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Jours tranquilles à Paris
19 janvier 2020

Au procès de l’ex-père Preynat : « L’enfermement est la seule réponse envisageable »

pedophilie

Par Richard Schittly, Lyon, correspondant

Au moins huit ans de prison ont été requis contre l’ex-curé de Sainte-Foy-lès-Lyon, jugé pour avoir abusé de jeunes scouts pendant près de vingt ans. Il sera fixé sur son sort le 16 mars.

Echapper au carcan des clergés, autant que des craintes familiales, surmonter sa honte, pour avoir le courage de dénoncer l’emprise, afin de lutter individuellement et collectivement contre la maltraitance sexuelle des enfants. Il a été question de tout cela dans le procès de Bernard Preynat, 74 ans, jugé par le tribunal correctionnel de Lyon pour agressions sexuelles sur mineurs, commises entre 1986 et 1990, au préjudice de dix victimes retenues aux limites de la prescription pénale.

Après cinq jours de denses débats, la procureure Dominique Sauves a requis une peine de huit ans d’emprisonnement ferme, vendredi 17 janvier, contre l’ex-curé de Sainte-Foy-lès-Lyon (métropole de Lyon), proche du seuil maximal de dix ans de prison, encouru par le prévenu. « L’enfermement est la seule réponse envisageable », selon la magistrate, qui n’a toutefois pas réclamé de mandat de dépôt contre l’ancien prélat, laissé libre sous contrôle judiciaire, depuis sa mise en examen le 27 janvier 2016. Le jugement doit être rendu le 16 mars prochain.

Le courage de s’attaquer à une cathédrale

En citant les noms des vingt-cinq autres victimes, entendues dans le dossier pour des faits prescrits, Dominique Sauves a incité le tribunal à tenir compte de « la gravité et de la multiplicité des faits », étalés sur près de vingt ans, entre 1971 et 1991, alors que le père Preynat dirigeait un groupe de quatre cents scouts. « Ce n’est pas le procès d’une lâcheté collective ou d’une institution, mais celui d’un homme qui avait mis en place sa propre structure pour répondre à ses pulsions », a estimé la procureure, déplorant « la trahison » de sa mission éducative et spirituelle, comme de « la confiance aveugle des parents ».

Bernard Preynat a répliqué d’une voix chevrotante, dans ses derniers mots : « Je m’excuse auprès des victimes, de leurs familles, des autres prêtres du diocèse et de l’église que j’ai salie. » Doutant de ses remords à l’audience, les avocats des parties civiles ont stigmatisé « l’imposteur », qui a usé de son charisme dans la communauté catholique, pour se livrer chaque semaine ou presque à ses caresses oppressantes. « L’affaire Preynat met en évidence les ravages différemment vécus selon les personnalités et les histoires de chacun, avec trente ans de recul sur le préjudice », a plaidé Jean Boudot, défenseur d’un homme doublement muré dans le silence. Il avait confié ses soupçons à sa mère. Rassurée par le prêtre, elle avait demandé au père Preynat de venir bénir leur maison.

Par peur d’éclabousser l’institution religieuse, ou par crainte de perturber leur famille, des parents se sont contentés du déplacement géographique du prêtre en 1991. Trente ans après, leurs enfants ont créé La parole libérée, pour demander justice, au-delà des portes du confessionnal et des murs de l’évêché. L’association a fédéré les victimes de l’affaire Preynat, après la plainte initiale d’Alexandre Hezez. « Quel courage d’avoir voulu s’attaquer à une cathédrale, et des centaines d’années de coutume d’oppression sexuelle sur les mineurs, bien verrouillée par le droit canon », a déclaré Isabelle Steyer, avocate de La voix de l’enfant, citant Spotlight, film inspiré d’une enquête journalistique sur des abus sexuels dans l’église aux Etats-Unis.

« L’effet magique de la confession »

Comment la spiritualité a pu très paradoxalement jeter un voile sur les consciences ? Dans la région lyonnaise, les autorités catholiques ont été au courant des déviances du chef scout dès les années 1980. Le pardon et l’absolution ont longtemps confiné le cas Preynat dans l’illusion d’une impunité. « L’effet magique de la confession », a formulé Yves Sauvayre, partie civile. Pour Frédéric Doyez, l’affaire Preynat pourrait marquer un changement de mentalité : « Que ce procès soit utile à tous, à tous ceux qui pourraient être victimes des mêmes circonstances, des mêmes agressions. » Selon l’avocat de la défense, désormais, « l’Eglise se fait un devoir de tout transmettre ». Pour le pénaliste, cette responsabilisation trouverait même un écho dans la récente modification de la prière Notre Père : « Ne nous laisse pas entrer en tentation » a remplacé « Ne nous soumet pas à la tentation ».

Vertigineux dans ses dimensions temporelles, après vingt ans de déviances impunies et trente ans de silence, le procès a fini par révéler que le curé pervers avait subi lui-même des agressions sexuelles de prêtres, lorsqu’il était au séminaire. La veille de l’audience, Bernard Preynat a envoyé une lettre circonstanciée à l’évêque de Lyon. Des parties civiles n’ont pas voulu y croire, craignant un artifice de plus dans la carrière d’un Tartuffe inégalé. La défense a réagi contre ce « procès de sincérité » : « Il est très dur de dire qu’on a été victime, on a honte, on serait mal avisé de lui dire que c’est trop facile. » En ajoutant : « Quand on partage avec son agresseur ce dénominateur commun, cela peut avoir une incidence sur la réponse à une demande de pardon. »

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