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Jours tranquilles à Paris
9 octobre 2019

Critique « Chambre 212 » : la femme qui aimait les hommes

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Par Jacques Mandelbaum

Christophe Honoré met en scène dans un huis clos les souvenirs d’une femme et de ses conquêtes masculines.

L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR

Il y aurait une série à écrire sur « la chambre d’en face » au cinéma. De Fenêtre sur cour (1954), d’Alfred Hitchcock, avec James Stewart paralysé derrière sa fenêtre face à l’assassin qui opère de l’autre côté de la cour, à Nous irons tous au paradis (1977), d’Yves Robert, où Jean Rochefort loue une chambre d’hôtel pour mieux surveiller sa femme. Bien des sentiments entrent dans ce dispositif, de la peur à la jalousie, du voyeurisme à la concupiscence. Christophe Honoré relance la donne aujourd’hui au titre de la fantaisie onirique, et l’on parierait que son souvenir à lui trouve son origine dans la seizième minute du court-métrage de François Truffaut, Antoine et Colette (1962).

Résumons. Antoine (Jean-Pierre Léaud, ex-garnement des Quatre cents coups) est devenu passionné de musique, travaille désormais chez Phillips et fait la connaissance de la ravissante Colette (Marie-France Pisier, ah ! Marie-France Pisier…) qui fréquente comme lui les concerts des Jeunesses musicales de France. Il tombe amoureux, elle ne lui accordera jamais davantage que son amitié. A la cruauté de la situation, Antoine répond par l’énergie du désespoir et loue sur un coup de tête, à la seizième minute du film donc, une chambre à l’Hôtel de la Paix, qui fait face au domicile des parents de Colette, non loin de la place de Clichy. La conclusion sera amère.

Sous l’empire du rêve et du faux

On connaît, depuis son premier long-métrage (17 fois Cécile Cassard, 2002), le lien référentiel que cultive le réalisateur des Chansons d’amour (2007) avec quelques grandes figures de l’enchantement cinématographique français, à commencer par Truffaut et Jacques Demy. Quand bien même n’aurait-t-il jamais songé à Antoine et Colette – ce qui a une importance toute relative d’ailleurs –, toujours est-il qu’il installe son héroïne Maria (Chiara Mastroianni), au naturel volage, dans une chambre d’hôtel qui fait face au domicile conjugal (décidément, Truffaut !), après sa dispute avec son mari Richard (Benjamin Biolay), féru de musique et pianiste de son état, qui vient de trouver un message laissé par l’amant sur le portable de sa femme. Ces prémisses d’une excessive banalité laissent présager Feydeau, on s’apercevra vite que c’est Cocteau qui se tient en embuscade.

MARIA SE RETROUVE DANS UNE CHAMBRE D’HÔTEL BIENTÔT SURPEUPLÉE PAR LES FANTÔMES, Y COMPRIS CELUI DE SA PROPRE CONSCIENCE

Le film se déroule tout entier, en effet, sous l’empire du rêve et du faux (fausse neige, fête du pastel, maquette rendue visible, mécanismes de théâtre, paradoxes temporels). Le couple, qui a vingt ans de mariage derrière lui, habite d’ailleurs Montparnasse, pile au-dessus d’un complexe cinématographique qui en distille, du rêve, à foison. C’est ainsi que partie pour faire le vide, Maria se retrouve dans une chambre d’hôtel bientôt surpeuplée par les fantômes, y compris celui de sa propre conscience, sous les oripeaux d’un quinquagénaire imitateur de Charles Aznavour. Y apparaissent tour à tour Richard âgé de 25 ans, sa première amante, Irène (Camille Cottin), qui fut sa professeure de piano et qui nous le révèle adolescent, elle-même à l’âge de la retraite (Carole Bouquet), ainsi qu’Asdrubal, le jeune amant de Maria, sur les pas duquel s’emboîtent la cohorte de ses conquêtes, et même sa mère pour faire bonne mesure.

Complainte de l’amour

Une ineffable fantaisie s’ensuit, qui va un moment nous bercer du doux rêve d’un échange de bons procédés entre Maria, tentée de se mettre à la coule avec son mari de 25 ans, tandis qu’Irène, qui n’a jamais cessé d’aimer Richard, tenterait de le reconquérir à la faveur de sa rupture, en traversant tout simplement la rue pour lui faire un enfant. En même temps, une poignante interrogation affleure : peut-on jamais se remettre de la perte de la jeunesse ? Peut-on jamais faire autrement que tromper l’autre avec lui-même ? Vous le saurez en entrant dans cette complainte de l’amour tissée jusqu’à la douceur d’une nuit qui s’épuise au bar du Rosebud.

L’étrange huis clos, il convient de le noter, s’enlèvera sur les ailes de la Sonate en fa mineur, de Scarlatti, du Désormais, de Charles Aznavour, de My Heart Belongs to Only You, de Bobby Vinton, de Nous dormirons ensemble, de Jean Ferrat, de Could It Be Magic, de Barry Manilow, ou encore de How Deep is Your Love, de The Rapture. La tonalité du film ainsi soumise à votre appréciation.

« Chambre 212 », film français de Christophe Honoré. Avec Chiara Mastroianni, Vincent Lacoste, Benjamin Biolay, Camille Cottin. (1 h 27). Sur le Web : Distribution.memento-films.com/film/infos/101,

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