Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
11 août 2019

Le « suicide apparent » de Jeffrey Epstein déclenche un scandale national aux Etats-Unis

Par Arnaud Leparmentier, New York, correspondant

Le financier new-yorkais, accusé de crimes sexuels sur mineures, a été retrouvé mort, samedi, dans sa cellule de la prison fédérale de Manhattan, où il était incarcéré.

Lorsque les Américains ont appris, stupéfaits, samedi 10 août, que Jeffrey Epstein, le milliardaire new-yorkais accusé d’avoir organisé l’exploitation sexuelle de jeunes filles mineures, avait été retrouvé pendu dans sa cellule de Manhattan avant d’être déclaré mort, le prix Nobel 2008 d’économie Paul Krugman a résumé sur Twitter le sentiment dominant.

« Si nous vivions dans un univers de fantasme paranoïaque, je serais très méfiant sur le suicide d’Epstein, et même sur le fait de savoir si c’était réellement un suicide. » Et d’ajouter : « Et vous savez quoi ? Le cas Jeffrey Epstein montre que nous vivons dans une sorte d’univers de fantasme paranoïaque. »

En tout cas, cette mort a suscité toutes les hypothèses complotistes tandis que le mot-clé « l’assassinat d’Epstein » (EpsteinMurder) fleurissait sur les réseaux sociaux.

Rien pour l’instant n’étaye cette thèse, mais le prévenu avait été placé en cellule de surveillance après avoir fait une première tentative de suicide le 23 juillet. Il en avait été retiré pour des raisons pour l’instant inexpliquées le 29 juillet.

Un condensé de toutes les névroses américaines

Le gestionnaire de fortune, self-made-man né à Brooklyn et âgé de 66 ans, attendait que soit déterminée la date de son procès prévu pour 2020, et l’affaire menaçait de toucher des puissants de toute la planète. Doué d’une intelligence charmeuse selon ses associés, ce financier a en effet entretenu des contacts rapprochés avec les grands de ce monde : Donald Trump, Bill Clinton – il était au mariage de sa fille Chelsea –, le prince Andrew, fils de la reine Elizabeth II, ou le milliardaire Leslie Wexner, qui détient notamment la marque de lingerie Victoria Secret et accuse d’ailleurs M. Epstein de l’avoir spolié. Son silence en soulagera sans doute plus d’un.

L’affaire Epstein est un condensé de toutes les névroses américaines supposées : argent, débauche sexuelle, crime, politique, justice corrompue par les puissants et « deep State » [Etat profond]. Sa mort ne fait que les renforcer.

Cueilli à New York par la police fédérale (FBI) le 6 juillet alors qu’il débarquait de Paris à bord de son jet privé, Jeffrey Epstein a été accusé par la justice américaine d’avoir contraint des mineures à devenir des esclaves sexuelles. Les jeunes filles, dont certaines étaient âgées de 14 ans, étaient embauchées pour lui faire des massages alors qu’il était dénudé. Selon l’accusation, le « massage » se transformait vite en masturbation, attouchements génitaux avec les mains ou utilisation de sex-toys, écrit le New York Times.

Les faits sont censés s’être déroulés entre 2002 et 2005 dans son logement de sept étages et 7 000 mètres carrés de l’Upper East Side à Manhattan et dans son palace de Palm Beach au bord de l’Atlantique en Floride. Les mineures recevaient des centaines de dollars en liquide, étaient priées de revenir et de recruter d’autres jeunes filles, ce qui aurait conduit à la création d’un réseau de dizaines de victimes.

Affaire à tiroirs

M. Epstein, qui encourait dans l’affaire 45 ans de prison avait plaidé non coupable. Ses avocats ont assuré qu’il n’avait plus eu de relations avec des mineures depuis une première condamnation en 2008. Ils avaient demandé une libération sous caution, le prévenu payant lui-même sa surveillance, mais le juge fédéral traitant le dossier l’avait refusée, estimant le risque de fuite trop élevé. La fortune du financier était estimée à plus de 500 millions de dollars (446 millions d’euros). L’homme, qui possédait un immense ranch au Nouveau-Mexique, vivait aussi fréquemment hors des Etats-Unis, entre Paris et les Iles Vierges.

Cette affaire à tiroirs a démontré comment par le passé M. Epstein avait eu droit aux mansuétudes de la justice. Poursuivi pour ces mêmes faits par l’Etat de Floride, il avait plaidé coupable pour sollicitation sexuelle de mineur. Il avait purgé une peine de treize mois à la prison de Palm Beach – ce qui faisait dire à ses avocats qu’il avait déjà été condamné pour ces faits – mais était autorisé à aller travailler six jours sur sept pendant douze heures.

L’accord ainsi obtenu, qui avait coupé court à une enquête du FBI, avait été approuvé par le procureur fédéral de Floride de l’époque, un certain Alexander Acosta devenu entre-temps ministre du travail de Donald Trump. Devant le tollé lorsque l’affaire est ressortie, M. Acosta a présenté, le 19 juillet, sa démission à Donald Trump qui l’a acceptée.

Le monde est décidément tout petit puisque William Barr le procureur général des Etats-Unis, l’équivalent du ministre de la justice, a dû se déporter dans l’affaire Acosta – son ancien cabinet d’avocat avait défendu par le passé M. Epstein. Il s’est toutefois exprimé après l’annonce du décès. « La mort de M. Epstein soulève des questions sérieuses auxquelles des réponses doivent être apportées. En plus de l’investigation du FBI, j’ai consulté l’inspecteur général [du ministère] qui ouvre une enquête sur les conditions de la mort de M. Epstein. »

Prudent, le procureur de New York Geoffrey Berman dans un communiqué parle de « suicide apparent ». « Il nous faut des réponses. Beaucoup », a pour sa part réagi sur Twitter l’influente jeune élue démocrate du Congrès, Alexandria Ocasio-Cortez.

Climat de haine

Quant à Donald Trump, une vidéo exhumée par la chaîne NBC le montre avec M. Esptein lors d’une fête entouré de jeunes femmes dans son golf de Mar-a-Lago (Floride) en 1992 – « elle est sexy [« She’s hot »] », glisse Trump à Epstein à propos d’une jeune femme.

Le New York Times a pour sa part retrouvé une citation du futur président datant de 2002 : « Je connais Jeff depuis quinze ans, un type super. C’est très sympa d’être avec lui. On dit même qu’il aime les belles femmes autant que moi, et beaucoup sont très jeunes. » En juillet, le président s’est distancié de son ancien ami : « Je le connaissais comme tout le monde à Palm Beach, je ne l’ai pas vu depuis quinze ans, je n’étais pas fan. »

La principale accusatrice de Jeffrey Esptein, Virginia Giuffre, qui a travaillé au golf de Donald Trump à Mar-a-Lago, situé à côté de la demeure du financier, n’a jamais mis en cause l’actuel locataire de la Maison Blanche.

Le président, ce samedi, n’a pas commenté l’affaire, mais a retweeté des messages conspirationnistes, l’un qui assure que les scellés ont révélé que « des hauts dirigeants démocrates, y compris Bill Clinton, ont pris le jet privé d’Epstein pour se rendre à son “île des pédophiles” ». Il a aussi retweeté l’acteur Terrence William qui accuse sans la moindre preuve : « Jeffrey Epstein avait des informations sur Bill Clinton et maintenant il est mort ». Dans un climat de haine, le président des Etats-Unis relaye ces accusations alors que rien n’est avéré si ce n’est des relations embarrassantes.

Dès juillet, Angel Urena, ex-porte-parole de Bill Clinton, avait diffusé un communiqué : « le président Clinton ne sait rien à propos des crimes terribles de Jeffrey Epstein ». Il avait reconnu que l’ancien président avait utilisé à quatre reprises son jet en 2002 et 2003, pour se rendre en Europe, en Asie et deux fois en Afrique. M. Clinton a aussi fait savoir qu’il ne s’était jamais rendu sur l’île de M. Epstein et qu’il ne lui avait pas parlé depuis dix ans.

Une mort qui empêche d’obtenir justice

Dans ce torrent peu ragoûtant, le New York Times révèle en tout cas que même après sa condamnation en Floride, M. Esptein a continué d’être reçu par les puissants. L’université de Harvard louait encore à l’époque ses actions charitables passées. L’intéressé avait expliqué après sa sortie de prison : « je ne suis pas un prédateur sexuel, je suis un délinquant. C’est la différence entre un meurtrier et un voleur de sandwich. »

L’affaire avait été relancée par Virginia Giuffre, 36 ans, qui avait déposé plainte en 2009 contre Jeffrey Esptein et surtout en 2015 contre Ghislaine Maxwell. Agée de 57 ans, cette femme était la fille du magnat de la presse britannique qui s’est suicidé en 1991 en sautant de son yacht alors que son groupe était en faillite et qu’il avait pillé le fonds de pension de ses salariés. Mme Maxwell, selon le long portrait que lui a consacré le New York Times, était la maîtresse, la rabatteuse, l’organisatrice de la maison et la confidente de M. Epstein.

Selon Virginia Guiffre, Epstein et Maxwell ont abusé d’elle alors qu’elle avait 16 ans. Mme Giuffre, selon la presse qui a consulté les scellés, indique aussi avoir eu des relations avec un membre de la famille royale britannique, un ancien professeur du MIT, un ancien sénateur du Maine, l’ancien gouverneur du Nouveau-Mexique, un avocat célèbre. Faute de preuves et de mise en accusation par la justice, nous ne publions par leur nom.

Ghislaine Maxwell, elle, a disparu depuis du circuit mondain new-yorkais, aurait vendu ses biens et est introuvable : elle est présumée se trouver à Londres sans adresse fixe. On ne sait pas si elle est poursuivie par le FBI. Virginia Giuffre est parvenue à une transaction avec elle en 2017, mais le Miami Herald a requis en justice la levée des documents accusatoires contre M. Epstein et a fini par l’obtenir au printemps. Ces révélations publiques ont manifestement accéléré l’arrestation de Jeffrey Epstein.

Les victimes ont déploré que la mort de Jeffrey Epstein les empêche d’obtenir justice. « Nous devons vivres avec les blessures de ses actes jusqu’à la fin de nos jours tandis qu’il n’aura jamais à faire face aux conséquences de ses actes », a déploré une des victimes présumée, Jennifer Araoz, qui accuse Epstein de l’avoir violée en 2001, à l’âge de 15 ans, après l’avoir recrutée à la sortie de son lycée.

Manifestement, l’action publique ne va pas s’éteindre à en croire le Wall Street Journal et la déclaration du procureur fédéral de Manhattan Geoffrey Berman, qui reconnaît que les événements de la journée sont un « obstacle supplémentaire ». Mais il ajoute : « A ces femmes courageuses qui sont déjà venues et aux autres nombreuses qui ont encore à le faire, laissez-moi vous dire que nous restons engagés à vos côtés et que notre enquête sur les accusations contenues dans l’inculpation – qui incluent le chef d’accusation d’association de malfaiteurs (conspiracy) – se poursuit. »

Publicité
Commentaires
Publicité