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Jours tranquilles à Paris
29 août 2019

A la Mostra de Venise, « La Vérité » adoucit les mœurs

venise

Par Thomas Sotinel, Venise, envoyé spécial

Hirokazu Kore-eda, Catherine Deneuve et Juliette Binoche ont ouvert la 76e édition du festival de cinéma sur fond de polémiques, autour de la parité et de la présence des plateformes.

Juste avant que ne débute, le 28 août, la projection de La Vérité, du réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda, film d’ouverture et premier long-métrage en compétition pour le Lion d’or de la 76e Mostra internazionale d’arte cinematografica la biennale di Venezia, le festival de cinéma italien a offert un joli trompe-l’œil. Autour de la maîtresse de cérémonie, l’actrice Alessandra Mastronardi, étaient réunies trois réalisatrices, l’Argentine Lucrecia Martel et les Italiennes Susanna Nicchiarelli et Costanza Quatriglio, qui président respectivement les jurys de la compétition, de la section Orizzonti et du programme Venezia Classici consacré au patrimoine. Il n’y avait qu’un homme sur la scène du Palazzo del Cinema, Emir Kusturica, à la tête du jury chargé de récompenser la meilleure première œuvre.

Ce n’était qu’une illusion. Dans la journée, la conférence de presse du jury avait donné lieu à une passe d’armes entre Lucrecia Martel et le directeur artistique de la Mostra, Antonio Barbera. Celui-ci n’a retenu que deux films réalisés par des femmes – The Perfect Candidate, de la Saoudienne Haifa Al-Mansour, et le premier long-métrage de l’Australienne Shannon Murphy, Babyteeth – sur les 21 films en compétition pour le Lion d’or.

20 % des films soumis réalisés par des femmes

Par ailleurs, Antonio Barbera a répété à l’envi que 20 % des films, qui lui avaient été soumis, étaient réalisés par des femmes. L’arithmétique est irréfutable : s’il n’en reste que 10 % en compétition, c’est qu’ils sont à ses yeux deux fois moins bons. S’adressant au directeur artistique, Lucrecia Martel lui a demandé d’imaginer « que la proportion soit de 50/50. Etes-vous sûr que la qualité serait moindre ? A moins que l’industrie n’en soit profondément transformée ».

Présidente et directeur ont également été interrogés sur la présence en compétition de J’accuse, le film que Roman Polanski a consacré à l’affaire Dreyfus. Aux Etats-Unis et en France, plusieurs associations féministes ont protesté contre la présence du réalisateur, que la justice américaine considère toujours comme un fugitif après sa condamnation pour viol par un tribunal californien en 1978. Alberto Barbera a fait valoir qu’il fallait distinguer l’homme de l’œuvre pendant que Lucrecia Martel a exprimé sa solidarité avec la victime.

Annonçant son intention de ne pas assister au dîner donné en l’honneur du réalisateur de Chinatown, elle s’est prononcée pour la participation de son film à la compétition. Le directeur artistique a également été interpellé sur la présence d’American Skin de Nate Parker dans la section Sconfini. Aux Etats-Unis, la sortie du premier long-métrage de Parker, Naissance d’une nation, avait été obscurcie par la polémique autour d’une ancienne affaire de viol dans laquelle le cinéaste avait été acquitté.

Présence massive de Netflix sur la lagune

Aussi vive soit-elle, cette controverse ne cache pas l’autre, qui tourne autour de la présence massive de Netflix sur la lagune. Par sa position sur le calendrier, Venise est idéalement situé pour servir de plateforme de lancement aux studios désireux de pousser leurs productions dans la course aux Oscars. Depuis 2012, le film d’ouverture de la Mostra était traditionnellement hollywoodien (Gravity, LaLaLand, First Man…). Mais les studios s’intéressent moins aux Oscars. Parmi les films de la compétition 2019, Ad Astra, de James Gray, aurait dû être, s’il avait été terminé à temps, distribué par la Fox. C’est finalement le repreneur du studio de Rupert Murdoch, Disney, qui le sortira dans le monde entier. Disney, qui depuis longtemps ne manifeste guère d’intérêt pour la course aux Oscars.

Pour combler le vide laissé par les majors, Venise a ouvert ses pontons à Netflix. En 2018, la plateforme a mené Roma jusqu’au Lion d’or. Elle présente cette année deux longs-métrages en compétition, Marriage Story, de Noah Baumbach, avec Adam Driver et Scarlett Johansson, et The Laundromat, de Steven Soderbergh, avec Meryl Streep et Gary Oldman. Hors compétition, Netflix fait flotter la bannière de The King, variation shakespearienne dans lequel Timothée Chalamet est sacré roi d’Angleterre, sous la direction de l’Australien David Michôd. Cette présence massive de la plateforme de streaming a suscité la colère des exploitants de salles italiens.

L’un des plus beaux rôles de Catherine Deneuve

Heureusement, il y avait La Vérité pour adoucir les humeurs de ce début de festival échauffé. Les prédécesseurs d’Hirokazu Kore-eda dans ce long voyage vers l’Ouest – les réalisateurs taïwanais Hou Hsiao-hsien et japonais Kiyoshi Kurosawa en France, le réalisateur hongkongais Wong Kar-waï aux Etats-Unis – ne sont pas tous arrivés à bon port. Pour mettre en scène les retrouvailles d’un monstre sacré (Catherine Deneuve) et de sa fille exilée de l’autre côté de l’océan (Juliette Binoche), le réalisateur d’Une affaire de famille n’a pas évité tous les écueils qui guettent lorsque l’on dirige dans une langue qui n’est pas la sienne, quand on filme des intérieurs et des architectures qui ne sont pas ceux qui ont construit son espace de cinéma.

Mais ces maladresses de langage, ces étonnements visuels presque naïfs, servent plus le film qu’ils ne le desservent. Parce que l’histoire de cette mère et grand-mère un peu monstrueuse est un conte autant qu’une comédie familiale, et surtout parce qu’elle offre à Catherine Deneuve son plus beau rôle depuis longtemps, l’un de ses plus beaux rôles tout court. Il n’est sans doute pas indifférent que l’étoile ait été filmée sur pellicule, par le chef opérateur Eric Gautier.

Peut-être parce que Kore-eda ne porte pas en lui la légende de Deneuve telle qu’elle s’est construite en France, on cesse très vite de se demander ce qu’il y a de vrai dans ce portrait de femme égotiste qui préfère être une bonne actrice qu’une bonne mère ou une bonne amie. L’actrice et le metteur en scène y mettent assez de fantaisie pour que l’on se laisse emporter dans un va-et-vient entre fiction et réalité (il y a la réunion de famille, mais aussi un tournage et la sortie d’un livre de mémoires très infidèles), qui fait tourbillonner des satellites pleins d’abnégation et de justesse (Juliette Binoche, bien sûr, mais aussi Ludivine Sagnier, Manon Clavel, Ethan Hawke…) autour de l’astre mère. La Vérité sortira en France le 22 janvier 2020.

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