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Jours tranquilles à Paris
28 septembre 2019

Et si la masturbation était la figure secrète qui organisait le cinéma de Quentin Tarantino?

tarantino

Article de Thierry Jousse 

Un mois après sa sortie, Once Upon a Time... in Hollywood suscite toujours massivement commentaires et exégèses sur les réseaux sociaux. Notre critique Thierry Jousse analyse en quoi le film est mû de part en part par un désir onaniste

Il y a quelque chose de rassurant, voire d’enveloppant, dans le mouvement et l’ambiance de Once upon a Time... in Hollywood. Quelque chose qui nous ramène inéluctablement à l’enfance, celle de Tarantino, mais aussi la nôtre. Une invitation à se lover pendant deux heures quarante dans un monde en forme de cocon où le fétichisme règne, où les personnages peuvent être déplacés à loisir comme des figurines sur un grand terrain de jeu, où le temps devient autonome, interne à lui-même, comme dans une sorte d’étirement infini, un mouvement qui diffère sans cesse l’arrivée d’une explosion qu’on souhaite et qu’on redoute à la fois.  Dans ce trajet immobile qui nous fait revenir en enfance, une composante m’a particulièrement frappé : celle de la masturbation. Un onanisme caché et assumé à la fois qui pourrait bien être une des clés de ce film exagérément long.

Ce n’est pas entièrement une nouveauté : cinéphilie et masturbation sont deux mots qui vont très bien ensemble ! Tout cinéphile (et ça vaut aussi pour les filles) est un branleur qui aime faire durer le plaisir à l’infini. Son but est moins de rechercher frénétiquement l’éjaculation (ou la jouissance) à tout prix que de créer les meilleures conditions pour différer la décharge afin de rester le plus longtemps possible dans le monde imaginaire du fantasme et du plaisir solitaire. De ce point de vue, Tarantino est le Masturbateur en chef, une sorte de super Branleur. Plus le temps passe, plus son obsession de recréer méticuleusement le cinéma de son enfance et de son adolescence est visible. Et surtout plus l’étirement du temps, cette façon de dilater les séquences jusqu’à une forme d’épuisement devient, en quelque sorte, son geste privilégié. Précisément puisqu’il s’agit bien de différer, voire de conjurer, aussi longtemps que possible la décharge qui nous mènera inéluctablement, une fois sortis de la salle de cinéma, au triste retour à la réalité.

Un podophile en puissance

Dans Once upon a Time... in Hollywood, ce mouvement est à son apogée et devient le principal sujet du film. Ce qu’on sent chez Tarantino c’est, plus que jamais, le désir de créer un univers autonome, un monde auto-suffisant qu’il cherche à érotiser par tous les moyens. Il n’y a qu’à voir la manière dont il filme les fesses des filles ou encore leurs doigts de pieds en amorce du cadre (figure récurrente de son cinéma), moins pour le spectateur que pour lui-même. Un peu comme s’il se regardait filmer les courbes féminines pour mieux en jouir en solitaire et, accessoirement, faire partager cette jouissance ô combien intime et personnelle à d’autres solitaires, les spectateur.rice.s de son film. Au fond, cette érotisation à tendance onaniste est également visible dans la satisfaction manifeste que Tarantino éprouve à recréer, jusqu’à satiété, des séquences d’obscures séries westerniennes, réelles ou fictives, peu importe, aussi bien que dans la délectation qu’il a à filmer, ensemble ou séparément, Leonardo Di Caprio et Brad Pitt, comme deux petits soldats qu’il déplace sur le champ de bataille de son imaginaire. Même si, au bout du compte, tous ces plaisirs solitaires n’ont pour objectif que de retarder l’éjaculation finale dont on pressent, très tôt, qu’elle sera forcément décevante (de fait, quand ça gicle – les dernières séquences du film-, l’univers poétique déployé semble de rétracter aux dimensions d’une pochade obtusément régressive).

Le cinéma comme art de l'auto-satisfaction

En réalité, bien davantage que la fin de Once upon a Time... in Hollywood parodique, factice et assez grotesque, c’est une séquence du film, déjà abondamment commentée, qui contient, en quelque sorte, l’idéal tarantinien. C’est bien évidemment la fameuse scène où la fausse Sharon Tate (Margot Robbie) entre dans un cinéma pour contempler son double, l’authentique Sharon Tate aux côtés d’un Dean Martin, fidèle à son personnage, dans Matt Helm Règle son Compte (The Wrecking Crew). Cette séquence, comme beaucoup d’autres, s’étire jusqu’à l’épuisement. On se glisse auprès de l’héroïne dans un pur moment d’auto-contemplation et de jouissance narcissique qui nous ramène inéluctablement à la masturbation : Sharon se voit à l’écran et sourit d’aise, s’enfonce dans son fauteuil, connait une sorte d’extase d’elle-même. Semble se révéler alors, dans la pénombre d’une salle de cinéma, la vérité de ce film, où le metteur en scène parait lui aussi s’enivrer de sa propre capacité démiurgique, se contemple restituer tous ses fétiches et déplier à l’envie ses rêveries de fan inentamé. Au fond, Tarantino renvoie tout cinéphile, tout spectateur, à ce qu’est le cinéma selon lui, un plaisir solitaire, auto-érotique, qu’on voudrait prolonger à l’infini et dont on voudrait ne jamais sortir. C’est, au final, la force et la limite de Once Upon a Time... in Hollywood : un monde fermé qui a tous les charmes de l’onanisme mais qui, jamais, ne pourra nous ouvrir les yeux sur autre chose que sur lui-même.

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