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Jours tranquilles à Paris
3 novembre 2019

Chronique - Sexualité lesbienne, sexualité modèle

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Par Maïa Mazaurette

Si elles sont le plus grand fantasme du monde, les lesbiennes sont aussi les meilleures amantes, nous explique la chroniqueuse de La Matinale Maïa Mazaurette (chiffres à l’appui), qui appelle les hétéros, hommes et femmes, à s’en inspirer.

Ces dernières années, la catégorie « lesbienne » est systématiquement arrivée en tête des préférences des utilisateurs de Pornhub, la plus grosse plate-forme pornographique du monde. 2018 n’a pas fait exception. La France non plus. A priori, 2019 devrait suivre la tendance. « Lesbienne » n’est pas seulement un fantasme de mâle hétérosexuel : c’est aussi le mot le plus recherché par les femmes.

A ce titre, on pourrait avancer que la lesbienne incarne le fantasme le plus excitant du moment – et conséquemment, le sociotype le plus outrageusement sexualisé (au point qu’il a fallu attendre tout récemment pour que Google France cesse de renvoyer la requête « lesbienne » uniquement à des contenus pornos). Bon. Voilà qui pose une solide réputation !

Comment expliquer ce succès ? Fascination, curiosité, préférence pour la représentation des corps des femmes (qui seraient « plus jolis »), inclination pour les contenus considérés comme intrinsèquement plus tendres ? Sans doute un peu de tout ça.

Mais outre cette puissance dans les représentations, les lesbiennes « gagnent » aussi sur le terrain des pratiques. 86 % d’entre elles ont toujours ou souvent des orgasmes, contre 65 % des hétérosexuelles et 66 % des bisexuelles (Chapman University, 2017). Plus de 25 000 femmes ont été interrogées pour obtenir ces chiffres, rendons-nous donc à l’évidence : les lesbiennes sont le plus grand fantasme et les meilleures amantes du monde.

Stéréotypes

Ce qui n’empêche nullement les représentations associées à leurs techniques sexuelles de se situer dans une binarité fem/butch digne des années 1980 : à ma gauche, des caresses saphiques éthérées exécutées dans des champs d’orchidées, à ma droite, des orgies cuir et godemiché débridées dans des donjons. Pratiquées, à ma gauche, par de glabres gazelles androgynes (avec une alouette tatouée au creux des reins), à ma droite, par de vieilles amazones rêches comme du papier de verre (avec un sécateur tatoué sur la cicatrice de la mastectomie ?).

Ces stéréotypes révèlent la persistance d’une pensée binaire (« qui fait l’homme, qui fait la femme »), qui oscille entre répulsion (« c’est dégueulasse ») et idéalisation (« les femmes ont des orgasmes plus intenses, longs et transcendants que les hommes »). Pendant ce temps, selon SOS-Homophobie, la lesbophobie fait des ravages : + 66 % d’agressions physiques entre 2017 et 2018. On n’est pas sortis du « gazon maudit » de l’auberge.

Venons-en donc au cœur du sujet : les lesbiennes ont rarement des pénis (« rarement » parce que l’anatomie ne fige pas l’identité, comme le démontrent, par exemple, les trans). Cette sexualité a priori sans pénis produit davantage d’orgasmes que la sexualité avec pénis. Comment ça marche ? Qu’est-ce qu’on fait ? Quel est le secret ?

Eh bien, pour commencer, reprenons le paragraphe ci-dessus et coupons-lui son phallocentrisme implicite : la sexualité des lesbiennes n’est pas une sexualité « sans ». Les femmes ont un sexe (même si cette information a un peu de mal à entrer dans la tête des psychanalystes de la vieille école). Nous en parlions la semaine dernière, dans la chronique dédiée aux zones érogènes : les femmes ont même, culturellement, plus de sexes que les hommes. Grâce à leur merveilleuse complexité, elles peuvent combiner ou décombiner les zones explosives que sont le clitoris, le vagin, l’anus, les seins, la bouche, les lèvres et, qui sait, les coudes et les omoplates.

Largement au-delà des standards hétérosexuels

Qu’en font-elles ? Selon une enquête de la marque de sextoys lesbiens WetForHer (réalisé parmi près de 2 500 clientes), c’est au niveau de la durée du rapport que les différences sont les plus spectaculaires. La moitié des lesbiennes ont des rapports compris entre une demi-heure et une heure, et 14 % font l’amour durant plus d’une heure. Nous sommes largement au-delà des standards hétérosexuels.

Cette durée n’est pas compensée par une moindre fréquence. Le cliché du couple lesbien installé dans un compagnonnage asexué a du plomb dans l’aile : les deux tiers des femmes interrogées ont des rapports au moins une fois par semaine. C’est parmi les lesbiennes qu’on trouve le moins de femmes qui accepteraient de vivre dans un couple qui ne fait plus l’amour.

Au niveau des « sources » de la jouissance, on ne sera pas surpris d’apprendre que les lesbiennes utilisent les organes les plus efficaces : 96 % d’entre elles ont un orgasme par stimulation clitoridienne, 57 % par stimulation vaginale, 6 % par stimulation anale. Elles s’en portent bien puisque en France, 75 % d’entre elles sont épanouies sexuellement (contre 65 % en Angleterre).

Au niveau du répertoire comme des connaissances, c’est bien simple, les lesbiennes gagnent sur toute la ligne : 100 % d’entre elles se sont déjà masturbées (Ifop, 2019), contre 77 % des hétérosexuelles ; 91 % disent bien connaître leur corps (79 % des hétéros) ; 77 % ont déjà regardé du porno (47 % des hétéros), 56 % ont déjà utilisé un sextoy (44 % des hétéros). Elles sont en outre plus nombreuses à avoir expérimenté – et à continuer d’expérimenter, de manière active ET passive – le plaisir anal (de la sodomie à l’insertion d’un doigt, sans oublier la caresse de la langue).

Et la pénétration, dans cette histoire ? Elle fait partie de la boîte à outils, pratiquée avec les mains, la langue, des harnais, des godemichés simples ou à double embout, vibrants, munis d’une extension qui touche le clitoris, etc. Ces sextoys « pénétratoires » n’imitent d’ailleurs pas forcément le pénis : le modèle emblématique est celui qui « prolonge » les doigts, mais si vous préférez les aubergines ou les cornes de licornes, pas de souci. Et puisqu’on parle de pénis, n’oublions pas que 64 % des lesbiennes ont déjà eu des rapports avec des hommes… bon, en revanche, seules 20 % ont aimé ça (ce qui n’est finalement pas un si mauvais score).

Quid de la fameuse technique des ciseaux, qui avait fait polémique lors de la sortie du film d’Abdellatif Kechiche La vie d’Adèle (Palme d’or du festival de Cannes en 2013) ? Julie Maroh, l’auteure de la bande dessinée Le bleu est une couleur chaude dont s’est inspiré Kechiche, évoquait alors sur son blog « un étalage brutal et chirurgical, démonstratif et froid de sexe dit lesbien, qui tourne au porn ». Eh bien, ce scissoring, comme disent les Anglo-Saxons (tribadisme en français), fait partie d’un ensemble de pratiques consistant à mettre en contact et frotter les vulves (vous pouvez consulter la page Wikipédia dédiée). Certaines lesbiennes aiment ça, d’autres pas. Tout simplement parce que « la » lesbienne n’existe pas.

Enfin, les premières concernées s’organisent pour transmettre leurs savoirs et leurs fantasmes : sur Amazon, la requête « KamaSutra lesbien » propose 18 pages de résultats, tandis que, sur Google, « how to have lesbian sex » renvoie à 445 000 pages web. Cette inventivité se partage également par des comptes Instagram (comme le très beau Sapphosutra, sur abonnement), ou des guides pratiques en ligne (si vous lisez l’anglais, je recommande Autostraddle).

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Souvent invisibilisées

Cette transmission est fondamentale pour deux raisons : 1) les lesbiennes sont souvent invisibilisées, 2) leur sexualité est (le plus) souvent représentée par et pour des hommes hétérosexuels. En conséquence de quoi les débutantes et aspirantes lesbiennes ne savent pas toujours quoi faire avec une femme.

Pour les novices, les enthousiastes et les curieux, mentionnons l’inauguration, ce jeudi, d’un site français d’éducation à la masturbation féminine. Climax se compose de dix-sept vidéos courtes et très explicites. On y apprend, statistiques, commentaires et gros plan à l’appui, comment se donner du plaisir (et donc, a priori, comment donner du plaisir à une autre femme). Soit dit en passant, quelques vidéos sont destinées aux hommes désireux de s’instruire (le site est destiné à tous les publics).

Résumons les enjeux : les lesbiennes sont « le » fantasme, d’accord. Mais par définition, ce fantasme est inaccessible aux hommes et aux femmes hétéros. Reste un sympathique lot de consolation : pourquoi ne pas s’inspirer des recettes de leur succès ? C’est simple : débarrassons nos sexualités, non pas de l’hétérosexualité, mais des obligations liées à l’hétérosexualité. Cassons le moule. Oublions les figures imposées, oublions qui fait l’homme, qui fait la femme. Réfléchissons hors des codes, avec et au-delà du pénis, avec et au-delà du répertoire traditionnel. Hommes, femmes, tous ensemble : révélons la lesbienne en nous !

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