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Jours tranquilles à Paris
14 octobre 2019

Portrait - Franck Riester, le bon élève de la culture après un an au ministère

Par Sandrine Blanchard, Alexandre Lemarié

Arrivé dans l’indifférence du milieu culturel, en octobre 2018, Rue de Valois, le ministre apparaît à l’écoute, mais assujetti aux projets de la présidence.

Il arrive en homme pressé. « Depuis un an, c’est la course », s’excuse Franck Riester pour expliquer son retard au déjeuner qu’il a accepté afin d’évoquer ses premiers mois Rue de Valois. Nommé le 16 octobre 2018 à la tête du ministère de la culture, le successeur de Françoise Nyssen se dit « frappé par l’intensité du job ». De la loi Notre-Dame au projet de réforme de l’audiovisuel public, de la directive européenne sur le droit d’auteur à la création d’un Centre national de la musique, des déplacements en France et à l’étranger aux inaugurations d’expositions et soirées spectacle ou concert, il juge sa nouvelle fonction chronophage. Mais Franck Riester n’ira pas jusqu’à s’en plaindre car il avait, assume-t-il, « le désir profond » d’être à ce poste. « Il en a toujours rêvé. Se retrouver dans le bureau de Malraux et Lang, c’est le plus beau cadeau que la vie ait pu lui faire », confie un de ses amis.

Alors que sa prédécesseure y avait été catapultée, lui se préparait depuis une dizaine d’années à cette mission. Dès son arrivée à l’Assemblée nationale, en 2007, à l’âge de 33 ans, ce diplômé de gestion et concessionnaire automobile se présente comme un spécialiste des sujets culturels devant les journalistes. Membre de la commission des affaires culturelles, il travaille sur les dossiers de l’audiovisuel et, dès son premier mandat parlementaire, devient rapporteur des projets de loi Hadopi 1 et 2. « J’ai toujours été attiré par le cinéma, la musique et la peinture. J’ai fait le choix de me spécialiser sur les sujets culturels car il n’y avait pas assez de parlementaires qui s’en occupaient alors que la culture a une importance considérable pour l’émancipation, la cohésion sociale et le rayonnement du pays », justifie-t-il.

Un professionnel de la politique

A Françoise Nyssen, l’éditrice de gauche sans expérience des rouages institutionnels, a donc succédé un professionnel de la politique qui a fait toutes ses classes au sein de la droite. Maire de Coulommiers (Seine-et-Marne), proche de Jean-François Copé, Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire, il est l’un des premiers à quitter le navire, en mars 2017, lorsque François Fillon refuse de retirer sa candidature en dépit de sa prochaine mise en examen.

« C’EST TOUT À FAIT COMPATIBLE DE TRAVAILLER AU SERVICE DE L’INTÉRÊT GÉNÉRAL, EN TANT QUE MINISTRE DE LA CULTURE, ET D’ÊTRE EN MÊME TEMPS PATRON D’UN PARTI POLITIQUE » FRANCK RIESTER

Avec l’élection d’Emmanuel Macron, Franck Riester, encarté au RPR dès l’âge de 17 ans, rompt avec sa famille politique d’origine et devient l’un des chefs de file des élus de droite bienveillants à l’égard du chef de l’Etat. Au point de créer Agir, un parti politique de centre droit, et un groupe à l’Assemblée, qu’il copréside avec l’UDI, pour regrouper les élus de « droite constructive ». Libéral en économie et progressiste sur le plan sociétal, Franck Riester n’a jamais approuvé la stratégie de « droitisation » de LR. En décembre 2011, il a été le premier député UMP à faire son coming out, en annonçant son homosexualité, et sera, deux ans plus tard, l’un des rares parlementaires UMP à voter en faveur du mariage pour tous.

Cet homme de parti doit sa promotion à Edouard Philippe, sa nomination ayant le mérite, aux yeux du premier ministre, d’élargir la majorité vers la droite modérée, notamment dans l’optique des municipales de 2020. « Si je n’avais pas été constructif, je ne serais pas entré au gouvernement », reconnaît l’intéressé. Il « assume » sa double casquette de président d’Agir et de ministre : « C’est tout à fait compatible de travailler au service de l’intérêt général, en tant que ministre de la culture, et d’être en même temps patron d’un parti politique. »

Mais si la nomination de Françoise Nyssen avait reçu un accueil bienveillant du monde de la culture et suscité beaucoup d’attentes avant de tourner à la bérézina, celle de Franck Riester a été vécue avec une certaine indifférence. « Il n’était pas attendu alors qu’elle l’était trop », résume le producteur de spectacles macroniste Jean-Marc Dumontet. « Il est sympathique, franc, consciencieux, mais un peu lisse », liste un bon connaisseur du secteur culturel. « Son caillou dans la chaussure, c’est le poids de Macron sur les sujets culturels. C’est le Château qui décide, d’autant qu’il n’est pas un proche du couple présidentiel », complète un syndicaliste.

riester

L’impression qu’il est « sous tutelle »

Les chemins de Franck Riester et Emmanuel Macron ne s’étaient jamais croisés jusqu’à leur rencontre à l’Elysée lors de sa nomination Rue de Valois. « Je ne le connaissais pas, nous n’avions jamais échangé », déclare l’ex-élu LR. Avant d’assurer : « On apprend à se connaître. Il n’arbitre pas systématiquement dans mon sens mais globalement, nous sommes en ligne sur la culture. »

« POUR GEORGELIN, IL AURAIT PU METTRE SA DÉMISSION DANS LA BALANCE, NON ? » STÉPHANE BERN

En « bon soldat de la Macronie », comme le décrivent plusieurs acteurs culturels, Franck Riester donne parfois l’impression d’un ministre « sous tutelle ». « Macron trouve que la première qualité de Riester, c’est de ne pas faire de bruit et de ne pas prendre l’espace », décrypte un poids lourd de la majorité. Le 17 avril, deux jours après l’incendie de Notre-Dame de Paris, le chef de l’Etat annonce, lors d’un conseil des ministres, la nomination auprès de lui du général Jean-Louis Georgelin comme représentant spécial chargé de la reconstruction de la cathédrale. Un camouflet pour Franck Riester, présent autour de la table, qui n’était pas au courant. « Cette annonce a précarisé Franck », confie l’un de ses proches.

Le ministre doit également composer, sur le dossier du patrimoine, avec la présence, très médiatique, de Stéphane Bern, proche du couple présidentiel et considéré par certains, au sein de la majorité, comme le « vice-ministre » de la culture. « Etre ministre ? Surtout pas ! », clame Bern qui dit « connaître depuis longtemps » Franck Riester. « On se parle franchement et cela se passe plutôt bien, on travaille en bonne intelligence » assure-t-il. Tout en ajoutant, taquin : « Pour Georgelin, il aurait pu mettre sa démission dans la balance, non ? » Franck Riester, lui, jure ne pas être irrité par la présence de ces personnalités. « Plus on a de gens investis sur les sujets culturels, plus on a de chances qu’ils avancent », évacue-t-il.

« APRÈS L’ERREUR DE CASTING AVEC NYSSEN, LA RUE DE VALOIS A DE NOUVEAU UN MINISTRE CRÉDIBLE QUI APPREND VITE ET COMPREND LES ENJEUX » DENIS GRAVOUIL DE LA CGT-SPECTACLE

De toute façon, il doit suivre la feuille de route du président. Que ce soit sur le projet de transformer le château de Villers-Cotterêt (Aisne) en haut lieu de la francophonie pour un budget conséquent de 200 millions d’euros ou sur les nominations importantes. Emmanuel Macron a été particulièrement interventionniste sur le choix du producteur Dominique Boutonnat à la tête du Centre national de la cinématographie et de l’image animée (CNC) ou dans le feuilleton de la succession de Stéphane Lissner à l’Opéra de Paris. « Ces histoires de nominations décidées à l’Elysée, c’est une anomalie, cela affaiblit le ministre, jamais je ne l’aurais accepté », confie un ancien ministre de la culture.

Sans aura médiatique, Franck Riester a pour lui son expérience d’élu local et de parlementaire qui facilite ses contacts avec les collectivités, sa connaissance des mécanismes budgétaires et sa maîtrise des débats au Parlement. « Après l’erreur de casting avec Nyssen, la Rue de Valois a de nouveau un ministre crédible qui apprend vite et comprend les enjeux », constate Denis Gravouil de la CGT-Spectacle. « C’est un “up grade” pour le ministère, se félicite l’entrepreneur Frédéric Jousset, consultant sur le Pass culture. Il connaît bien le sujet de l’audiovisuel qui constitue un poste-clé dans le budget de la culture ; pour le reste il a fait une formation en accéléré. »

« Il s’est bien battu »

Tout en constatant que, pour l’heure, Franck Riester gère l’héritage de dossiers lancés par sa prédécesseure, beaucoup de ses interlocuteurs louent sa capacité d’écoute, sa disponibilité et mettent à son crédit la remise en marche d’un ministère et de son administration alors que le cabinet avait vécu une hémorragie de conseillers et que des directions restaient vacantes. Sur le terrain, il n’hésite pas à organiser des rencontres informelles comme à Strasbourg, le 1er octobre, où il discute à bâtons rompus avec des professionnels de la musique et délivre, sans note, ses encouragements à toutes les équipes de la DRAC Grand-Est.

« IL EST LÀ POUR SERVIR LES INTENTIONS RÉFORMATRICES D’EDOUARD PHILIPPE. ON A CHANGÉ DE MINISTRE MAIS PAS DE POLITIQUE » VALÉRIE RENAULT, CGT-CULTURE

« Il vient à tous les comités techniques ministériels et est très à l’aise avec les agents », constate Valérie Renault, secrétaire générale de la CGT-Culture. Et a promis de revaloriser les régimes indemnitaires, « choqué » d’avoir découvert la différence de traitement avec les agents des autres ministères. On lui reconnaît aussi d’être parvenu, lors du projet de réforme de l’assurance-chômage, à préserver le régime spécifique des intermittents du spectacle et d’avoir obtenu un arbitrage favorable sur le maintien de la redevance audiovisuelle dans sa bataille avec le ministre des comptes publics. « Gérald Darmanin est le pire ennemi de la culture. Riester s’est bien battu sur la redevance mais aussi sur le non-plafonnement des recettes du CNC », considère Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques.

Mais quelle est sa vision pour la culture, s’interrogent bon nombre d’observateurs ? Qu’y a-t-il concrètement derrière ses discours sur les « quatre priorités » de la Rue de Valois : favoriser l’émancipation, mettre les artistes et créateurs au centre des politiques culturelles, faire de la culture un levier d’attractivité des territoires, réaffirmer la souveraineté culturelle française. « Il est là pour servir les intentions réformatrices d’Edouard Philippe. On a changé de ministre mais pas de politique, c’est toujours le programme action publique 2022 engendrant des baisses de crédits et une déconcentration au détriment de l’administration centrale », estime Valérie Renault.

Le besoin de s’affirmer

Les inquiétudes sont fortes sur la création d’une holding de l’audiovisuel public, sur l’avenir des labels et le poids des collectivités locales dans le projet de déconcentration, sur la part du financement privé pour le Pass culture. « Françoise Nyssen, au moins, était une idéaliste. Là, on a le sentiment qu’ils veulent en finir avec l’héritage au lieu de s’appuyer sur l’existant », redoute Marie-José Malis, directrice du Théâtre de la Commune à Aubervilliers et membre du Syndeac, le syndicat des entreprises artistiques et culturelles. « Les industries culturelles, qui uniformisent plutôt que singularisent, sont-elles devenues un projet de société ? », se désespère Robin Renucci, président de l’association des centres dramatiques nationaux, qui rêve d’une « loi d’orientation sur la culture » notamment pour « faire des jeunes autre chose que des clients ». « Progressivement l’esprit de lucre l’emporte sur celui de service public », regrette un ancien locataire de la Rue de Valois.

Si le Pass culture, promesse phare du candidat Macron, a désormais une direction exécutive, Franck Riester ne cache pas que des interrogations demeurent sur sa possible généralisation. « Pour l’instant je n’ai pas de certitude, notamment sur le modèle économique », reconnaît le ministre. « Il aurait mieux fallu mettre cet argent sur l’éducation artistique et culturelle pour donner à tous les enfants la chance de pratiquer un art. Où donne-t-on le goût de la créativité ? », déplore un ancien ministre.

Après une année à la tête du ministère, « il faut que Riester se lâche et prenne son autonomie », insistent plusieurs personnalités qui lui veulent du bien. « Il ne pèse pas suffisamment et doit encore s’affirmer d’autant qu’il pourrait bien rester jusqu’à la fin du quinquennat », renchérit un proche. Bon élève, Franck Riester assure qu’il est « fier d’être celui qui met en œuvre les projets du président de la République dans le domaine culturel. Ce n’est pas honteux. Au contraire ». D’ailleurs, « son plus beau moment », depuis qu’il est Rue de Valois, il l’a vécu grâce à Emmanuel Macron : « Lorsque le président est venu dans la cour du Palais Royal faire un discours devant les agents à l’occasion des 60 ans du ministère pour rappeler l’importance de la culture, vous vous pincez ! »

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