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Jours tranquilles à Paris
7 septembre 2019

En Amazonie, le bilan incertain de la lutte contre les incendies

amazonie33

Par Bruno Meyerfeld, Rio de Janeiro, correspondant

Le gouvernement brésilien se targue de contrôler les feux, mais ne communique aucun chiffre. Les observations par satellite ne montrent pas de régression claire.

L’épreuve du feu est arrivée pour Jair Bolsonaro – au propre, comme au figuré. Le président brésilien, qui avait décrété, le 23 août, la mobilisation de l’armée pour lutter contre les incendies ravageant l’Amazonie, doit aujourd’hui répondre de son action. Et le bilan, après deux semaines de lutte contre les flammes, est plus que contrasté.

Officiellement, pourtant, la situation serait « sous contrôle ». L’opération « Vert Brésil » mobilise à plein les moyens des armées de l’air, de terre et de mer. Le gouvernement a par ailleurs ordonné la semaine dernière l’interdiction pour soixante jours des « queimadas » (brûlis des fermiers). Il met en scène son action, diffusant massivement sur les réseaux sociaux une foison de clichés flatteurs : camions de l’armée patrouillant sur les pistes, soldats en treillis impeccables remplissant des réservoirs et ballet des avions militaires larguant des trombes d’eau sur la forêt en flammes.

Le ministère de la défense assure que « Vert Brésil » aurait déjà permis d’« éteindre » ou de « contrôler » plusieurs incendies, notamment vers Bom Futuro et dans le nord du parc national Campos Amazônicos : deux zones situées dans l’Etat de Rondônia, où se concentre l’action des militaires. Si l’on en croit les autorités, la victoire serait en vue. « Le Brésil a une fois de plus démontré que, lorsqu’il est uni, il n’y a aucun obstacle qu’il ne puisse surmonter ! », s’est félicité Onyx Lorenzoni, chef de la Casa Civil (équivalent de premier ministre), lors d’une réunion mardi 3 septembre, réunissant des membres du gouvernement ainsi que les gouverneurs de l’Amazonie occidentale.

« Grande part d’improvisation »

De son côté, Jair Bolsonaro s’est déclaré déterminé à évoquer le sort de la grande forêt « avec patriotisme » dans son discours lors de la prochaine assemblée générale des Nations unies, prévu dans trois semaines. Un brin fanfaron, le président, qui continue de rejeter l’aide de 20 millions de dollars débloquée par le G7 – une vulgaire « aumône », selon lui – a appelé les Brésiliens à s’habiller de vert et de jaune pour la fête nationale du 7 septembre afin de « montrer au monde » que « l’Amazonie nous appartient ».

Mais, au-delà des discours triomphalo-nationalistes, qu’en est-il de la réalité du terrain ? « En vérité, il y a une grande part d’improvisation et on ne sait pas vraiment ce qu’il se passe en détail », explique Ricardo Abad, expert à l’institut Socioambiental, ONG de défense de l’environnement. Sur place, en Amazonie, la communication de l’armée est verrouillée et les journalistes souvent empêchés d’embarquer avec l’armée en opération.

De son côté, le gouvernement ne dévoile aucun chiffre précis sur l’état des incendies et l’avancement des combats contre le feu, se contentant de livrer à la presse de vagues « cartes thermiques », pointant des « foyers de chaleur » – en diminution, selon les autorités. Autant de données fournies par un organisme public subordonné au ministère de la défense, appelé Service de protection de l’Amazonie (Sipam). Celui-ci possède certes 13 satellites, mais, « en vérité, il est essentiellement utilisé par les militaires pour la surveillance des frontières », explique un bon connaisseur du dossier, ajoutant que le Sipam « n’est pas fonctionnel pour détecter des incendies ».

Tout l’inverse de l’Institut national de recherche spatiale (INPE), reconnu et compétent, officiellement chargé de la surveillance de la déforestation et des incendies. Mais celui-ci est vilipendé par Jair Bolsonaro, qui a récemment poussé vers la sortie son directeur. On comprend pourquoi : les chiffres publiés par l’institut sont en effet bien moins flatteurs (et bien plus précis) que ceux du Sipam. Rien que pour le 6 septembre, l’INPE a ainsi détecté 1 376 nouveaux départs de feu au Brésil (une hausse de 27 % par rapport au jour précédent), portant à plus de 95 000 le nombre d’incendies cumulés en 2019. Dans le détail, les chiffres montrent une énorme disparité entre Etats, selon les jours et les régions : impossible de conclure à une quelconque « victoire » sur les flammes.

Pour ne rien arranger, la quantité comme la qualité des moyens déployés font débat. Selon le ministère de la défense, « à peu près » 6 000 soldats seraient aujourd’hui déployés pour combattre les incendies en Amazonie, appuyés par 150 véhicules, 20 bateaux et 16 aéronefs, ainsi que 2 monomoteurs bombardiers d’eau chiliens et une délégation d’experts israéliens en catastrophes naturelles. Mais d’autres sources, citées par les médias brésiliens, évoquent quant à elles tout juste 2 500 à 3 900 soldats en action. Cela fait en tout cas bien peu pour une forêt grande comme cinq fois la France…

Budget en baisse

A la pointe de l’opération « Vert Brésil », les forces aériennes ont certes réquisitionné deux avions Hercule C-130, reconvertis en bombardiers d’eau, chargés chacun de 12 000 litres d’eau. Mais ces transporteurs de troupe, modèle américain des années 1950, « ne sont tout simplement pas assez nombreux et, surtout, pas du tout adaptés à la lutte contre les incendies, déplore M. Abad. De toute façon, les militaires n’ont pas vocation à combattre le feu. Leur rôle, c’est de défendre le territoire. Ce qu’il nous faut, ce sont des pompiers, des agents qualifiés ! »

Peu de chances qu’ils arrivent de sitôt : les principaux instituts publics de protection de l’environnement, tel l’Ibama, ont été purgés et amputés d’une bonne partie de leur budget cette année par le gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro. « Larguer de l’eau par avion, c’est bien, et ce corps-à-corps avec les flammes est nécessaire. Mais plus qu’éteindre les feux, il faut lutter en priorité pour éteindre les causes des incendies. A savoir, la déforestation », estime Paulo Moutinho, chercheur à l’Institut de recherche environnementale pour l’Amazonie.

Mais, en pleine crise environnementale, une autre mauvaise nouvelle est tombée cette semaine : selon le budget prévisionnel pour 2020, le ministère de l’environnement devrait perdre 10 % de ses ressources. L’enveloppe consacrée à la lutte contre les incendies devrait quant à elle plonger de 45,5 millions à 29,6 millions de reais (de 10 millions à 6,6 millions d’euros), soit une chute catastrophique de 34 %. Un coup de massue pour les défenseurs de l’Amazonie. « Si on relâche notre surveillance, prévient M. Moutinho, si on ne met pas en place un combat effectif pour la préservation de cette forêt, peu importe le nombre de militaires déployés en urgence, les feux reviendront. Et, à la prochaine saison sèche, ce pourrait être pire encore. »

raoni

Raoni

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