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Jours tranquilles à Paris
22 octobre 2019

Tribune - François Hollande : « Instaurer un véritable régime présidentiel, avec un Parlement plus fort »

Par François Hollande

L’ancien chef de l’Etat plaide, dans une tribune au « Monde », pour un président chef du gouvernement, avec un mandat de six ans, et une Assemblée nationale aux pouvoirs étendus. Des propositions qu’il présente dans « Répondre à la crise démocratique ».

Qui peut nier le malaise qui s’est installé dans la démocratie ? Il n’est pas une singularité française. Les Etats-Unis, comme souvent, en sont l’expression la plus criante et la plus désolante, avec un président qui bouscule toutes les règles.

En Europe, les extrémistes font vaciller les régimes parlementaires qui paraissaient les plus robustes. Ils prétendent au pouvoir, comme en Italie, et, quand ils ne l’occupent pas, ils perturbent la formation des gouvernements. Au Royaume-Uni, la bataille sur le Brexit a fini par déstabiliser la Chambre des communes, pourtant jugée comme étant le Parlement le plus puissant du monde. A l’Est, l’indépendance de la justice et la liberté sont de plus en plus mises en cause.

Apparente stabilité

Partout, les grands partis reculent. Partout, les citoyens expriment leurs exaspérations face à l’impuissance des gouvernants devant les défis les plus urgents. Partout, la défiance se cristallise sur les élus, leur nombre, leurs prétendus avantages et, au bout du compte, sur la démocratie elle-même.

Il en est même qui, au nom de la survie de la planète, appellent à instaurer des solutions autoritaires pour sauver l’espèce humaine. Certains vont jusqu’à vanter, dans le concert des nations, la supériorité de la Chine ou de la Russie, dont l’avantage majeur serait de ne pas être embarrassées par les contraintes du pluralisme.

« SI LA PERSONNALISATION DU POUVOIR EST NÉCESSAIRE ET MÊME IMPÉRIEUSE DANS UNE DÉMOCRATIE, ELLE A PRIS DES FORMES QUI, LOIN DE CONVAINCRE LE CITOYEN, STIMULENT SA COLÈRE »

La France n’échappe pas à ce mouvement général. Elle l’a même précédé. C’est dans notre pays que l’extrême droite a jailli au milieu des années 1980. C’est en France que la protestation se traduit par des mobilisations de rue, des violences urbaines ou des grèves plutôt que par l’ouverture de grandes négociations.

Cette réalité a été longtemps occultée par l’apparente stabilité que confère à nos institutions la Ve République. La place prééminente du président de la République et son élection au suffrage universel, la discipline majoritaire au sein de l’Assemblée nationale ont pu donner l’illusion que le système tenait bon alors qu’il craquait de toutes parts.

Redonner confiance aux citoyens dans leurs élus

Pour colmater les brèches, chaque président a tenté de moderniser nos institutions. Mais les réformes successives n’ont pas changé profondément la relation entre le pays et ses représentants et le « dégagisme » menace ceux-là mêmes qui l’avaient convoqué.

Le quinquennat, qui a réduit encore l’horizon, a sûrement une part de responsabilité dans ces excès, d’autant qu’il s’est conjugué avec l’immédiateté de l’information et la mise en équivalence de celle-ci avec les opinions charriées par les réseaux sociaux.

Ce malaise dans la démocratie appelle des réponses fortes à la mesure du danger qui grossit. Ces réponses sont d’abord politiques et relèvent des partis, de leur capacité à soulever un espoir crédible et à porter des solutions face aux peurs qui s’emparent de notre société.

Mais elles sont aussi institutionnelles. Je ne prétends pas que les procédures constitutionnelles règlent, par une espèce de magie, les défauts et les failles d’un système politique, mais elles contribuent à modifier les comportements des responsables, à rendre lisibles et rapides leurs décisions, à favoriser les compromis plutôt que les affrontements et à redonner confiance aux citoyens dans leurs élus.

Le dilemme impossible de l’Assemblée nationale

J’ai voulu mettre mon expérience de président de la République au service de cette réflexion. Notre Constitution tente de plus en plus mal de conjuguer le régime parlementaire avec une dérive présidentialiste qui ne date pas d’hier.

Loin d’ajouter les avantages de l’autorité et de la responsabilité, ce mélange des genres aboutit à une confusion au sein de l’exécutif, avec la dyarchie président-premier ministre, et à une concentration excessive des pouvoirs au détriment du Parlement. Elle conduit la majorité à l’Assemblée nationale à un dilemme impossible : la loyauté jusqu’au bout ou la fronde jusqu’à sa perte.

Si la personnalisation du pouvoir, avec la communication qui lui est liée, est nécessaire et même impérieuse dans une démocratie, elle a pris des formes qui, loin de convaincre le citoyen, stimulent sa colère. Tout remonte au chef de l’Etat, alors qu’il ne devrait se préoccuper que de l’essentiel. De même, si le Parlement dispose de pouvoirs étendus pour contrôler, enquêter et alerter, le fait majoritaire [une majorité parlementaire favorable au président de la République] et la contrainte qui pèse sur son propre calendrier en limitent considérablement l’influence.

Le citoyen, lui-même, ne parvient pas à trouver sa place. Ses moyens d’intervention (pétition, référendum d’initiative partagée…) sont enserrés dans des conditions si strictes qu’ils en deviennent virtuels. Enfin, la centralisation demeure le mal français. Autant un Etat, pour être fort, doit être présent sur le territoire et mener à bien des politiques qui rassurent et rapprochent, autant cette prétention à tout régir sans disposer des ressources correspondantes est devenue insupportable.

« LA VIE RÉPUBLIQUE EST BRANDIE PAR CEUX QUI FLATTENT LE PEUPLE POUR MIEUX LE DESSAISIR D’UNE PART DE SA SOUVERAINETÉ. JE NE CROIS CETTE PROPOSITION NI SOUHAITABLE NI POSSIBLE »

Le temps me paraît donc venu de « trancher le nœud gordien » qui a trop longtemps ligoté le débat institutionnel.

J’écarte une VIe République parlementaire qui ne serait qu’un retour à la IVe et ne serait pas de nature à nous permettre d’affronter les épreuves de notre temps. L’élection du président de la République au suffrage universel est irréversible. C’est d’ailleurs un curieux procédé que de prétendre élargir la démocratie en privant les citoyens du droit de choisir directement leur principal dirigeant. Cette VIe République est en définitive brandie par ceux qui flattent le peuple pour mieux le dessaisir d’une part de sa souveraineté. Bref, je ne crois cette proposition ni souhaitable ni possible. Et, pour tout dire, je l’estime dangereuse.

Séparation des pouvoirs

A l’inverse, je plaide pour l’instauration d’un véritable régime présidentiel, lequel revient, contrairement à bien des idées reçues, à donner au Parlement une place bien plus éminente que sa position actuelle.

En effet, dans ce cadre, le président ne nomme plus un premier ministre, mais une équipe dont il est le chef. Dès lors que le gouvernement n’est plus responsable devant l’Assemblée nationale, le président perd son droit de dissolution. L’exécutif ne peut donc plus faire pression sur le Parlement : il doit désormais composer avec lui. Ce serait encore plus vrai avec, comme je le propose, un président élu pour six ans et une Assemblée nationale élue pour quatre ans.

L’avantage d’une telle séparation des pouvoirs serait la clarté dans les responsabilités et l’efficacité de l’action publique. Le président disposerait de larges compétences qu’il exercerait en propre. Il réaliserait lui-même les arbitrages au sommet de l’administration dont il serait le chef, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque c’est constitutionnellement le gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation ».

« DANS LE RÉGIME PRÉSIDENTIEL QUE J’APPELLE DE MES VŒUX, LES PARTIS REPRENDRAIENT UNE PLACE IMPORTANTE DANS LE DÉBAT PUBLIC »

Dans notre pays le président doit rester un acteur majeur. C’est lui qui fixe les grandes orientations politiques du pays et l’engage à l’extérieur, mais une telle exigence n’implique cependant pas une concentration de tous les pouvoirs telle que nous la connaissons aujourd’hui. Elle ne justifie pas une domination du Parlement par l’exécutif.

Quant au Parlement, je propose d’élargir son pouvoir d’investigation, d’évaluation et d’initiative, y compris en levant les procédures qui pèsent sur le droit d’amendement. En contrepartie, il serait nécessaire d’alléger et de raccourcir la procédure législative. Dans le régime présidentiel que j’appelle de mes vœux, les partis reprendraient une place importante dans le débat public. Ils investiraient un Parlement rehaussé et capable de légiférer pleinement et souverainement.

Dans cet esprit, je ne suis pas convaincu par l’idée de réduire drastiquement le nombre de parlementaires. Cette « déflation » provoquerait un éloignement encore plus prononcé des députés par rapport à leur territoire. L’antiparlementarisme a un appétit insatiable et finira, si on continue à l’alimenter, par dévorer le corps même de la République.

Faire coïncider toutes les élections locales

De même que le travail du Parlement doit être revalorisé, la place des collectivités locales doit être pleinement reconnue. Pour la consacrer, je propose de transférer une large part des compétences de l’Etat et de regrouper le même jour toutes les élections locales (commune, département, région), avec le même mode de scrutin. Cette coïncidence des dates serait aussi une reconnaissance des missions de ces collectivités.

Enfin il serait opportun, sur certains textes, de convoquer une assemblée de citoyens tirés au sort, pour un temps limité. Elle débattrait non des détails du projet, mais de son orientation générale.

L’exemple de la concertation sur l’écologie est intéressant à suivre. Tout dépendra des suites qui lui seront données. Mais veillons à ne pas demander à cette procédure plus qu’elle ne peut donner : un éclairage utile, mais pas une réponse formelle. Une préparation, mais pas une conclusion. Une association, mais pas une substitution au Parlement.

« JE VEUX CONVAINCRE LES FRANÇAIS QUE NOUS DEVONS GARDER LA STABILITÉ QUE CONFÈRE LA VE RÉPUBLIQUE SANS RESTER DANS L’IMMOBILISME INSTITUTIONNEL »

Il ne peut être question, au nom de la démocratie citoyenne, d’écarter les forces vives de la délibération collective. Il est d’ailleurs un lieu où elles pourraient trouver toute leur place. Je suggère la création d’une agence du long terme, nouvelle forme d’une planification stratégique dont notre pays a tant besoin pour préparer les choix d’avenir sur l’écologie et l’énergie. La Nation tout entière doit participer aux choix d’investissement, qui vont déterminer son destin. Autant elle a besoin de confrontations sur les moyens d’y parvenir, autant elle requiert un consensus sur les buts à atteindre. Cette méthode remettrait démocratie politique, démocratie sociale et démocratie participative en harmonie.

Je suis conscient que bien des remèdes à la crise démocratique portent sur des questions économiques, sociales et territoriales dont le règlement est majeur pour garder le lien entre l’Etat et la Nation. Je suis également convaincu que l’enjeu climatique exigera de nouvelles formes de participation citoyenne et que notre Constitution elle-même devra intégrer des objectifs écologiques pour leur donner une force obligatoire. Mais je veux convaincre les Français que nous devons garder la stabilité que confère la Ve République sans rester dans l’immobilisme institutionnel. Notre pays a besoin de clarté, d’équilibre et d’engagement. Tel est le sens de mes propositions.

François Hollande a été président de la République de 2012 à 2017, et premier secrétaire du Parti socialiste de 1997 à 2008. Il publie « Répondre à la crise démocratique » (Fayard-Terra Nova, 126 pages, 14 €), en librairie le 23 octobre.

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