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Jours tranquilles à Paris
26 août 2019

Trottinettes électriques : en attendant les règles

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Alors que les incidents sont légion, un décret pour encadrer les nouveaux usages est prévu pour « septembre ».

Aux alentours du Trocadéro, à Paris, les touristes profitent en ce mois d’août de la circulation estivale plus fluide pour arpenter la capitale en trottinette. Pistes cyclables, trottoirs ou chaussées, tous les terrains sont bons pour s’encanailler. On peut voir des couples enlacés, ou même trois amis sur un même engin, en équilibre souvent précaire, prêts à s’arrêter pour prendre un selfie.

Depuis qu’elles sont apparues sur les trottoirs, en masse à partir de juin 2018, ces trottinettes ont fait couler beaucoup de salive et d’encre. Les engins disponibles en libre-service (en « free floating », soit en location sur Internet, accessibles en quelques clics sur les applications d’une dizaine d’opérateurs) fédèrent à peu près contre eux tous ceux qui ne les utilisent pas, se retrouvant accusés de nombreux maux : stationnement anarchique, danger pour les piétons…

Un décret censé encadrer l’usage de ces moyens de transport, promis depuis plusieurs mois par le gouvernement, est désormais annoncé « en septembre ». En attendant, le sujet reste sur la table des maires concernés, avant les municipales de mars 2020.

Situation « chaotique »

Emmanuel Grégoire, premier adjoint à Paris, où circulent 20 000 trottinettes, selon la ville, évoque une situation « chaotique » : « Les opérateurs de trottinettes utilisent Paris comme un terrain de jeu. La fréquentation touristique est un marché intéressant. » Plusieurs milliers d’engins circulent aussi dans d’autres villes comme Lyon ou Toulouse. « Rapide », « pratique », « écologique », les avantages vantés par les opérateurs sont nombreux… tout comme les incidents.

Au-delà de l’insécurité ressentie par les piétons, aucun chiffre officiel – et récent – ne permet cependant de donner une idée précise des accidents et incidents, pour nourrir le débat entre « pro » et « anti ». En 2017, alors que l’usage des trottinettes était embryonnaire, la Sécurité routière faisait état de cinq morts et de 277 blessés en France pour tous les « engins de déplacement personnels motorisés et non motorisés ». Une nouvelle catégorie comptabilise, depuis le 1er janvier 2018, le nombre de blessés et de morts en « engin de déplacement personnel motorisé ». Une personne aurait perdu la vie en trottinette électrique, cette année-là. Mais le nombre de blessés n’est pas encore connu.

Il faut donc faire, faute de mieux, avec les cas publics et les décomptes artisanaux des professionnels. A l’hôpital Saint-Antoine, dans le 12e arrondissement de Paris, le service de chirurgie orthopédique du professeur Alain Sautet « opère chaque semaine deux à trois personnes » victimes d’accidents. Surtout des utilisateurs. Mais seulement 20 % des patients consultant pour ce type d’accidents finissent dans son service.

« Beaucoup arrivent avec des blessures légères qui sont traitées directement aux urgences », poursuit le médecin. « 40 % des blessures sont des traumatismes de la face », ajoute Olivier Migault, membre de la fédération française d’orthodontie. Des parents font parfois monter leurs enfants devant eux, face au guidon. « Les petits arrivent avec des incisives cassées qu’on est obligé de remplacer. A 12 ans ils se retrouvent avec des couronnes qu’ils devront changer tout au long de leur vie », poursuit M. Migault.

Impression d’incivilité

Jean-René Albertin, président de l’Association philanthropique d’action contre l’anarchie urbaine vecteur d’incivilité (Apacauvi), qui fait campagne contre les trottinettes, évoque de son côté « 200 accidents par semaine en région parisienne ». Sa femme, renversée par un engin en mai, se remet d’une double fracture du bras droit. Cette pianiste des petits rats de l’Opéra affirme ne pas savoir si elle retrouvera un jour toutes ses capacités. L’épouse du vice-président de l’association, Arnaud Kielbasa, a elle aussi été percutée alors qu’elle portait leur nourrisson. Le bébé a dû rester plusieurs jours en observation pour un traumatisme crânien. Ces deux affaires sont devenues les emblèmes de ceux qui exigent plus de régulation.

Au-delà des incidents, c’est l’impression d’incivilité qui s’enracine, alors que le partage de l’espace public entre les différentes personnes (piétons, voitures, motos, scooters, vélo, trottinettes, etc.) est plus que jamais un enjeu. Ainsi, par exemple, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), Emmanuelle Schaedelle Giroire raconte une scène que d’autres ont vécue. « Un camion s’est arrêté pour me laisser passer mais la trottinette s’est faufilée entre lui et un véhicule garé contre le trottoir », se souvient la jeune femme, qui avançait avec une poussette. Elle a réussi à éviter la collision.

Amende de 35 euros

Des faits divers, beaucoup plus graves, ont aussi été répertoriés depuis le début de l’année. Le 11 juin, à Paris, un homme de 25 ans est mort dans un choc avec une camionnette. En août, le conducteur d’une trottinette a percuté une moto sur une autoroute, où il n’avait pas le droit de rouler, dans les Yvelines. Certains engins, privés ceux-là, sont en effet très puissants et permettent d’atteindre les 90 km/h, encourageant toutes les imprudences.

Annoncé en mai par les ministères de l’intérieur et des transports, le futur décret doit intégrer au code de la route les trottinettes électriques, mais aussi des gyropodes, monoroues et autres hoverboards, avec une nouvelle catégorie de véhicules, qui correspond désormais à celle en vigueur dans les statistiques : les « engins de déplacement personnels motorisés ».

Tout utilisateur ne respectant pas les règles de circulation devra s’acquitter d’une amende de 35 euros. Des mesures spécifiques s’ajoutent : interdiction de monter à plusieurs sur un engin, obligation de rouler sur les pistes cyclables ou à défaut sur les routes limitées à 50 km/h, interdiction aux enfants de moins de 12 ans, limitation de vitesse à 20 km/h… Certains utilisateurs contestent, déjà, ce dernier point : « On doit pouvoir rouler à la même vitesse que les autres véhicules, sinon ils ont tendance à s’impatienter et c’est là que les comportements à risque se multiplient », assure Thierry Leriche, propriétaire d’une trottinette électrique depuis un an.

Flou juridique

Autre souci récurrent, le flou juridique qui entoure les trottinettes complique les indemnisations, en cas d’accident. « Impossible d’avoir une réponse claire. Les assureurs ne savent pas comment procéder », assure Elodie Saux, l’une des victimes. Les entreprises de location ont chacune leurs pratiques. Bolt prend ainsi en charge les blessures de ses usagers mais pas celles causées à des tiers, contrairement, par exemple, à l’application Uber.

La reconnaissance des trottinettes électriques dans le code de la route devrait faciliter ces démarches. « Les véhicules seront soumis à l’obligation d’assurance responsabilité civile par son propriétaire. C’est-à-dire le particulier qui possède sa propre trottinette ou l’entreprise qui la met en location », explique Aymeric Chassaing, conseiller de la ministre des transports, Elisabeth Borne.

Autre point soulevé par les opposants aux trottinettes : l’identification des conducteurs. « Ces véhicules en libre-service doivent être identifiés plus facilement pour pouvoir verbaliser les utilisateurs. Pourquoi ne pas les immatriculer ? », interroge Arnaud Kielbasa. Lors d’accidents, des conducteurs de trottinettes prennent la fuite. « Les loueurs ne demandent même pas de carte d’identité, n’importe qui peut s’inscrire », pointe le vice-président de l’association. Des critiques qui peuvent aussi bien s’adresser, par ailleurs, aux vélos.

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