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Jours tranquilles à Paris
24 octobre 2019

Enquête - Le « j’accuse » des avocats de Ghosn contre les procureurs japonais

Par Éric Béziat

Collusion avec Nissan, dissimulation de preuves, saisies illégales… Les défenseurs de l’ancien PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi mettent gravement en cause l’enquête contre leur client et réclament l’annulation de la procédure.

La meilleure défense c’est l’attaque ! Les avocats de Carlos Ghosn ont décidé de mettre en action ce vieil adage stratégique, lors d’une audience préliminaire – une étape importante sur la route du procès Ghosn – programmée à Tokyo, jeudi 24 octobre.

Les défenseurs du patron déchu ont choisi de plaider l’innocence de leur client sur tous les faits qui lui sont reprochés. Surtout, ils mettent en cause gravement le bureau du procureur de Tokyo et demandent au juge l’annulation de toute la procédure, estimant l’enquête pénale « inconstitutionnelle, illégale et invalide ».

Arrêté à Tokyo pour des malversations financières, le 19 novembre 2018, l’ancien PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi fait face à des accusations de dissimulation de revenus entre 2009 et 2017 et d’abus de confiance. Il est actuellement en résidence surveillée dans la capitale japonaise. Il risque jusqu’à dix ans de prison.

Privé d’une partie de sa liberté, le patron déchu aura eu le loisir de préparer sa contre-offensive avec son équipe d’avocats japonais épaulés par pas moins de six autres cabinets juridiques aux Etats-Unis, en France, aux Pays-Bas et au Liban. La stratégie consiste à entrer en combat frontal avec les accusateurs de M. Ghosn. Et elle est appliquée avec vigueur : les requêtes de la défense adressées au juge, auxquelles Le Monde a pu avoir accès dans une version en anglais, n’y vont pas avec des gants.

Enquête secrète

Les avocats de M. Ghosn commencent leur remontrance en accusant le bureau des procureurs du district de Tokyo de « collusion » avec des hauts dirigeants de Nissan qui, en accord avec le gouvernement japonais, auraient lancé une enquête secrète dans le but de découvrir des malversations attribuables à leur client. L’objectif réel était, selon eux, d’éliminer Carlos Ghosn de l’Alliance car il préparait un rapprochement, insupportable aux yeux des Japonais, de Renault et de Nissan.

La défense cite nommément les prétendus complotistes, certains étant encore aujourd’hui à la tête de Nissan comme Masakazu Toyoda (administrateur du constructeur et président du comité des nominations) ou Hitoshi Kawaguchi (vice-président exécutif chargé entre autres des affaires publiques). « L’équipe d’investigation du bureau des procureurs a accepté les résultats de cette enquête interne déloyale et biaisée », s’indigne la défense.

Et il y a plus grave. les avocats de M. Ghosn accusent les procureurs d’une série d’actes illégaux qui relèvent parfois de la justice pénale. Ils soulignent en particulier que les procureurs ont violé les exigences légales japonaises en limitant l’accès aux documents auxquels avait droit la défense, mais aussi en renvoyant à Nissan des éléments de preuve saisies au siège du constructeur et enfin en « détruisant, à la demande de Nissan, des données électroniques qui aurait dû être divulguées [aux avocats] ».

Quant aux faits délictueux, il s’agit des confidences à destination de la presse dont les avocats accusent le bureau des procureurs. La requête identifie treize articles parus entre novembre 2018 et mai 2019 qui ont été, d’après la défense, alimentés par des fuites « d’informations arbitraires, concernant l’enquête, tendant à prouver qu’il y avait abondance de preuves de la culpabilité de M. Ghosn ». « Qu’un procureur fournisse aux médias des informations à propos d’une enquête en cours (…) est en soi un crime », soulignent les défenseurs, citant plusieurs articles de la loi japonaise sur les services publics.

Détournement de la procédure de plaider-coupable

Les conseils de M. Ghosn estiment, par ailleurs, qu’il y a eu détournement de la procédure de plaider-coupable – deux anciens cadres de Nissan, Hari Nada et Hideaki Ohnuma, ont officiellement accepté de dénoncer leurs « complices » en échange de l’abandon des charges pesant sur eux – la rendant illégale, le tout assorti de pressions sur les témoins-clés, dont Hiroto Saikawa, directeur général de Nissan au moment de l’arrestation et qui a succédé à Carlos Ghosn à la tête du constructeur nippon jusqu’en septembre.

Les avocats dénoncent aussi des perquisitions et des saisies « illégales » de documents, soit parce qu’elles ont été réalisées par des salariés de Nissan – il est question d’ordinateurs au Liban et au Brésil – agissant pour le compte et avec l’aval des procureurs, soit parce qu’elles ont privé M. Ghosn de documents qu’il avait préparés pour sa défense, violant ainsi ses droits de mis en cause. « Des preuves obtenues dans de telles conditions ne peuvent être recevables », indique la requête.

Enfin, les avocats de Carlos Ghosn insistent sur les injustices dont leur client serait victime : déni de son droit à un procès rapide – on parle du mois d’avril 2020 sans plus de précision –, persécutions psychologiques de la part des autorités, discrimination envers un non-Japonais, les malversations présumées de quelques dirigeants nippons de Nissan n’ayant fait, elles, l’objet d’aucune poursuite.

Carlos Ghosn nie toute culpabilité

Pour la défense, la conclusion de cette démonstration est évidente – même si les avocats de M. Ghosn apportent rarement des preuves formelles de ce qu’ils avancent. Tout ceci doit aboutir à la nullité d’une procédure basée sur « une enquête extrêmement illégale et préjudiciable ». « Cette affaire n’aurait jamais dû être portée en justice, affirment les avocats de l’ex-patron dans un communiqué diffusé à l’ouverture de l’audience. Si les accusations ne sont pas rejetées, M. Ghosn est prêt à les combattre vigoureusement. Il est innocent. »

Car et, c’est là l’autre point des requêtes adressée au juge, M. Ghosn nie toute culpabilité dans les affaires de malversations financières qui ont causé sa chute. Sur les accusations de dissimulation de revenus, la défense assure que Carlos Ghosn n’a jamais touché aucune somme qui n’aurait pas été déclarée en bonne et due forme.

Concernant le délit d’abus de confiance, l’ancien PDG est principalement accusé d’avoir fait verser par Nissan plusieurs dizaines de millions d’euros à des intermédiaires en Arabie saoudite et au sultanat d’Oman en échange d’avantages personnels.

Dans ces deux situations, la défense est grosso modo la même : les sommes versées l’ont été légitimement en contrepartie de vrais services qui ont accru le volume d’affaires de Nissan dans la région. Ces primes ont, en plus, été approuvées, signatures à l’appui, par au moins dix dirigeants de Nissan, nommément cités dans l’adresse au juge japonais, dont M. Saikawa en 2017 et 2018 pour 7,5 millions de dollars (6,7 millions d’euros).

Dans tous les cas, les avocats de M. Ghosn nient que leur client ou des membres de sa famille aient pu être les bénéficiaires, même indirects, de ces paiements.

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