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Jours tranquilles à Paris
11 novembre 2019

Après la démission Evo Morales, la Bolivie plonge dans l’inconnu

Par Amanda Chaparro, Lima, correspondance

Dimanche, le président a dû faire face à des départs en cascade, avant d’annoncer le sien, après trois semaines d’intense contestation sociale.

C’est un véritable séisme politique en Bolivie. Le président, Evo Morales, au pouvoir depuis près de quatorze ans, a annoncé sa démission, dimanche 10 novembre, après trois semaines d’intense contestation sociale.

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Une démission qui semblait l’unique issue possible tant le chef de l’Etat était acculé de toutes parts. Au cours de la journée de dimanche, Evo Morales a été lâché par nombre de ses soutiens et a dû faire face à des démissions en cascade. Le matin même, il avait annoncé la convocation de nouvelles élections pour « pacifier le pays » mais cela n’avait pas réussi à éteindre l’incendie qui secoue le pays, enfermé dans une des pires crises politiques de son histoire.

« Si se pudo, lo sacamos » (On l’a fait, on l’a sorti), ont scandé les opposants sortis en masse dans les rues des grandes villes pour fêter l’annonce de la nouvelle.

Des démissions en cascade

L’armée bolivienne avait recommandé au chef de l’Etat de démissionner, jugeant qu’une telle décision contribuerait à restaurer le calme dans le pays. « Après avoir analysé le conflit national, nous demandons au président de renoncer à son mandat présidentiel, de permettre le rétablissement de la paix et la restauration de la stabilité dans le pays », a déclaré à la presse le commandant des forces armées terrestres, Williams Kaliman.

La plupart des ministres et des dizaines de sénateurs et députés ont présenté leur lettre de démission. « Le cours des événements va à l’encontre de mes principes personnels, ainsi que de mes valeurs spirituelles et démocratiques, et donc cela m’empêche de continuer à la tête du portefeuille d’Etat que je dirige », a écrit le ministre des hydrocarbures, Luis Alberto Sanchez, dans une lettre envoyée au président et publiée sur son compte Twitter, peu après l’annonce de démission du ministre des mines.

« Il y a eu des mutineries dans les forces de police, l’armée est neutralisée – elle a déclaré qu’elle n’utiliserait pas la force contre le peuple bolivien – Evo Morales vient de perdre le soutien de la Centrale ouvrière bolivienne (COB), l’un de ses plus fidèles soutiens. Sa démission semble inévitable », jugeait pour sa part le politiste Marcelo Silva, ancien conseiller politique du Mouvement vers le socialisme (MAS, le parti au pouvoir), quelques heures avant l’annonce du chef de l’Etat.

Alors que dans un premier temps l’opposition – divisée entre partis politiques, comités civiques (organisations citoyennes) et simples citoyens – demandait un second tour, puis la convocation de nouvelles élections générales, elle s’était radicalisée depuis plusieurs jours pour exiger le départ du président.

« Evo Morales est totalement délégitimé et décrédibilisé, poursuit Marcelo Silva. Son appel à de nouvelles élections est arrivé trop tard. Le pays s’est embrasé. Les gens ne croient plus en le gouvernement et en ses annonces. Lui et son vice-président Alvaro Garcia Linera sont moralement et éthiquement inhabilités à conduire le pays », juge-t-il.

Un scrutin présidentiel entaché « de graves irrégularités »

Evo Morales, avait été réélu le 20 octobre dernier au premier tour de la présidentielle mais le dépouillement avait fait polémique et l’opposition, à travers la voix du candidat arrivé second Carlos Mesa (droite libérale), avait dénoncé une « gigantesque fraude ». La mission d’observation de l’Organisation des Etats américains (OEA) avait également pointé de « sévères irrégularités » dans le décompte des résultats.

Le 30 octobre, le gouvernement avait conclu un accord avec l’OEA afin de réaliser un audit du scrutin. Le rapport préliminaire, rendu dimanche, pointait à nouveau de « graves irrégularités » du processus électoral et dénonçait « une claire manipulation » des systèmes informatiques. « Cela s’appelle une fraude, tranche Marcelo Silva. C’est un délit dans notre pays qui a de graves conséquences judiciaires et est sanctionné par le Code pénal. »

L’OEA juge statistiquement peu probable qu’Evo Morales ait obtenu la marge de 10 % nécessaire pour être élu et invite la Bolivie à se doter de nouvelles autorités électorales avant la tenue d’une nouvelle élection. « Le premier tour de l’élection, qui s’est déroulé le 20 octobre, doit être annulé et le processus électoral doit recommencer. Le premier tour doit avoir lieu dès que de nouvelles conditions apporteront de nouvelles garanties (…), notamment avec une nouvelle instance électorale », dit-elle dans un communiqué.

A la suite de la publication du rapport, le parquet bolivien a immédiatement annoncé l’ouverture d’une enquête sur les membres du Tribunal suprême électoral (TSE), qui encadraient les élections, pour de « présumés faits irréguliers ». Dans la soirée, la présidente du TSE, Maria Eugenia Choque, a été arrêtée.

« Le coup d’état a eu lieu »

Evo Morales lui, continue de défendre sa version des faits, se disant victime d’une machination. « D’abord, ils [l’opposition] ont pris le prétexte de la fraude, puis ils ont demandé un second tour, puis de nouvelles élections, puis maintenant ma démission (…), c’est un coup d’Etat », a-t-il déclaré à la télévision vénézuélienne, Telesur, dimanche midi. Dans la soirée, lui et son vice-ministre ont réitéré leurs propos. « Le coup d’Etat a eu lieu », estimait M. Garcia Linera. Une critique reprise par les alliés d’Evo Morales, que sont l’Argentine, Cuba et le Venezuela.

L’ex-chef de l’Etat ne reconnaît pas la présumée fraude. « C’est une décision politique [celle de l’OEA de demander l’annulation des élections]. Ce n’est pas une décision de justice », a-t-il déclaré.

Ces derniers jours, Evo Morales avait appelé à la pacification du pays. Toutefois, de l’avis de nombreux analystes, il continuait d’agiter la division entre Boliviens, les symboles indigènes contre non-indigènes, les campagnes contre les villes, les gens « humbles » contre les autres, et invoquait le racisme pour expliquer les dissensions politiques.

Selon Marcelo Silva, « la stratégie du gouvernement a échoué. Il avait misé sur l’usure des manifestations, puis il a essayé d’envoyer ses militants dans la rue, mais la “résistance” – comme l’appelle l’opposition – contre le pouvoir a cru et ce mouvement est irréversible ».

Evo Morales avait été élu en 2005 avec le soutien d’une coalition de mouvements sociaux, indigènes, paysans, universitaires et d’intellectuels. Il avait été réélu depuis avec une large majorité des suffrages (plus de 60 % aux scrutins de 2009 et 2014) mais il avait perdu des fidèles au fil des années. Contradictions politiques, mesures anti-environnementales, concentrations des pouvoirs, les griefs contre le « premier président indigène » de Bolivie s’étaient multipliés.

Tournant majeur dans sa vie politique, il avait perdu le référendum de février 2016 dans lequel il demandait de modifier la Constitution pour se représenter une 4e fois à l’élection présidentielle. Contre l’avis d’une majorité de Boliviens, il avait pourtant décidé de chercher d’autres voies légales à sa candidature et le tribunal constitutionnel lui avait donné raison, invoquant « un droit humain » à se représenter. Une décision qui a précipité le divorce d’une partie de la population, et aujourd’hui sa chute.

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Vide du pouvoir

Dès le lendemain du 1er tour du 20 octobre, des violences ont éclaté aux quatre coins du pays. Elles ont fait jusqu’à aujourd’hui quatre morts et plus de 250 blessés, selon les médias locaux. Malgré l’annonce de la démission, elles ne sont pas retombées et chaque camp accuse l’autre de semer la terreur. Dans la nuit de dimanche à lundi, les domiciles de membres de l’opposition ont été incendiés par des groupes proches du pouvoir, selon les médias boliviens. Evo Morales, lui, a publié sur Twitter qu’il y avait un ordre de la police de l’arrêter et que des groupes violents avaient attaqué son domicile.

Selon la Constitution, en cas de démission du binôme Evo Morales et du vice-président Alvaro Garcia Linera, il revient à la présidente du Sénat, Adriana Salvatierra (MAS), d’assumer la présidence intérim mais cette dernière a également démissionné. La sénatrice de l’opposition, Jeanine Añez, deuxième vice-présidente du Sénat revendique à présent la présidence « suivant l’ordre de succession », selon elle.

« Le départ du président est abrupt et irresponsable. Il est parti sans garantir un quelconque type de stabilité et sans plan de succession. Cela donne l’impression qu’il a eu l’intention de créer le chaos », estime le sociologue et analyste politique Rafael Loayza, qui s’inquiète de ce dangereux vide de pouvoir. D’autant que Fernando Camacho, figure radicale de l’opposition à la tête du comité civique de Santa Cruz – une organisation hétéroclite marquée à droite et proche des milieux d’affaires – a proposé la formation d’une assemblée gouvernementale avec un haut-commandement militaire et policier.

« Personne ne sait ce qu’il peut se passer à présent. Nous vivons des heures cruciales », s’inquiète Rafael Loayza.

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