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Jours tranquilles à Paris
30 septembre 2019

La lettre politique de Laurent Joffrin - Chirac : l'hommage mesuré

cercueuil

Quitte à émettre une fausse note dans le concert des célébrations, on osera remarquer que l’hommage du pays à Jacques Chirac est un peu mou, ou encore en demi-teinte, sinon en clair-obscur. Quelques milliers de personnes émues lui ont rendu hommage dimanche. Le geste est respectable mais l’engouement limité. Johnny Hallyday a déplacé aux Champs-Elysées dix ou vingt fois plus de monde.

Chacun loue à juste titre le don d’empathie de l’ancien président et sa volonté sincère de maintenir l’unité du pays. Mais pour le reste, le bilan est pour le moins contrasté. Sur douze ans de pouvoir suprême, cinq ont été concédés à Lionel Jospin, qui fut un bon Premier ministre et qui a présidé à une période de redressement économique et de réformes sociales. Les sept années restantes ont surtout été consacrées à colmater tant bien que mal les brèches ouvertes par la crise sociale et économique dans la cohésion nationale. Avec ces révoltes périodiques qui ont contrecarré les ambitions du président. Vaste mouvement lycéen en 1986, grève interminable de la SNCF en 1995, protestation juvénile contre le projet de contrat première embauche (CPE) promu par Dominique de Villepin, embrasement des quartiers sensibles, défaite en rase campagne après la dissolution de 1997, ratage gouvernemental après la victoire à 82 % contre Jean-Marie Le Pen. Une succession de reculs et de fausses manœuvres plus qu’un règne actif, dont la dernière partie fut obérée par la maladie.

Bilan mitigé donc aux yeux de la droite française, qui a désespéré de voir la France se réformer comme elle le souhaitait. Les libéraux déplorent la hausse des impôts, et surtout celle des dépenses publiques. La droite identitaire, qui déborde désormais le seul RN, se souvient que le Chirac de 1976 fut celui qui a instauré en France le regroupement familial en faveur des immigrés, péché originel selon elle. La même droite droitisée regrette tout autant que ce président de droite reste dans les mémoires pour avoir légalisé l’IVG, voté l’abolition de la peine de mort, refusé sèchement toute alliance avec les lepénistes, introduit le principe de précaution dans la Constitution, choisi systématiquement l’Europe à l’heure des grandes décisions (Maastricht, le référendum sur le traité constitutionnel, etc.). Une droite trop à gauche à ses yeux. La gauche, les progressistes européens, s’en félicitent, mais ils ne peuvent oublier que Chirac fut néanmoins le chef infatigable et souvent agressif du camp adverse et un contempteur de la «fracture sociale» qui n’a pas su traduire en actes son juste diagnostic.

Nostalgie néanmoins ? Certes. Mais elle traduit plus l’universel regret devant les années enfuies qu’une adhésion à l’homme politique. Chirac fut le président d’une France minée par la crise économique et qui n’a pas su s’en dépêtrer, le gouvernant louvoyant d’une République doutant d’elle-même. Restent son humanité, son contact avec les Français, son allergie des extrêmes et son refus de la guerre d’Irak. Gestes et postures sympathiques. Mais qui incitent plus à l’indulgence qu’à l’admiration.

LAURENT JOFFRIN

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