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Jours tranquilles à Paris
24 novembre 2019

Une « fausse sécurité » : à Nagasaki, le pape dénonce le principe de la dissuasion nucléaire

Par Cécile Chambraud, Nagasaki, Japon, envoyée spéciale

pape japon

Le chef de l’Eglise catholique, sur le lieu même du bombardement atomique du 9 juin 1945, a confirmé l’évolution de la doctrine du Saint-Siège sur le sujet. « Un monde sans armes nucléaires est possible et nécessaire », a-t-il affirmé.

Sous une pluie tenace, dans le parc de la paix de Nagasaki, qui fait mémoire des 74 000 victimes de la seconde bombe atomique lancée sur le Japon le 9 août 1945, sur le lieu même de son explosion, le pape François s’est directement adressé aux gouvernants de la planète pour leur dire que le temps était venu de renoncer aux armes nucléaires et leur demander de construire une paix qui ne repose pas sur la possession de tels armements et la menace de s’en servir pour dissuader d’éventuels agresseurs.

« Un monde sans armes nucléaires est possible et nécessaire », a affirmé le chef de l’Eglise catholique. D’autant plus que selon lui, « ces armes ne nous défendent pas des menaces contre la sécurité nationale et internationale de notre temps ».

Au premier jour de sa visite au Japon, dimanche 24 novembre, le pontife jésuite a prononcé un message, bref et dense, qui explicite les raisons qui l’on conduit, depuis deux ans, à changer la doctrine du Saint-Siège sur cette question. Auparavant, en effet, s’ils déploraient les capacités dévastatrices de l’arme nucléaire et appelaient à un désarmement concerté, les papes, depuis 1945, avaient admis la dissuasion, comme un pis-aller, à condition qu’elle soit une étape sur la voie du désarmement.

En 2017, François a franchi un cap. Il a condamné la possession des armements nucléaires et l’Etat du Vatican, abandonnant sa posture habituelle d’observateur aux Nation unies, a signé le projet de traité sur leur interdiction (TIAN), comme 132 autres Etats (mais aucun Etat possesseur de la bombe ni leurs alliés, dont le Japon).

« Solidarité » et « coopération »

A Nagasaki, où les architectes de la dissuasion ne peuvent oublier que l’arme atomique fut un jour employée, François a d’abord prié devant le monument aux victimes après y avoir déposé une couronne de fleurs blanches. « Ce lieu nous rend davantage conscients de la souffrance et de l’horreur que nous, les êtres humains, nous sommes capables de nous infliger », a-t-il commencé. Puis il a énuméré les raisons qui le conduisent aujourd’hui à condamner la possession de tels armements.

Pour le pontife argentin, loin de favoriser la paix, la possession d’armes nucléaires et « d’autres armes de destruction massive » n’instaure qu’une « fausse sécurité » fondée sur la « crainte » et la « méfiance qui finit par envenimer les relations entre les peuples et empêcher tout dialogue ».

« La paix et la stabilité internationales sont incompatibles avec toute tentative de compter sur la peur de la destruction réciproque ou sur une menace d’anéantissement total », a-t-il affirmé, en demandant à ce que leur soient substituées la « solidarité » et « la coopération » entre des Etats conscients de leur « interdépendance ».

Le pape a ensuite appelé à « rompre la dynamique de méfiance qui prévaut actuellement » entre Etats « et qui fait courir le risque d’arriver au démantèlement de l’architecture internationale de contrôle des armes ».

« Confiance mutuelle »

De fait, les traités qui régulaient les deux principaux arsenaux, américain et russe, sont en train d’être remis en cause avec la sortie américaine du traité sur les forces nucléaires intermédiaires en Europe en août, l’échec probable de l’examen du traité de non-prolifération en 2020, les incertitudes sur le renouvellement du grand traité bilatéral New-START sur les armes stratégiques en 2021 et l’impasse du traité sur l’interdiction complète des essais.

« Nous assistons à une érosion du multilatéralisme d’autant plus grave si l’on considère le développement des nouvelles technologies des armes », a insisté François. Pour sa part, a-t-il ajouté, le Vatican ne se lassera pas « d’œuvrer et de soutenir avec une insistance persistante les principaux instruments juridiques internationaux de désarmement et de non-prolifération nucléaire, y compris le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires ».

« Notre réponse à la menace des armes nucléaires doit être collective et concertée, sur la base de la construction, ardue mais constante, d’une confiance mutuelle qui brise la dynamique de méfiance qui prévaut actuellement », a-t-il affirmé. « Il devient crucial de créer des instruments qui assurent la confiance et le développement mutuel, et de compter sur des leaders qui soient à la hauteur des circonstances », a-t-il ajouté.

A Hiroshima pour un discours sur la paix

François a enfin repris un parallèle déjà établi par ses prédécesseurs entre les moyens investis dans l’armement, qui seraient autant de ressources détournées du développement. Il y a ajouté une troisième composante, celle de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique. « L’argent de la course aux armements pourrait être utilisé pour le développement (…) et pour la protection de l’environnement naturel », a-t-il déclaré.

« Dans le monde d’aujourd’hui, où des millions d’enfants et de familles vivent dans des conditions inhumaines, l’argent dépensé et les fortunes gagnées dans la fabrication, la modernisation, l’entretien et la vente d’armes toujours plus destructrices sont un outrage continuel qui crie vers le ciel », a-t-il ajouté. Il devait se rendre à Hiroshima dans l’après-midi et y prononcer un discours sur la paix.

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