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Jours tranquilles à Paris
7 janvier 2020

Chronique - « Carlos Ghosn, du pain bénit pour un metteur en scène d’Hollywood »

Par Jean-Michel Bezat

De son ascension à la tête de Renault à sa rocambolesque évasion du Japon, tous les ingrédients sont réunis pour faire de l’ancien patron un héros de thriller politico-financier, estime, dans sa chronique, Jean-Michel Bezat, journaliste au « Monde ».

La palpitante série en perspective ! Du pain bénit pour un metteur en scène d’Hollywood, qui dispose de tous les ingrédients d’un scénario à rebondissements : un personnage hors du commun, Carlos Ghosn, une irrésistible ascension chez Renault, le développement de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, l’aura mondiale, sa fascination pour le faste et l’hubris du pouvoir ; puis la chute et, pour finir, une rocambolesque évasion du Japon à la barbe de justiciers impitoyables. Sur la Toile, les internautes se font déjà des films…

Et M. Ghosn ? Il est, dit-on, devenu fan de séries depuis sa libération, en avril, de sa cellule de 6 m2 de la prison de Kosuge, à Tokyo. Au point de s’y voir ? Netflix dément la signature de tout contrat d’exclusivité avec le shogun de l’automobile pour produire son histoire. Il apparaît au moins qu’en décembre, et à sa demande, il a rencontré John Lesher, le producteur du film Birdman quatre fois oscarisé en 2015, pour lui proposer un projet. « Le thème était la rédemption. Le méchant était la justice japonaise », écrit le New York Times.

Un côté people

Un documentaire et/ou une fiction ? Peu importe. Car être le héros d’un thriller politico-financier ne déplairait pas à un homme qui a pris goût à la gloire au Pays du soleil levant. Pour avoir ressuscité Nissan en 2000, il était devenu le héros d’un manga destiné aux cadres japonais. L’histoire vraie de Carlos Ghosn, publiée en plusieurs épisodes dans un magazine, narrait sa vie-son œuvre en plusieurs épisodes, de l’enfance libanaise à la consécration nippone. Son éditeur expliquait alors que cela visait à « redonner le moral » à des citoyens déboussolés par la crise.

Que raconterait la série Le shogun français (titre provisoire) ? D’abord les origines, l’incroyable odyssée du grand-père Bichara du mont Liban à la forêt amazonienne, l’enfance beyroutine d’un chef, le citoyen du monde à la triple nationalité française, libanaise et brésilienne, un « multiterrestre », comme il se définissait lui-même. Puis le « cost killer », le patron qui a fait le vide autour de lui, l’un des mieux payés – 15 millions d’euros en 2016, trois fois la moyenne du CAC 40 –, l’exilé fiscal aux Pays-Bas en 2012, ses résidences de Paris, Tokyo, Beyrouth, Rio et Amsterdam payées par Nissan.

Pour faire bonne mesure, le scénariste saluerait les succès d’un PDG que même ses ennemis, au temps de sa gloire, qualifiaient de « grand capitaine d’industrie » pour avoir porté l’Alliance dans le trio de tête des constructeurs mondiaux, devant Toyota et Volkswagen. Sans omettre son statut d’unique patron français mondialement connu. Et reconnu, puisque la Maison Blanche lui avait proposé, en 2009, la direction de General Motors pour ressusciter le géant de Détroit.

La série ne devrait évidemment rien cacher de son côté people, dans les pages de Paris Match dès 2000. Il s’est amplifié sur le tard : les marches du festival de Cannes, les défilés de mode… Des plaisirs où l’attirait sa nouvelle épouse, Carole Nahas, lui dont la réputation de travailleur acharné n’était plus à faire. Pour y ajouter un zest de cruauté, on lui attribuerait le rôle du bourgeois gentilhomme dans une scène ajoutée au film Si Versailles m’était conté. Ebloui par les ors de l’Ancien régime, il avait choisi ce palais pour les quinze ans de l’alliance Renault-Nissan (ou ses 60 ans), en 2014 ; puis le Grand Trianon, deux ans plus tard, pour l’anniversaire de Carole, qui confiera : « Nous voulions que nos amis se sentent comme s’ils avaient été reçus chez nous – rien de trop élaboré ».

Un épisode raconterait aussi ce qui n’est autre, à ses dires, qu’une « histoire de complot, de conspiration, de trahison » avec, en vedette, des dirigeants ultranationalistes de Nissan qui auraient ourdi une sombre machination pour faire échouer son projet – inacceptable – de relancer une alliance franco-japonaise qui battait de l’aile par un mariage entre les deux groupes. Autrement dit, en laissant un fleuron de l’industrie nippone tomber entre des mains étrangères. Les noms des comploteurs seraient jetés en pâture à l’opinion, faisant éclater l’innocence du patron déchu.

Un happy end ?

Et puis viendrait la chute, avec son arrestation à l’atterrissage à Tokyo du Gulfstream G650 dans lequel il sillonnait le monde une centaine de jours par an, illustrée d’images de l’homme entouré de policiers « version Strauss-Kahn ». Ses 130 jours de prison, les révélations sur des malversations financières, farouchement niées. Pour donner un peu de piment politique à l’affaire, on évoquerait ses vains « appels à l’aide » à Emmanuel Macron, plus préoccupé des bonnes relations Paris-Tokyo que du soutien à un PDG qui s’était opposé à lui en 2015, et le silence du patronat français, qui lui faisait payer son dédain.

Tout s’achèverait par les détails de la rocambolesque évasion de « James Ghosn » (ou « Carlos Bond »), une fois obtenu l’éloignement des détectives privés payés par Nissan. Préparée de longue date par une société de sécurité recourant aux services de faux musiciens et de vrais barbouzes, l’épisode s’inspirerait de La valise, le film de Georges Lautner : M. Ghosn se ferait la malle… dans une malle à matériel audio. Avec un happy end : un réveillon de Nouvel an entre amis dans une villa cossue du quartier beyrouthin d’Achrafieh.

Une fin, vraiment ? Les maîtres de la série recourent à la technique du « cliffhanger », inspirée des romans publiés en feuilleton dans la presse au XIXe siècle : terminer une saison au moment où le suspens est à son comble, laissant le spectateur littéralement « suspendu à la falaise » et impatient de connaître la suite. A 65 ans, le « multiterrestre » aura-t-il une seconde vie ? En attendant, on se contentera des révélations qu’il fera, peut-être, à la conférence de presse annoncée le 8 janvier. Les grands brûlés de la politique ou des affaires prennent souvent un malin plaisir à réécrire l’histoire pour entretenir leur légende.

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