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Jours tranquilles à Paris
27 décembre 2019

Enquête - Profession journaliste, chroniqueuse sexe

Enquête - Profession journaliste, chroniqueuse sexe : « Le désir de faire ce qu’on veut de notre corps sans être jugée nous pousse à écrire »

Par Robin Richardot

Renée Greusard, Maïa Mazaurette ou encore Ovidie écrivent sur la sexualité, comme d’autres suivent la politique. Un métier qui ne manque pas de déclencher les fantasmes.

Renée Greusard jette un rapide coup d’œil autour d’elle. Dans ce bar-restaurant de Montreuil, quelques clients sont attablés un peu plus loin. « On va peut-être essayer de ne pas parler trop fort », propose-t-elle. Dans la foulée, elle évacue toute possibilité de gêne. « Après, ça ne me dérange absolument pas de parler de sexe. » Cela tombe bien. À 35 ans, cette journaliste est ce qu’on pourrait appeler « une rubricarde cul ». De ses premiers articles sur La Fistinière, une maison d’hôtes gay, à sa série en cours « Tinder surprise », elle traite, depuis 2011, divers sujets concernant la sexualité et les questions de genre pour Rue89. « J’avais fait une école de journalisme prestigieuse, mes parents avaient raqué pour ça et j’allais écrire sur le sexe, retrace la jeune femme en se servant un verre de Coca-Cola Light. C’était complètement fou et en même temps tellement bien. » En effet, difficile d’envisager ce plan de carrière quand elle sort de l’ESJ Lille, en 2009. Même si elle reconnaît qu’elle a toujours été intéressée par les tabous et le secret. « Tu ne deviens pas rubricarde cul si tu es classique, théorise-t-elle. Il faut avoir un petit grain pour faire ça. »

À l’époque, le sexe est en pleine quête de légitimité dans les médias généralistes français. Le sujet est surtout réservé à la presse genrée (féminine, surtout). Pour le reste, il doit se contenter d’être un marronnier d’été, alors qu’il s’invite régulièrement dans les pages du Guardian ou du New York Times. Les sex columnists et la presse anglo-saxonne ont popularisé l’affaire, bien aidés par la série Sex and the City, à la fin du XXe siècle. Son personnage principal, Carrie Bradshaw, chroniqueuse au New York Star et interprétée par Sarah Jessica Parker, s’inspire directement de la vie de Candace Bushnell, l’auteure du livre dont est tirée la série. « Mes amis m’appellent Carrie Bradcheap, la Carrie Bradshaw du pauvre », plaisante Renée Greusard, tout en précisant que la vie de l’Américaine n’a pas grand-chose à voir avec la sienne.

Un domaine légitime et sérieux

Il n’empêche que Sex and the City a changé la façon dont on parle de la sexualité dans les médias. Avec son blog « Les 400 culs », hébergé par Libération depuis 2007, Agnès Giard a été une pionnière en France, abordant le sexe d’un point de vue anthropologique. Depuis, si le sujet reste sulfureux et tabou, les principaux titres généralistes français ont tous leur chronique spécialisée. En pleine période de redéfinition des codes du genre et de la séduction, le sexe devient un domaine légitime et sérieux pour parler d’intimité ou pour questionner la société. « Mais il y a encore du boulot, prévient Maïa Mazaurette. Les gens estiment qu’il s’agit d’un sujet privé. Ils pensent que leur chambre à coucher est complètement étanche, dépolitisée et qu’elle n’est pas culturelle. »

Chroniqueuse au Monde depuis quatre ans, ainsi qu’à GQ, à Usbek & Rica et au quotidien suisse Le Temps, la quadragénaire ne prête plus attention aux commentaires qui lui demandent si elle n’a rien de plus intéressant à faire. Comme si écrire sur le sexe n’était pas un vrai métier. Déjà à l’école de journalisme, ses articles sur la sexualité provoquent plus de ricanements que d’intérêt chez ses camarades. Elle préfère voir ce manque de légitimité comme une aubaine et décroche un poste à Newlook à seulement 25 ans. « Je rêvais d’être chroniqueuse et le sexe me le permettait car personne ne voulait de ce boulot », raconte-t-elle en souriant. Dans sa rubrique, elle traite alors des films pour adultes de Canal+ qu’elle reçoit en VHS tous les mois. L’occasion d’organiser avec ses amis des « porn brunchs ». « On s’installait et on regardait l’éclairage, la mise en scène, on écoutait la bande-son, se remémore-t-elle. Bref, tout sauf le sexe. »

Une façon d’être à contre-courant

Une manière d’être à contre-courant du traitement du sujet dans la presse féminine. C’est d’ailleurs parce qu’elle a abordé les choses sérieusement, en s’appuyant sur la recherche, que Maïa Mazaurette n’a pas décroché comme ses prédécesseurs chez Newlook, qui ont vite eu l’impression d’avoir fait le tour de la question. Elle s’attaque à la construction de la virilité, s’interroge sur le polyamour ou étudie la relation entre pratiques sexuelles et origine sociale. « Si nous imaginons une transgression sexuelle plus importante chez les privilégiés, c’est parce que nous percevons leurs codes comme plus rigides », écrit-elle par exemple, sondage de l’IFOP à l’appui, dans une chronique pour Le Monde. Il faut dire qu’elle baigne dans les recueils spécialisés depuis l’enfance. Le meilleur ami de son père est sexologue.

« DANS L’IMAGINAIRE COLLECTIF, QUELQU’UN QUI PARLE DE SEXE VEUT FORCÉMENT DU SEXE. QUAND J’ÉTAIS JOURNALISTE POLITIQUE ET QUE JE PARLAIS POLITIQUE, PERSONNE NE ME SOUPÇONNAIT DE VOULOIR DEVENIR PRÉSIDENTE DE LA RÉPUBLIQUE. » EMMANUELLE JULIEN

La petite Maïa passe souvent des vacances chez lui mais, comme les chambres sont déjà occupées par ses trois enfants, on l’installe dans le bureau. « C’est comme ça que j’ai dormi dans la bibliothèque d’un sexologue pendant plusieurs années, s’amuse la journaliste. Je bouquinais tout ce qui me passait sous la main, de la pornographie aux revues scientifiques. » Aujourd’hui encore, le quotidien de Maïa Mazaurette s’assimile plus à celui d’un rat de bibliothèque qu’à celui d’une clubbeuse enflammée. Elle montre une pile de livres accumulés contre un mur de son appartement à New York. « Les gens imaginent que je passe ma vie en orgie. Mais, non, je bouffe des statistiques en anglais. C’est ça, mon métier », résume-t-elle.

De fait, une rubricarde sexe reste une journaliste. Et, non, elle n’a pas plus de rapports sexuels que les autres. Même si certaines reconnaissent que leurs recherches au travail peuvent influencer leurs activités intimes. « Dans l’imaginaire collectif, quelqu’un qui parle de sexe veut forcément du sexe, s’indigne Emmanuelle Julien, créatrice du blog “Paris Derrière” et ancienne journaliste à RTL. Quand j’étais journaliste politique et que je parlais politique, personne ne me soupçonnait de vouloir devenir présidente de la République. »

« TOUTES LES FEMMES QUI PARLENT DE SEXE DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE ET MÉDIATIQUE ONT ÉTÉ TRAITÉES DE SALOPES POUR LEUR SEXUALITÉ RÉELLE OU SUPPOSÉE. » OVIDIE

Renée Greusard a eu droit à un acteur porno qui lui envoyait fréquemment des photos de son pénis. Quant à Maïa Mazaurette, elle doit parfois refuser les invitations de lecteurs échangistes qui lui enjoignent de « ne pas hésiter à passer à la maison ». « Ces personnes n’arrivent pas à faire la distinction entre la femme et l’œuvre, glisse-t-elle. Il y a toujours une suspicion qu’il y a moyen de moyenner avec moi. » Elle a mené un combat similaire auprès de ses belles-familles, avant de se résoudre à ne plus sortir avec des Français. « J’avais beau leur dire que mes articles ne parlaient ni de ma vie ni de leur fils, c’était impossible. Il y avait forcément un doute. »

Les messages vont parfois jusqu’au harcèlement voire à l’appel au viol. « Toutes les femmes qui parlent de sexe dans la sphère publique et médiatique ont été traitées de salopes pour leur sexualité réelle ou supposée », assène la réalisatrice Ovidie, qui tenait notamment la rubrique « Le ticket de Metro » dans Metronews. « J’ai l’impression qu’elles subissent plus de réactions injustes, voire agressives que moi, et ce y compris lorsqu’on évoque le même sujet, note Damien Mascret, spécialiste de la rubrique sexe du Figaro Santé. C’est un domaine difficile à traiter quand on est une femme journaliste et qu’on encaisse des critiques évidemment liées à son genre. »

Parler sexe, c’est parler féminisme

Or la rubrique sexe est majoritairement – pour ne pas dire quasi exclusivement – tenue par des femmes. Comment l’expliquer ? Pour Béatrice Damian-Gaillard, professeure des universités à Rennes-I, spécialiste de la sexualité dans les médias, il s’agit tout simplement d’assignations genrées. « Les questions de sexualité et de couple ont longtemps été – et le sont encore – des rubriques associées aux magazines féminins, contextualise-t-elle. On a toujours considéré que c’était des sujets traités par les femmes et pour les femmes. » Éduquées depuis toutes petites à ces problèmes, les femmes seraient alors plus aptes à les aborder de manière plus élégante et moins graveleuse qu’un homme.

Ovidie voit les choses autrement : « Le désir de faire ce qu’on veut de notre corps sans être jugée nous pousse à écrire. » Car parler sexe, c’est parler féminisme. Et ce n’est pas un hasard si ces chroniqueuses s’épanouissent en pleine nouvelle vague de revendications féminines. Mettant régulièrement en avant les rapports de domination ou le plaisir féminin, Renée Greusard estime avoir accompagné le mouvement #metoo en France. « Parler de sexe ouvertement a peut-être permis cette libération de la parole, suppose la réalisatrice. Mais nous ne sommes pas les seules responsables. C’est un puzzle où tout le monde apporte sa pièce. »

Exigence plus forte du public

« J’ai l’impression d’avoir fait partie du petit groupe de sentinelles présentes pour que la flamme du féminisme ne s’éteigne pas pendant quinze ans », confie de son côté Maïa Mazaurette, selon laquelle le mouvement #metoo a aussi donné une nouvelle légitimité à son métier. « On a bien vu que la sexualité n’était pas du tout réservée à la sphère privée et qu’elle débordait dans la sphère publique pour 100 % des femmes », souligne la chroniqueuse. Elle se félicite que ses articles soient davantage « pris au sérieux », mais reste prudente. « Des hommes m’écrivent tout le temps pour me remercier de leur avoir ouvert les yeux. Mais je sais bien que je prêche des convaincus. Ceux-là sont déjà prêts à se remettre en question. »

Et, si toutes les chroniqueuses estiment que l’exigence du public est montée d’un cran aujourd’hui, les contenus du type « les 10 fantasmes des mecs » continuent de fleurir. D’autant plus qu’ils réalisent souvent de belles audiences sur le Web. « Ce qui porte préjudice à la sexualité dans les médias, c’est lorsque le sujet est traité par des journalistes qui ne sont pas spécialisés, attaque Emmanuelle Julien, de “Paris Derrière”. En politique, il ne viendrait même pas à l’idée de confier un papier un peu pointu à une personne qui ne s’y connaît pas. Parce qu’il faut des sources, être à l’intérieur du monde politique, sinon vous n’avez aucune information. »

Pour Renée Greusard, il n’y a pas de raison que ces sujets étudiés sérieusement en sociologie ne le soient pas dans les médias. Après tout, ils concernent la vie quotidienne des lecteurs. « Je trouve ça très intéressant, les histoires d’amour des gens. Quand tu accèdes au lit des personnes, tu es au plus près de l’humain », estime-t-elle. Aux « aigris » qui la prennent de haut, elle a « juste envie de demander à quoi ils servent dans la vie. Moi, je sais que je peux être utile, ajoute-t-elle. Je me dis que, ce soir, il y a peut-être quelqu’un qui aura un orgasme grâce à moi. »

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