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Jours tranquilles à Paris
29 décembre 2019

Chronique - Sexe et alcool, pourvu qu’on ait l’ivresse !

Par Maïa Mazaurette

Pourquoi associons-nous la séduction à l’alcool, alors que nous savons pertinemment qu’il altère notre capacité de décision et nuit aux performances des hommes ?, interroge la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette

LE SEXE SELON MAÏA

Aurez-vous encore envie de boire de l’alcool dans trois jours, ou êtes-vous déterminé à vous mettre au défi du « janvier sec » qui fait polémique depuis quelques semaines ? Quelle que soit votre réponse à cette épineuse question (hips), elle aura un impact sur votre vie sexuelle. L’alcool et la sexualité jouent les liaisons dangereuses depuis des millénaires : quand le pays de la séduction est aussi celui du vin, il y a anguille sous roche.

Ainsi, 70 % des Français donnent leur premier rendez-vous amoureux dans un bar ou un restaurant (Harris Interactive, février 2019). Et 61 % des femmes pensent que l’alcool facilite les rencontres, à peu près autant sont déjà rentrées pompettes avec un inconnu (Emmanuelles.fr, janvier 2014). Même chose pour les hommes : 66 % boivent au premier rendez-vous (Castalie, mars 2018). Pas mieux chez les plus jeunes : selon l’application de rencontre Tinder, les émojis « verre de vin rouge » et « chope de bière » font partie du top 20 des millennials en 2019.

Pas mieux non plus chez nos voisins occidentaux ! Un sondage de 2013 montre ainsi qu’en Angleterre, 11 % des adultes qui boivent régulièrement le font systématiquement avant de faire l’amour… essentiellement parce que sans cette stimulation, leur libido leur ferait défaut (UKMedix.com). Sur les campus universitaires américains, la fête est tellement synonyme d’alcool qu’au moins un cinquième des rapports sexuels se produit après que les étudiants ont bu (Psychology of Addictive Behaviors, 2009).

Substance ambivalente

Ce qui nous ramène à notre mois de janvier : le prendrez-vous sec, mouillé, à la paille, on the rocks ? Pour vous aider à vous décider, commençons par rappeler les basiques des conséquences de l’alcool : si le plaisir et les performances ne sont pas toujours au rendez-vous, le désir et la confiance sont augmentés. (Je vous laisse relire ma chronique dédiée à cette question.)

Comme aphrodisiaque, cette substance se révèle ambivalente : les rapports alcoolisés occasionnent plus de regrets, plus de dérapages, et plus d’agressions pures et dures. L’alcoolisation excessive, jusqu’au trou noir, conduit à outrepasser le consentement, au point que certains experts ont pu parler de l’alcool comme d’une « drogue du viol ». C’est ce qu’aura démontré le célèbre cas Brock Turner en 2015 : alors que la vulnérabilité de la victime constitue une circonstance aggravante en France, elle sert régulièrement à excuser les violeurs aux Etats-Unis. (Je vous recommande le texte du juriste Benoît Le Dévédec sur cette question.)

D’ailleurs, même en France, quelques incompréhensions demeurent : selon l’enquête Ipsos-Mémoire traumatique de février 2019, 88 % d’entre nous sont convaincus qu’un rapport avec une femme trop ivre pour consentir est de facto un viol. Ce qui laisse une proportion importante de personnes prêtes à « profiter » de ce genre d’occasions. Pire encore : seuls 66 % des Français pensent qu’il s’agit d’un viol si le rapport en question est une fellation (si cette logique vous échappe, bienvenue au club).

« Lubrifiant social »

Mais au fait, pourquoi buvons-nous, au juste ? Pourquoi associons-nous la séduction à l’alcool, alors que nous savons pertinemment 1) que notre capacité de décision sera altérée, 2) que les performances sexuelles des hommes en pâtiront ? Pourquoi courir avec tant d’enthousiasme vers le désastre ?

Tout d’abord, les rencontres alcoolisées nous donnent l’impression d’ouvrir le champ des possibles. Tout est plus simple, jusqu’à ce que tout devienne terriblement compliqué. L’alcool nous rapproche d’une norme cinématographique idéalisée de la rencontre : un moment flottant, magique, où le désir s’associe à une sensation de danger. Le consentement explicite passe à la trappe ? C’est de la passion. La sexualité est réduite à un enchaînement de gestes précipités ou carrément brouillons ? C’est encore de la passion, et tout nous sera pardonné. (Notons que, dans la communauté BDSM, l’alcool et la drogue font l’objet d’une vigilance soutenue.)

Pour les hommes notamment, plus susceptibles de connaître des défaillances à cause de l’alcool, on assiste à un curieux arbitrage : boire amoindrit la capacité à tenir une érection, mais boire permet aussi d’excuser les fiascos. Un partout, balle au centre.

Deuxièmement, nous buvons pour nous donner du courage : un « lubrifiant social » en quelque sorte, que les Anglo-Saxons appellent « courage liquide »… Ce qui devrait nous interroger. La perspective de rencontrer un être humain est-elle si périlleuse qu’il nous faille de l’aide pour nous « lâcher » ? Eh bien, oui. D’autant que toute situation de séduction nous expose au jugement d’un public : les amis au bar, les collègues au pot du réveillon, le partenaire potentiel qui dira oui ou non… et surtout nous-mêmes.

L’alcool permet de tenir à distance la peur de l’échec, et de justifier avec humour le rejet (si jamais il se produit, car dans le cas contraire d’une séduction réussie, on s’en arrogera évidemment tout le mérite). Face au public, mais aussi face au miroir, on pourra toujours prétendre qu’on n’était pas maître de ses actions.

Immunité temporaire

Enfin, et surtout, j’ai l’impression que nous buvons justement pour compromettre notre capacité de décision, quand, dans notre état normal, on ne s’autoriserait jamais rien – parce que nous serions beaucoup trop raisonnables. L’alcool permet de faire taire notre propension à l’autocensure, comme s’il nous fallait une excuse pour avoir envie, tomber amoureux ou ramener le plombier polonais. Comme s’il fallait se décharger de notre responsabilité, au lieu de l’embrasser à pleine bouche.

Pour reposer le verre de vin, il faudrait admettre que soient exposés des sentiments profondément intimes : l’envie de plaire (pas toujours compatible avec la masculinité traditionnelle), l’envie de coucher (pas toujours compatible avec la féminité traditionnelle). Si on reprend un cocktail, c’est pour nous débarrasser de notre moi social, imperméable et sérieux, et laisser libre cours à notre moi sexuel, vulnérable et foutraque. Nous demandons une immunité temporaire – contre des codes puritains, qui veulent qu’on soit « au-dessus de ça », et contre notre tendance culturelle à confondre désirabilité et valeur personnelle.

Si le sexe était tellement normal, tellement banal, nous n’aurions aucun besoin de l’accompagner d’alcool. Nous pourrions relativiser nos échecs (on ne plaît pas à tout le monde) autant que nos coups de foudre (nos partenaires ne plairont pas à tout le monde). Nous pourrions excuser nos fiascos (ça arrive). Nous pourrions admettre qu’au lit, la lucidité est une meilleure alliée que la demi-conscience.

Peut-être laisserions-nous place, alors, à un autre état modifié de conscience : l’excitation sexuelle. Car, selon un demi-gallon d’études, le désir lui-même est une ivresse, qui nous pousse à raconter n’importe quoi, à prendre des risques, à nous comporter de manière impulsive. Comme l’alcool. Du coup, celles et ceux parmi vous qui opteront pour le janvier sec pourront toujours se rattraper avec un janvier sexe.

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