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Jours tranquilles à Paris
17 juillet 2019

Face aux méduses, un combat inégal

Par Martine Valo

Nos ennemies les méduses (3/6). Produits chimiques, introductions de prédateurs : les diverses expériences menées dans le monde se sont montrées peu concluantes pour limiter la prolifération de ces créatures urticantes.

Peut-être que sans lui elle n’y serait pas parvenue. Peut-être que sans son système hyperperformant de chasse – et du même coup de défense –, la méduse n’aurait pas été capable de traverser ces dernières 500 millions d’années, et même un peu plus, pour atteindre en pleine forme l’ère du tourisme de masse.

Dès que la moindre proie effleure leurs tentacules couverts d’une multitude de cellules urticantes, les cnidocytes, celles-ci libèrent chacune un minuscule harpon qui injecte du venin à la vitesse la plus rapide observée dans le monde animal. Et l’arme peut servir plusieurs fois : le dispositif se renouvelle à la demande.

« CHIRONEX FLECKERI » ET « CHIRONEX YAMAGUCHII » SONT DEUX CUBOMÉDUSES DONT LE CONTACT PARALYSE LES MUSCLES RESPIRATOIRES ET CARDIAQUES DE LEURS VICTIMES EN UN RIEN DE TEMPS

Outre leur étonnante propension à pulluler en essaims serrés, cette puissance de feu fait des méduses un vrai cauchemar pour les stations balnéaires, d’autant qu’elles restent venimeuses même une fois échouées sur la plage.

Certes, certaines espèces ne le sont que peu, ou même pas du tout, mais quelques-unes sont mortelles. On les croise dans les eaux australiennes et au sud du Japon : Chironex fleckeri et Chironex yamaguchii, deux cuboméduses dont le contact paralyse les muscles respiratoires et cardiaques de leurs victimes en un rien de temps. Des chercheurs de l’université de Sydney ont découvert que des médicaments anticholestérol pouvaient constituer un antidote efficace… à condition d’être appliqués dans les quinze minutes après la piqûre, selon la revue Nature Communications du 30 avril.

L’Europe a aussi son lot de cnidaires contrariants. En juillet 2018, les Britanniques ont vu s’approcher des eaux galloises d’inhabituelles méduses à crinière de lion (Cyanea capillata), des géantes venimeuses aux tentacules pouvant atteindre 30 mètres de long. Des baigneurs ont dû être hospitalisés.

En France, les Aurelia aurita, plutôt inoffensives, sont très communes sur la façade ouest, tandis que la désormais fameuse Pelagia noctiluca s’est installée en Méditerranée. Les vacanciers de la côte Atlantique doivent cependant se méfier de la redoutable physalie (Physalia physalis) ou galère portugaise. Cette proche cousine de la méduse déclenche chez qui l’approche une sensation de coup de fouet et de brûlure intense.

Une « soupe urticante »

Comment se débarrasser d’une telle plaie ? Produits chimiques, prédateurs introduits dans une baie infestée : diverses expériences ont été tentées dans le monde, bousculant les écosystèmes sans apparaître concluantes.

Dans son ouvrage Méduses. A la conquête des océans (Editions du Rocher, 2014), écrit avec le directeur de l’Institut océanographique de Monaco, Robert Calcagno, la grande spécialiste Jacqueline Goy relate la fausse bonne idée de Jeros. Mis au point par des ingénieurs coréens, ce robot hachait menu les cnidaires… transformant l’océan en « soupe urticante », libérant leurs gamètes et, finalement, favorisant la multiplication de jeunes méduses.

Sommes-nous alors condamnés à nous baigner en combinaison intégrale ? Ou, plus sûrement, à éviter la mer les jours où un essaim dérive vers le rivage ?

En Espagne, le drapeau rouge est souvent hissé pour alerter les estivants. En version numérique, des sites collaboratifs, comme Jellywatch.org ou Meduse.acri.fr sur la Côte d’Azur, proposent au public de partager leurs observations des cnidaires. Un « bulletin météo des méduses » avait été lancé en 2012 par le laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-mer (Alpes-Maritimes). Mais il a déplu aux collectivités locales, qui veulent bien prévenir les touristes du danger, mais seulement ceux de la commune d’à côté… Elles ont supprimé leurs financements.

« En 2007, il y a eu beaucoup de Pelagia et donc beaucoup de plaintes, rapporte Robert Calcagno. Je savais que l’Australie avait recours à des filets pour abriter ses plages. Nous en avons installé à notre tour en 2008, que nous remettons en place chaque été. Des dizaines de collectivités ont suivi l’exemple de Monaco. »

« La nourriture du futur »

Las, les scientifiques doutent de la pertinence de ce type de protection, sur lequel de petites méduses encore à l’état de polypes peuvent se fixer. « Je suis contre, sauf pour stopper des espèces dont le venin est mortel. Les Pelagia qui sont poussées à la côte sont en fait mal en point, explique Delphine Thibault, de l’Institut méditerranéen d’océanologie, à Marseille. Elles vont s’écraser contre les mailles, d’autres animaux aussi, au demeurant. Stressées, elles vont secréter un mucus urticant et leurs tentacules vont se briser tout en restant venimeux. »

« RINCER AU VINAIGRE EST LA PREMIÈRE CHOSE À FAIRE POUR EMPÊCHER LES CELLULES INTACTES DE DISPERSER LEUR VENIN »

Comment réagir en cas de piqûre ? « Rincer au vinaigre est la première chose à faire pour empêcher les cellules intactes de disperser leur venin, répond l’écologue. En Asie notamment, des distributeurs de vinaigre sont installés sur les plages. On peut aussi maintenir la partie touchée dans une eau à 40 °C pendant quarante minutes afin d’inhiber l’action de la toxine. Mais n’utilisez ni Coca-Cola ni urine : vous ajouteriez un risque de surinfection ! » L’écologue, qui forme des pompiers sauveteurs, déconseille de gratter la peau au moyen de sable ou d’une carte rigide.

Quant aux proliférations récurrentes, Delphine Thibault est formelle : « Il n’y a pas de parade. Les blooms [proliférations] sont d’abord la conséquence de la surpêche et d’écosystèmes fortement perturbés. » Alors, elle suggère tout simplement de les manger. « Vitamines B1 et B2, 31 calories pour 100 grammes : c’est la nourriture du futur ! », assure celle qui les cuisine à l’escabèche, frites, en salade ou en sablés sucrés pour accompagner ses conférences.

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