois enfants d’Akihito et de l’impératrice Michiko. Il fut le premier de la dynastie à être élevé par ses parents. Selon la tradition, son père avait été séparé dès ses 3 ans de ses parents pour être confié à des chambellans et à des précepteurs. Il en avait souffert. En rupture avec les pratiques passées, il avait choisi de s’investir dans l’éducation de Naruhito, qui a dès lors bénéficié des soins de parents presque « normaux ». Sa mère, Michiko, lui préparait des bentos quand il allait à l’école.

Joueur d’alto, Naruhito est amateur de tennis, de jogging et de randonnée. Très intéressé par la navigation maritime, il consacre ses études d’histoire au début des années 1980 à l’université Gakushuin, à Tokyo, aux réseaux de transports dans la mer Intérieure (à l’ouest du Japon) au Moyen-Age.

Un nouveau couple impérial ouvert au monde

De 1983 à 1985, au Merton College de l’université britannique d’Oxford, il rédige une thèse sur le commerce sur la Tamise au XVIIIe siècle. « Comme ma vie ne me laisse que peu de chances de sortir librement, a-t-il déclaré, les routes sont pour moi un lien précieux vers des mondes inconnus. » Son intérêt s’est ensuite porté sur le rapport entre l’humain et l’eau, de l’accès à l’eau potable aux catastrophes provoquées par l’eau. Naruhito intervient régulièrement dans les conférences internationales sur ces sujets.

Son séjour britannique reste pour lui un excellent souvenir, qu’il a relaté dans un mémoire, Temuzu to tomoni : Eikoku no ninenkan (« Auprès de la Tamise : mes deux années en Angleterre », ed. Université Gakushuin, 1993). Ce séjour lui a permis de découvrir la sociabilité des pubs et de s’étonner des manières relativement détendues de la famille royale britannique : « La reine Elizabeth II se verse le thé et sert les sandwiches. »

Il a également pu apprécier la liberté de ton dont jouissaient les étudiantes, ce qui l’aurait incité à se chercher une épouse « ayant des idées bien à elle ». Son dévolu s’est rapidement porté sur Masako Owada, une roturière rencontrée lors d’un thé donné en novembre 1986 en l’honneur de l’infante Elena d’Espagne. Fille du diplomate et ancien président de la Cour internationale de justice Hisahi Owada, diplômée d’Harvard et d’Oxford et sur le point de faire carrière au sein de la diplomatie nippone, Masako a fini, après deux refus, par accepter la demande en mariage du prince.

Le couple a une fille, Aiko, née en 2001, mais pas de fils. La pression subie par Masako pour donner au Japon un héritier mâle a largement contribué à la dépression dont elle souffre depuis 2003. Sa santé se serait améliorée et elle reprend peu à peu depuis 2012 ses activités officielles. De quoi faire espérer voir le nouveau couple impérial, multilingue et ouvert au monde, répondre aux attentes d’Akihito. Le retrait de l’empereur au profit de son fils aîné est significatif de sa tentative de mettre en harmonie avec son temps la fonction des descendants de la dynastie.

« Regarder le passé avec humilité »

Premier souverain du Japon à avoir été intronisé sous la Constitution de 1947, qui fait du monarque le « symbole de l’Etat et de l’unité du peuple » sans autres fonctions que protocolaires, Akihito est aussi le premier à abdiquer depuis l’empereur Kokaku (1771-1840).

L’abdication d’un empereur, pratiquée avant la Restauration de Meiji (1868), avait été écartée dans les lois fondamentales de 1889 et de 1947. Il fallut une loi, de juin 2017, pour autoriser celle d’Akihito.

Ce renouvellement ne devrait pas modifier le rôle qu’Akihito s’était assigné, en conformité avec la Constitution mais en donnant à son statut de « symbole » toute sa portée. L’image de son père, l’empereur Showa (nom posthume d’Hirohito, les empereurs prenant à leur mort le nom de l’ère de leur règne) fut entachée par un expansionnisme commencé par l’invasion de la Chine en 1931 puis la guerre de Pacifique dans laquelle il eut une part de responsabilité. Akihito s’est attaché au cours des trente années de son règne à rappeler les valeurs démocratiques et pacifistes sur lesquelles le Japon s’est reconstruit après la défaite de 1945.

Respectant la retenue que lui impose sa charge, il a toujours posé discrètement, au fil de ses discours, des balises à ne pas franchir pour maintenir la démocratie japonaise sur la voie tracée. Assumant le fardeau de l’ère Showa (1926-1989), il a sans cesse rappelé le Japon au devoir de mémoire pour les guerres qu’il mena, exprimant ses profonds remords pour les souffrances infligées par l’armée japonaise lors de ses visites à l’étranger et sur les champs de bataille de la guerre du Pacifique. C’est sur la voie de la continuité que se situe le nouveau monarque.

Naruhito porte un regard similaire à celui de son père sur le passé. A plusieurs reprises, il a appelé lui aussi « à regarder avec humilité » ce passé. Il avait appelé, en 2015, les générations qui ont vécu la guerre à « transmettre correctement à celles qui ne l’ont pas connue les expériences de l’histoire tragique du Japon ».

L’utilisation du terme « correctement » l’année du 70e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale avait une signification particulière : elle marquait une discrète prise de distance des tendances révisionnistes, frôlant le négationnisme, de Shinzo Abe dont le grand objectif est une révision de la Constitution pacifique de 1947.

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