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Jours tranquilles à Paris
31 juillet 2019

Midsommar

Après l'impressionnant Hérédité, deuxième coup de force du prodige du cinéma d'épouvante : une extase mi-morbide, mi-dionysiaque, là où le soleil ne se couche jamais.

“Bordel, il y a là-dedans quelques-unes des images les plus atrocement dérangeantes que j’ai jamais vues sur un écran”, avertissait Jordan Peel (Get Out, Us) après avoir vu Midsommar. Venant d’un des réalisateurs de films d’horreur les plus cotés du moment, ce constat avait tout de louanges, d’autant qu’il était adressé à Ari Aster, devenu en un long métrage (Hérédité, sorti l’an dernier) l’un des plus sûrs espoirs du cinéma horrifique contemporain.

Si l’on ne contredira pas Jordan Peel – il y a dans Midsommar des images atrocement dérangeantes –, le deuxième film d'Ari Aster emprunte pourtant une trajectoire bien différente de celle d’Hérédité. Du cauchemar abyssal du premier film, qui revisitait avec maestria le concept éprouvé de la maison hantée et du récit de possession, le cinéaste passe à une épopée baroque et convulsée, qui délaisse progressivement l’horreur païenne pour muter en une expérience cathartique hallucinatoire.

Un enfer diurne

S’y raconte l’histoire de Dani (Florence Pugh), une Américaine d’une vingtaine d’années, victime d’une abominable tragédie familiale. Alors qu’il était sur le point de la quitter, son petit ami Christian (Jack Reynor) lui propose finalement de l’accompagner dans un trip en Europe. Avec un groupe d’amis, ils rejoignent une communauté isolée du nord de la Suède – là où le soleil ne se couche jamais – qui fête pendant neuf jours le solstice d’été selon des rituels ancestraux. Passé le conte de fées new-age et post-hippie initial – où les journées sont rythmées par de curieuses cérémonies païennes dans une prairie idyllique –, le groupe d’Américains va être aspiré dans un enfer diurne et découvrir les mœurs interlopes (pour ne pas dire macabres) de ces étranges énergumènes tout de blanc vêtus, dévoués à un panthéisme séculaire.

Un folk horror movie perverti

Reprenant l’ossature d’un folk horror movie (sous-genre horrifique popularisé par The Wicker Man dans les années 1970), Midsommar en suit d’abord le programme rigoureux : des visiteurs pris au piège d’une communauté autarcique, s’adonnant à des rites sacrificiels d’un autre âge. Mais à l’horizon funèbre qui cloisonne ordinairement le genre, Ari Aster oppose son goût pour la transmutation et inocule à son récit une perversité d’un autre genre.

Avant d’être un film d’horreur, Midsommar est surtout un film de rupture, dont l’échelle (maboule) reflète la terreur intérieure de ses deux protagonistes, voués à une séparation inéluctable. Les rites païens qu’ils observeront malgré eux, entre cérémonies sacrificielles effroyables et danses folkloriques fiévreuses, deviendront les étapes ritualisées du délitement de leur propre histoire, répondant au totémisme bizarroïde de leurs hôtes.

L’une des trouvailles du film est d’introduire, dès son ouverture, une toile divinatoire, entre la peinture rupestre et l’enluminure primitive, où chaque élément fait écho au suivant, et annonce programmatiquement la notion de cycle vital au cœur du récit. La fin d’un amour s’envisage alors comme une procession funèbre conjuratoire, à laquelle succède une renaissance virginale. Entre lesquelles il faut bien faire quelques sacrifices (de préférence humains).

Cauchemar dionysiaque

Cette odyssée macabre (à la terminaison curieusement solaire) charrie son lot de visions ébouriffantes : des corps chutent d’une falaise, un jeune homme au visage difforme prophétise l’avenir, une farandole endiablée s’éreinte sous le soleil de minuit... Cet ésotérisme foutraque, fruit de longues recherches sur les traditions ancestrales du solstice scandinave, donne sa pleine mesure au formalisme ravageur d'Ari Aster : son sens prodigieux de la composition et du vertige par le son, porté par un montage syncopé obsédant. En faisant le pari d'une horreur en plein jour, le cinéaste irradie sa photo d'une lumière criarde, par moments aveuglante, qui rend cruellement lisible le cauchemar dionysiaque à l'œuvre.

Objet filmique non identifié, et trip hallucinatoire envoûtant, Midsommar fait l'effet d'une petite bombe dans le paysage formaté du cinéma d'horreur contemporain, et acte, un an après la sortie d'Hérédité, la montée en puissance de son réalisateur prodige, mais aussi de son actrice principale. Déjà impressionnante dans The Little Drummer Girl (superbe série d'espionnage diffusée sur Canal + en début d'année), Florence Pugh éblouit une fois de plus dans le rôle de Dani. Comme le personnage à la mélancolie diaphane campé par Kirsten Dunst dans Melancholia – qui retrouvait la force de vivre une fois confrontée à la fin du monde –, la déréliction de Dani fait place à un empowerment conquérant à mesure que son cauchemar éveillé s'opacifie. Jusqu'à un final incandescent.

Midsommar d'Ari Aster, avec Florence Pugh, Jack Reynor, Will Poulter (E.-U., 2019, 2h27) En salle le 31 juillet

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