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Jours tranquilles à Paris
22 septembre 2019

Robert Frank, monument de la photographie, est décédé à 94 ans

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Par Ingrid Luquet-Gad
Avec le livre The Americans publié en 1958, Robert Frank changeait à jamais la photographie. Photographe de l'Amérique des laissés-pour-compte et compagnon de route de la Beat Generation, il est mort à l'âge 94 ans.
Robert Frank, l'un des photographes les plus influents du XXe siècle, est décédé ce lundi 9 septembre. Il avait 94 ans. Né en 1924 en Suisse, arrivé à New York à l'âge de 23 ans, c'est rapidement le cœur rural et industriel du pays qui l'attire.

Lui-même est un outsider, fraîchement débarqué dans un pays dévasté par la Seconde Guerre mondiale, un émigré également. Tout naturellement, au fil de deux années de périples sur les routes de l'Amérique, il capte les interstices d'un pays dont la mythologie triomphante n'est pas la sienne et qui, dans les faits, est effectivement en train de se déliter.

Auto-stoppeurs, cireurs de chaussures, funérailles, dancings glauques, rails rouillés, arrêts de bus : les images de Robert Frank sont rapides, parfois floues, préférant le paysage au portrait, l'instant volé à la pose... Mais expressives néanmoins, du fait d'une prédilection pour les compositions diagonales conciliant le dynamisme de la composition à la "vacuité" des sujets – le terme qu'emploiera Diane Arbus pour qualifier ses photos, qu'elle admirait précisément pour leurs qualités creuses.

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Couverture de livre "The Americans" de Robert Frank, 1958
L'oeuvre d'un amateur, diront à l'époque certains

Publiées en volume en 1958, ces images marquent d'une pierre blanche l'histoire du photojournalisme, et de la photographie tout court. Le livre en question s'intitule sobrement The Americans (Les Américains). C'est dire le choc que représentera sa parution. Le monde change. Mais le cœur du pays, infinité morne, reste englué dans l'après-guerre qui s'éternise. Les prémisses de la société de consommation, des mouvement des droits civiques, de l'optimisme qui déferlera bientôt sur le pays avec l'arrivée des années 60 et la reprise de la croissance, les grandes villes côtières les ressentent peut-être, le centre non.

Ces images, y règnent la pauvreté, la solitude, la ségrégation et surtout, tout simplement, l'abandon et l'ennui, l'arrêt pur et net du temps. L'ouvrage, et ses 83 photos, sélectionnées parmi les 28 000 qu'il shootera au total sur les routes, devient culte. Tout surprend, tout choque. Il faut réapprendre à voir. Le sujet, certes - la réalité sociale à jamais dévoilée et figée -, mais également le style.

Alors que l'instant décisif d'un Cartier-Bresson, aux clichés ultra-composés, était alors à la mode, Robert Frank se rapproche d'un Walker Evans ou d'un André Kertész : ses images, prises avec son petit Leica 35mm de poche, sont brutes, rugueuses. L'oeuvre d'un amateur, diront à l'époque certains.

“Tirer un poème triste de l'Amérique”

Avec lui, c'est également l'un des derniers témoins de la Beat Generation qui disparaît. The Americans paraît à l'époque accompagné d'une préface de Jack Kerouac. Pour lui, Robert Frank était parvenu à "tirer un poème triste de l'Amérique". Les deux hommes étaient proches, comme le photographe l'était du reste du groupe. Amis mêmes, mais Robert Frank se gardera toujours de faire partie du mouvement.

Ce refus d'être identifié à quoi que ce soit se lit dans sa carrière. Devenu un monument avec The Americans, mais refusant farouchement de l'être, il délaisse la photographie. Dans les années 1960, ce sera les films. Pull My Daisy sur la Beat Generation en 1959, ou Cocksucker Blues sur les Rolling Stones en 1972.

Le road-movie, suite naturelle, il y vient en 1987 avec Candy Mountain, où Joe Strummer, leader du Clash, tient un rôle. La fin de sa vie, il la passe reclus, passant la majeure partie de son temps dans une maisonnette à Mabou, au Canada, ne revenant timidement à la photographie que par le photomontage ou la manipulation de négatifs. A l'occasion de la sortie du film documentaire Robert Frank – L'Amérique dans le viseur réalisé en 2013 par Laura Israel, il se replongeait dans les archives de plus de 70 années de carrière sans concession.

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